A l'heure de l'intelligence artificielle et du transhumanisme, le rapport entre l'homme et la technologie est débattu de manière passionnante. Nombreux sont les experts qui prédisent un avenir dystopique où les machines auront pris le pas sur l'humain. Ces anticipations ne sont pas nouvelles. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les auteurs de SF s'étaient déjà intéressés au robot et à sa place dans la société (Asimov, Campbell, Lem...). Bien souvent, ces écrits présentaient l'androïde comme une menace pour l'Humanité. Aujourd'hui, ces thématiques dépassent bien évidemment le cadre de la fiction.
Avec ce dernier méfait nommé Post Self, Godflesh nous délivre un album décidément bien ancré dans l'actualité. Le légendaire groupe de Birmingham n'est plus à présenter. Pour certains journalistes musicaux avides de vouloir tout qualifier, le groupe est le pionnier du Metal Indus.
Je vais peut-être me faire des ennemis mais cette scène n'existe pas. Godflesh n'a rien à voir avec Ministry ou Nine Inch Nails. Ces musiciens ne se connaissent même pas entre eux. Les Anglais s'inspirent en effet d'un mouvement qui a lui bel et bien existé : l'Indus. Ils mélangent les sonorités froides et expérimentales de Throbbing Gristle, de SPK et surtout de Killing Joke à des éléments Metal.
Le duo a sorti ses premières galettes sur le mythique label anglais Earache. La première vague de Death et de Grind anglaise de la fin des années 1980 a donc bien entendu inspiré les musiciens. Le guitariste a même officié dans Napalm Death.
La reformation du groupe en 2010 a occasionné la sortie de A World Lit Only by Fire en 2014 (et d'un EP de plutôt bonne facture). Cet album, loin d'être marquant, bénéficie d'une production très puissante mettant en valeur des compositions très lourdes et Metal. Trois ans après, Godflesh redistribue les cartes avec Post Self.
A l'écoute des deux premiers morceaux, le groupe de Justin Broadrick (guitare et boîte à rythmes) et du fidèle J. C Green (basse) semble avoir opté pour la continuité.
L'auditeur est pris directement d'assaut par le rouleau compresseur Godflesh à l’entame de l'album. La vélocité n'est pas la marque de fabrique du duo en règle générale. Sur le premier titre, l'usine, forte d'un nouvel investissement en biens d'équipement, a gagné en productivité. Les cheminées fument, les marteaux frappent l'acier, les scies circulaires s’agitent... Au grand bonheur des actionnaires, les ouvriers ne font qu'un avec les machines et la chaîne de production va à une allure folle. Mais combien de temps cela va-t-il durer ?
« Parasite » alterne des moments Metal plutôt rapides et d'autres plus mid-tempo. La basse de Green est très présente. Elle retrouve ses lettres de noblesse après avoir été un peu occultée sur le précédent album. En revanche, l'atmosphère livide, plutôt absente sur A World Lit Only by Fire refait surface.
Comme à son habitude chez Godflesh, Broadrick profère des brides de phrases ou simplement des mots à qui veut bien l'entendre. Ces paroles complètement déshumanisées se confondent avec le brouhaha des machines. Elles nous rendent compte de la confusion mentale du travailleur et de son mal-être dans cette société qui ne le voit que comme un simple facteur de production. Justin Broadrick utilise un chant grave assez similaire à celui du Death.
Jusqu'alors, on aurait pu penser que Godflesh suivrait la lignée du précédent album avec quelques particularités (ambiance plus sombre, production moins clean, basse très présente..). Que nenni ! Le reste de l'album renoue avec les influences Indus et Post-Punk du groupe. Les couleurs bleues de l’horrible pochette de Post Self auraient dû nous mettre sur la piste. Nous sommes là en présence du petit frère d'Us and Them.
« No Body » est un morceau typique du groupe. Une boite à rythmes libère un beat simple et entêtant rappelant parfois celles de vieilles productions Rap américaines (et oui !). Elle est accompagnée de la basse de Green qui heurte l'auditeur encore davantage. Sur ce rythme se joint la guitare de Broadrick. Légèrement en retrait et lo-fi, elle apporte toute la dimension mystique du son de Godflesh.
A la manière d'un Michael Gira de Swans, le guitariste et chanteur assène le spectateur de sentences froides et apathiques. D'ailleurs, le lexique du groupe est assez similaire à celui des Américains. Ce dernier a une compilation nommée Body To Body, Job To Job à titre d'exemple. Les thèmes de l'aliénation au travail, du pouvoir, du capitalisme, de la corruption... sont des thèmes chers aux deux entités.
« Pre Self » sonne pour le coup comme du Swans. De façon lente et espacée, des coups de percussions assommants viennent nous fracasser la tête à la manière d'un marteau-pilon. La magie de ce genre de morceaux demeure dans les longs silences entre chaque coup. La répétition - qui peut rebuter certains – finit par créer un état de transe (à écouter : « Sound » de BigBrave ou « Oxygen » de Swans par exemple). Pourtant ce morceau ne décolle jamais et peut même s'avérer ennuyant.
Un élément est nouveau chez Godflesh. Il s'agit de l'utilisation du flanger et du vocodeur. « Mortality Sorrow » utilise ces deux techniques pour créer une atmosphère glauque et repoussante. Cette modification de la voix me rappelle avec sourire le morceau « KillingTechnology » de Voivod avec ses engins lançant des « we are connected » effrayants. L'effet recherché est bel et bien atteint avec le flanger. Certains morceaux de Post Self sont très peu attrayants grâce à lui. Le dégoût n'est pas forcément un sentiment m'empêchant d'apprécier une œuvre mais ici ça l'est. « Mortality Sorrow » m'a tellement rebuté que je risque de garder un souvenir amer du dernier Godflesh pendant encore longtemps.
La seconde partie de l'album est particulièrement sombre notamment sur « No Body » et le morceau qui clôture l'album « The Infinite End ». Avec ce son délibérément sale et étouffé grâce à la HM-2 de Broadrick, l'analogie avec Burzum ne me paraît pas insensée. La reverbe noie complètement le chant. Comme un fantôme, ces voix s'estompent peu à peu et mettent un terme à l'album.
La tête pensante de Godflesh a participé à une multitude d'autres projets. Le plus fameux et le plus connu d'entre eux est Jesu. La chair de Dieu se nomme Jésus, ce n'est peut être pas pour rien. Cet autre groupe s'inscrit plus dans le Shoegaze et le Post-Rock en proposant des morceaux moins viscéraux que le duo et plus nostalgiques.
A l'inverse d'un A World Lit Only by Fire forgé dans l'acier, Post Self explore l'onirisme de Jesu avec « Mirror of Finite Light » et surtout « TheCyclic End ». Ce dernier est pour moi le meilleur de l'opus. Ses mélodies planantes sont tout simplement belles et difficilement résistibles. Le son très martial de la boite à rythmes et de la basse crée un contraste intéressant avec ces nappes de guitare. Quant au chant, même si celui-ci est parfois faux, il amène une ambiance mélancolique et désespérée fort à propos.
Précédemment, je signalais que nos Anglais avait redistribué les cartes avec Post Self. Une production plus lo-fi accompagne un album résolument plus malsain que le précédent. Cette ambiance froide et urbaine colle pour le coup très bien avec les textes du groupe qui explorent des questions très actuelles. Du bizarre, il y en a sur cette album. L'aspect Metal - à part au début de l'album - reste dans les placards au profit d'un son plus expérimental. Justin Broadrick rend hommage à ses influences Indus et Post-Punk.
Malheureusement, la magie n'y est pas. Seul « A Cyclic End » réussit (un peu) à marquer les esprits. Cependant, ce titre n'a pas grand chose d'un morceau de Godflesh. Depuis sa reformation en 2010 et malgré certaines prises de risques, le duo ne transporte plus. Le groupe semble enfermé dans le « pas trop mal » et le « plutôt moyen » depuis quelque temps. Il manque la rage de Streetcleaner, l'inspiration de Selfess pour me faire encore briller les yeux. L'entité a influencé tellement de groupes, il est dommage de la voir manquer de souffle comme cela.
Avec les progrès de la technologie, l'être parfait risque bien de devenir une réalité. Ce post-individu pourra peut-être nous pondre des albums aussi magistraux et intemporels que les premiers Godflesh !
Tracklist :
1. Post Self
2. Parasite
3. No Body
4. Mirror of Finite Light
5. Be God
6. The Cyclic End
7. Pre Self
8. Mortality Sorrow
9. In Your Shadow
10. The Infinite End