Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
En 2010, alors que Godflesh s'était mis en arrêt depuis presque dix ans, un certain festival français parvenait à convaincre J.K Broadrick et son comparse G.C Green de se réunir pour se produire sur scène. Finalement, Godflesh reprendra également du service en studio et continuera d'explorer la noirceur nourricière au travers d'albums qui s'insèrent dans la droite lignée de la première partie de carrière du groupe. Et Purge dont il est question ici, neuvième de la famille, propose le même programme : un regard sombre et cruellement lucide sur les médiocrités d'une époque.
La lumière qui éclaire certains pans de l'œuvre de Broadrick n'est toujours pas parvenue à atteindre l'opacité de Godflesh : d'entrée de jeu, « Nero » nous dit que le duo appliquera la même rigueur qu'il a suivi jusque-là pour nous plonger dans l'hypnose d'une musique où tout ce que l'on peut trouver d'humain est un cri de rage. Les Anglais ne semblent éprouver aucun besoin de refondre, même en partie, leur style, le terrain de jeu industriel qu'ils se sont aménagé au tournant des années 80/90 leur convient toujours et ils ont encore des choses à y découvrir. Et il faut bien reconnaître qu'ils ne se trompent pas ; ou du moins pas complètement. Une bonne partie des titres de Purge dégagent ce même sentiment d'urgence en latence, cet étrange paradoxe que mettaient déjà en œuvre les premières sorties du groupe : à travers une musique pourtant rampante, qui charrie des tonnes de ferraille et de béton, on perçoit une nervosité agitée et fébrile, l'envie de fondre le dernier visage humain à la soude caustique. « Land Lord », « Army of Non », « Permission », autant de morceaux où Godflesh exprime avec brio son essence toujours aussi corrosive, avec un son qui s'attache toujours aux 90's, mais sans paraître anachronique par rapport à son époque. Je serais même tenté de dire que cette nouvelle sortie est celle qui, de la période de reformation, lorgne le plus directement vers le début de carrière du duo.
Et c'est, nouveau paradoxe, cette force précise de fidélité à soi qui donne à Purge ses quelques faiblesses sur la durée. Il y a peu de déchet, mais un titre comme « Lazarus Leper » souffre d'un trop grand dépouillement : en tentant de ressaisir par le minimalisme et l'épurement un certain esprit, Godflesh produit un titre longuet qui n'apporte pas grand-chose. Oui, c'est froid et mécanique et minimalistement répétitif, mais c'est aussi finalement un peu chiant, il faut bien se l'avouer. Mais c'est à ce genre de raté, de coup de mou, que l'on comprend le quasi-miracle que parviennent à produire Broadrick et Green le reste du temps : avec des gimmicks inchangés et des éléments de composition réduits, ils restent toujours capables de réveiller les fantômes d'un monde sur le déclin. Pour exemple, l'écrasant « Mythology of Self », lui aussi tout en minimalisme et répétition, avec son chant déformé par des effets, brille par sa propension à envelopper l'auditeur dans un cauchemar de cinq minutes, à l'emprisonner au cœur d'une cellule sans fenêtre ni air pur.
Après trente-cinq ans de carrière, Godflesh tient toujours la route. Ressassant inlassablement ses mêmes obsessions et son même dégoût, les Anglais se sont forgés un monde dont ils continuent d'explorer les recoins les plus ternes et tourmentés avec une réussite qui, si elle n'est pas complète, force néanmoins le respect. Ce n'est pas toujours de la facilité que de parvenir à rester soi-même.
Setlist de Purge :
01.Nero
02.Land Lord
03.Army of Non
04.Lazarus Leper
05.Permission
06.The Father
07.Mythology of Self
08.You Are The Judge, The Jury and The Executioner