"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Rammstein n’est pas assez productif. C’est un fait mais heureusement, il a suffisamment de compatriotes germaniques qui sortent des albums à la chaîne en son absence. Bon en revanche on parlera plus de remplissage et de quantité vu que la plupart des Rammstein-like sont loin d’être éminemment remarquables, c’est le moins que l’on puisse dire… Mais bon, résumer toute la scène Metal-Indus allemande à du clonage de Rammstein, ce serait faire offense à une bonne partie de groupes plus historiques, qui prouvent d’ailleurs que Rammstein n’a rien inventé (la réelle parenté du genre se disputant entre Die Krupps et Oomph!, même si de nombreuses autres influences viennent s’y greffer). Historique, Eisbrecher ne l’est pas vraiment, n’existant que depuis 2003. Mais il a tout de même été fondé par deux membres dissidents de Megaherz, groupe qui lui se traîne une discographie à l’intérêt discutable depuis 1993. D’ailleurs Eisbrecher a toujours fait du Megaherz en mieux, et ce dès ses deux premiers albums bourrés de tubes à l’allemande, Eisbrecher (2004) et Antikörper (2006). Bien loin de l’univers assez particulier de Rammstein, Megaherz puis Eisbrecher se situent au cœur de ce qu’on appelle la « Neue Deutsche Härte », dont la musique au fil des ans s’est située entre Metal-Indus (et électro), Metal mainstream et Metal gothique « à l’allemande ». Ayant choisi un concept à l’exact opposé de celui de Rammstein, à savoir l’eau et la glace plutôt que le feu, Eisbrecher joue donc plus dans la cour de Oomph! et Die Krupps, l’influence de ces derniers semblant évidente à l’écoute du plus électronique Sünde (2008) ou quand le groupe choisit d’appeler le premier morceau de son album Schock (2015) "Volle Kraft Voraus", soit le nom du deuxième album de Die Krupps sorti en 1982 quand le groupe était encore loin de faire du Metal. Loin du côté martial et pervers de Rammstein malgré d’évidentes similitudes musicales (tout ce petit monde faisant tout de même partie de la même école), Eisbrecher égrène donc ses gros tubes bien allemands depuis 13 ans maintenant, faisant le bonheur des publics des festivals allemands spécialisés car le groupe reste une denrée rare en France. Mais les fans sont là et trémoussent toujours à l’annonce d’une nouvelle fournée du brise-glace.
Seulement, Eisbrecher est aussi victime de la faiblesse du genre NDH depuis quelques années, dont le déclin est assez navrant avec des vieux groupes qui n’y arrivent plus (Megaherz, encore) ou ont mal tourné (oui Oomph!, je parle de toi et de tes derniers efforts bien moisis), et autour de ça gravitent des newcomers sans intérêt qui pompent surtout plus Rammstein qu’autre chose (Stahlmann, par exemple). Seul le plus vieux de la vieille, Die Krupps, est toujours au top depuis sa reformation, avec des humeurs diverses (le purement électro The Machinists Of Joy (2013) et le très metallique et excellent V - Metal Machine Music (2015)). Et Eisbrecher dans tout ça ? Eh bien, il a eu du mal aussi. Eiszeit (2010) était pas trop mal dans l’ensemble mais on sentait que le groupe se dirigeait plus vers un Metal mainstream que quelque chose de plus traditionnel comme il avait su si bien le faire sur Sünde. Arrivera alors Die Hölle Muss Warten (2012), un disque très décevant, bien mou, trop gogoth, pas inspiré et à oublier. C’est limite si le groupe n’allait pas devenir une sorte de Unheilig en plus Metal. On allait presque déjà mettre Eisbrecher au ban mais, après avoir pour une fois attendu 3 ans au lieu de tenir leur rigueur allemande de 2 années entre chaque sortie, le groupe était revenu du diable vauvert avec le génial Schock, plus rythmé, plus efficace, plus complet, de nouveau tubesque et même original. Eisbrecher s’était vraiment surpassé et avec le temps Schock est devenu pour moi le meilleur album, devant Sünde (je n’ai jamais vraiment apprécié les deux premiers de toute façon), avec à la clé de bonnes tueries comme "Dreizehn", "So Oder So" ou dans un autre registre le magnifique "Schlachtbank". Ayant trouvé un nouvel équilibre entre Metal Indus bien musclé et Metal gogoth/mainstream, Eisbrecher était reparti comme en 40 (*gloups*) pour livrer une belle partition de « Deutsch Metal ». Reprenant son rythme de deux ans, Eisbrecher remet le couvert cette année et doit maintenant confirmer sa bonne forme retrouvée avec un 7ème full-length, Sturmfahrt.
"Was Ist Hier Los?" ouvre l’opus et on sent déjà que le groupe veut se faire plaisir et faire plaisir, ne se prend pas au sérieux tout en prenant les choses au sérieux, avec un morceau bien punchy et immédiat, un peu volontairement bas du front avec ses riffs bien simples et bourrins. C’est là aussi qu’est l’essence d’Eisbrecher, on est pas là pour faire du prog’, juste balancer du Metal Indus allemand bien efficace. Et aussi créer à chaque fois de nouveaux tubes, qui alimenteront le prochain best-of mais qui seront aussi des hymnes pour la scène. "Besser" fait donc immédiatement le taf, avec de bons riffs, pas mal de mélodies même, et bien sûr un refrain facilement mémorisable (enfin du moment qu’on connaît un peu la langue de Goethe), le morceau-titre lui emboîte le pas avec de nouveau un ensemble riffs/mélodies détonant et un refrain épique ici épicé par des claviers. Mais comme Eisbrecher s’échine toujours à arborer toutes les caractéristiques du Metal Indus à l’allemande « grand public », nous aurons droit à des morceaux plus cool de rigueur, et d’ailleurs dans ce genre le groupe arrive étonnamment toujours à exceller. "Schlachtbank" était déjà superbe sur l’album précédent et "In Einem Boot" lui succède sans mal, voire même fait encore mieux, il s’agit encore une fois d’une sorte de power-ballad assez symphonique et vraiment formidable, avec un refrain doré à l’or fin. Bref, c’est bô, et on se surprend à préférer Eisbrecher dans ce registre plutôt que dans celui plus purement metallique, même si le groupe y démontre toujours sa bonne forme avec notamment le bien punchy "Der Wahnsinn". Et on s’arrêtera aussi sur l’excellent "Automat", morceau plus décalé avec une musique et des paroles robotiques, prouvant que quoi qu’il arrive, Eisbrecher est et restera une formation de Metal-Indus même si à l’époque de Eiszeit et Die Hölle Muss Warten, on pensait qu’il allait finir par sucrer tellement son style qu’il deviendrait à terme un groupe de Goth/Rock vaguement teinté de Metal mainstream.
Mais bon, il était de toute façon difficile de faire mieux que Schock, même si le groupe en semble capable, encore plus au vu de ce qu’il montre sur Sturmfahrt jusque-là. Hélas, les choses vont un peu se corser pour la seconde partie de cet album assez long (presque une heure bonus compris). Je passe vite fait sur la reprise du "Eisbär" de Grauzone, pour un morceau plus électronique pas forcément très original vu que l’exercice avait déjà été réalisé par… Oomph! en… 2003. C’est surtout à partir de "Herz Auf", morceau plus posé qui semble échappé de Eiszeit avec son refrain aux riffs « blockbuster », que les choses se gâtent, avec des morceaux plus taillés comme des hits mais qui ne sont guère convaincants. Eisbrecher enchaîne alors les interchangeables "Krieger", "Das Gesetz" (aux bons riffs et mélodies toutefois) et "Wo Geht der Teufel Hin" qui sont à mon point de vue légèrement sabrés par un gimmick répétitif un peu agaçant, celui de systématiquement doubler le chant du refrain par des vocalises féminines. Cela sucre quand même un peu trop le truc, qui penche à nouveau plus vers du Rock/Metal que du pur Metal-Indus même quelque peu mainstream. "Wir Sind "Rock’n’Roll"" essaie alors de se poser comme un hymne mais se révèle bien plat. C’est un peu dommage et cette seconde partie d’album retrouve les défauts de Eiszeit et Die Hölle Muss Warten, et le groupe n’en avait pas besoin. On se rattrape malgré tout avec à nouveau un morceau bien décalé et plus efficace, le percutant "D-Zug" même si pour le coup, ses riffs les plus mordants ressemblent un petit peu trop à certaines œuvres de Rammstein. Le plus doux "Das Leben Wartet Nicht" reste un morceau de clôture tout à fait honnête et plaisant, enfin notons que l’édition digipack disponible dans votre supermarché allemand préféré dispose d’un bonus, "Wir Sind Gold", un peu plus musclé et original mais néanmoins dispensable.
Eisbrecher n’a donc pas vraiment transformé l’essai de Schock avec cet album plus hétérogène et mal organisé, le meilleur se trouvant clairement au début, la suite enchaînant malhabilement des morceaux aux structures similaires. Mais j’ai tout de même envie d’être positif, car on demeure quand même quelques crans au-dessus de Die Hölle Muss Warten malgré des morceaux plus faibles, et qu’on reste dans le registre de Schock, avec quelques emprunts à Eiszeit et même Sünde. Les bons gros riffs sont tout de même de sortie ("Was Ist Hier Los?", "Sturmfahrt", "Der Wahnsinn", "D-Zug"), les hits des familles sont là ("Besser", "Sturmfahrt"), il y a des pistes plus originales ("Automat", "D-Zug") et de beaux moments plus feutrés ("In Einem Boot", "Das Leben Wartet Nicht"), bref un album d’Eisbrecher assez complet malgré un certain remplissage (cet enchaînement "Krieger" - "Das Gesetz" - "Wo Geht der Teufel Hin" est décidemment un bien mauvais point), certes taillé pour plaire au public allemand le plus large, mais globalement réussi. Dommage que le groupe se laisse aller à quelques gimmicks qui n’étaient pas obligatoires, et se trouve toujours à la lisière du Metal commercial et de choses plus efficaces et personnelles. Mais c’est un peu ce qu’est devenu le style NDH, on peut le déplorer, heureusement Eisbrecher est en haut du panier et fait la majeure partie du temps la leçon à tous ces clones de Rammstein et même ceux d’Unheilig qui essaient de tout faire pour draguer les gogoths en soirée, même certains morceaux moyens de ce Sturmfahrt faisant quand même mieux que des bidules de seconde zone. Schock, Sünde voire même en leurs temps les deux premiers albums (dont je demeure infoutu d’en retenir quoi que ce soit malgré les tubes évidents) restent inatteignables, Sturmfahrt leur succède honnêtement, sans rien révolutionner (de toute façon on ne s’y attendait pas) mais en faisant le taf sur une bonne partie d’album, livrant quelques morceaux de premier choix qui viendront garnir votre playlist lorsque vous voudrez vous faire une bonne soirée de Metal Indus allemand.
Tracklist de Sturmfahrt :
1. Was Ist Hier Los? (3:32)
2. Besser (4:18)
3. Sturmfahrt (3:33)
4. In Einem Boot (4:56)
5. Automat (3:44)
6. Eisbär (3:59)
7. Der Wahnsinn (3:27)
8. Herz Auf (3:35)
9. Krieger (3:29)
10. Das Gesetz (3:43)
11. Wo Geht der Teufel Hin (3:42)
12. Wir Sind "Rock’n’Roll" (3:54)
13. D-Zug (3:47)
14. Das Leben Wartet Nicht (4:13)
15. Wir Sind Gold (Bonus) (3:18)