Qu’évoque ce banc en bois, vide, en ce lieu désert de la côte bretonne ? La solitude ? L’absence d’un être cher ? Des souvenirs ? Un peu de tout cela. Celui-ci semble en tout cas chargé d’histoire puisqu’il est omniprésent dans le livret, on y voit l’auteur tantôt assis seul face à la mer, tantôt ivre mort, pensif, le regard vide, désabusé, un bouquet de roses fanées…jusqu’à ce qu’il empoigne une masse et fracasse le mobilier comme pour détruire les bribes du passé ou de négatives émotions, tirer un trait sur tout ça.
Telle s’effectue la prise en main du nouveau-né de Sale Freux, « Adieu, vat ! ». Comme l’écrit l’auteur lui-même, il s’agit d’un « album incisif sensé symboliser une coupure, une cassure, un dernier coup de lame, un dernier coup de masse nécessaire pour que vogue la galère de Sale Freux, vers de nouveaux horizons, d’autres brise-lames…Des ‘bon vent’ spiritueux plein la gueule et des mauvais vents en pleine face comme seule compagnie ». Composé et enregistré entre 2014 et 2015, ce récital négatif se présente sous la forme d’un magnifique digipack aux tons sépia, contenant sept titres pour près d’une heure de musique. Il s’accompagne d’un CD dit ‘annexe’ renfermant l’unique morceau « Viens on s’en va loin », plus récent et annonçant les prémices d’un prochain opus concept qui devrait vraisemblablement s’intituler « 107 bouteilles à la mer ». Décidément, on peut dire que l’esprit maladif de Dunkel ne tarit pas, après le bouleversant Crèvecœur sorti l’année dernière et le poétique Demain dès l’aube… paru il y a quelques mois.
C’est sur « Cap Coma » que s’introduit l’œuvre, sons du rivage, guitare nostalgique, dialogue, suivis d’un "Adieu, vat !" hurlé avec rancœur, Sale Freux déverse sa bile comme il le fait si bien depuis L’Exil. Il nous embarque une heure durant dans son univers fait d’amertume et de nostalgie, à travers ses mélodies tourmentées, acerbes et ses vers croassés. Les accords de guitare électrique, dont la sonorité est à la fois solennelle et tragique, s’entremêlent pour former des lignes aiguisées, fluides et plaintives, sur lesquelles vient se greffer sa voix de corvidé, véritable instrument à elle seule, qui apporte son lot de démence et de mal-être. Musicalement, cet « Adieu, vat ! » s’inscrit dans la droite ligne de ses deux prédécesseurs, à savoir un Black Metal des plus mélancoliques qui soit, reflet de l’âme du vagabond Dunkel. Et non, je ne collerai pas l’étiquette ‘dépressif’ au style pratiqué par l’individu. Selon moi cela va bien au-delà, loin des clichés du « je joue pendant vingt minutes le même accord en pleurnichant dans le micro ». Sale Freux est beaucoup plus construit et travaillé dans ses compositions tout comme dans ses textes. Ces derniers valent d’ailleurs franchement qu’on y pose son regard, tant ils relèvent de la poésie.
La thématique maritime s’affiche comme une évidence, comme le suggère l’artwork et le choix même du titre, le terme « Adieu-va(t) » étant emprunté aux marins, prononcé pour souhaiter une heureuse navigation tout autant que pour marquer la remise à la protection divine lors de manœuvres sujettes à risques, à l’image des matelots en Haute Mer. Dunkel apporte d’ailleurs de plus amples informations à ce sujet au sein du livret. Autre thématique très prégnante, l’amour brisé se manifeste sur plusieurs titres, dont le plus emblématique est sans nul doute « Idylle », qui est aussi celui dont les compositions m’ont le plus touché. Une complainte musicale de dix minutes, au rythme faussement entraînant, aux accords amers et aux airs puisés dans les tripes, qui se conclut ainsi :
« Alors soit ! Adieu vat ! Je prends congé de l’ingrate humanité »
Je pourrais également m’étendre sur le pavé d’un quart d’heure de « Aux âmes éclairées », dont le refrain est comme ce vieux goût dans la bouche un jour de grippe, ou encore « Elle a violé mes rêves », dont le final est rempli de désespoir ; mais je vais plutôt évoquer les quelques particularités de cet album. En premier lieu l’intégration de plusieurs extraits de films – quasiment tous empruntés au genre du drame (quelle surprise) – au sein des morceaux. Les passages choisis sont là pour renforcer l’aspect tragique de l’œuvre, comme ces scènes difficiles issues des Noces Rebelles ou de Brothers. L’autre curiosité est cet interlude « Et puis c’est tout », issu d’une conversation volée à un compagnon d’un après-midi sur le littoral de Douarnenez ; une sorte de marginal au discours sans queue ni tête, agrémenté de quelques accords de gratte en arrière-plan. Métaphore de l’errance humaine en ce bas monde ?
Au risque de voir la foudre s’abattre sur moi, Sale Freux est, avec Peste Noire, ce qu’il se fait de mieux dans le paysage français du Black Metal, par leur approche très personnelle du genre, intègre et passionnée (passionnelle même pour Sale Freux). Il faut dire aussi que l’utilisation de notre langue mère apporte un certain cachet et une authenticité bienvenue.
Transpirant d’aigreur, cet « Adieu, vat ! » se révèle profondément introspectif, complétant la trilogie entamée avec L’Exil et Crèvecœur. Son Black Metal me parle, m’atteint, me ronge, véritablement. Que nous réserve encore le sieur à l’avenir ?
Tracklist :
1. Cap Trauma
2. Elle a violé mes rêves
3. Vogue la galère !
4. Idylle
5. Et puis c’est tout
6. Aux âmes éclairées
7. Cap Trauma
Bonus : Viens on s'en va loin