Laibach @ Divan du Monde
Divan du Monde - Paris
Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
Pionnier de l'indus, provocateur insatiable, analyste du monde moderne, vaste blague de plusieurs décennies, Laibach est tout cela à la fois, sans ce groupe à l'histoire pleine d'interdits variés, Rammstein n'existerait sans doute pas et une énorme partie de l'imaginaire totalitaire qu'on retrouve dans les musique industrielles n'aurait jamais vu le jour. Alors autant vous dire que quand les Slovènes passent par la France, ils ramènent du monde et c'est à guichet fermé que s'est déroulé leur concert au Divan du Monde.
Premier constat avant le début du concert : le public est extrêmement varié. Pas d'ados, mais on retrouve des chevelus de vingt ans comme un quinquagénaire propre sur lui d'un seul coup d'œil dans la salle, avec entre le deux toutes les déclinaisons possibles de style, et fort heureusement, pas de fachos en vue (chose hautement probable, certains n'ayant pas les neurones nécessaires à la perception du second degré), ou du moins pas de facho identifiable à la vêture. Sur scène, le matériel de Laibach est déjà en place, pas de première partie pour Milan Fras et sa bande. Côté line-up, la tournée 2015 compte, en plus du leader, Mina Špiler au chant et au synthé, Janez Gabrič à la batterie, Luka Jamnik et Rok Lopatič tous deux aux machines (synthés et autres contrôleurs de sons) ainsi que Ivan Novak chargé des projections et des lumières. Les présentations sont faites, musique.
Des nappes épaisses et froides soufflent sur le Divan, à peine les lumières éteintes la grand-messe débute de manière austère avec un morceau intitulé Olav Tryggvasson Poem, sorte de longue pièce industrielle en deux séquences, durant lesquelles le chant reste très secondaire. Le début du set laisse la place aux machines, même la batterie reste très sobre, l'ambiance inquiétante, sombre que représente ce premier contact laisse sensation de malaise en travers de la gorge. Mais c'est aussi cela Laibach, de l'expérimentation difficile d'accès avec dans sa discographie quelques albums vraiment exigeant en terme de sonorités désagréables. Mais cette première phase laisse ensuite la place à Spectre, l'excellent et dernier album en date de Laibach. Eurovision entame cette deuxième étape, sa rythmique lente, mais plus marquée que précédemment réveillant un peu la salle restée scotchée par Olav Tryggvasson Poem. Walk With Me et No History prennent la suite, tout deux martiaux à souhait, avec un Milan Fras déclament les slogans des paroles de sa voix si unique, grave, rocailleuse et menaçante. Le message politique délivré par Spectre prend forme sur l'écran au fond de la scène, marches militaires, patchwork de symboles du groupe, mouvements lumineux abstraits, tout se mélange et s'associe. Aucune communication directe avec le public n'aura lieu durant le concert, Laibach fait parler un ordinateur pour encourager le public à montrer son enthousiasme pendant que les membres du groupes restent dans l'ombre, Milan Fras un sourire aux lèvres devant sa farce tout à fait cynique. Après The Whistleblowers qui sonne presque comme l'hymne d'une nation peu encline à la démocratie, Koran renvoie vers des choses plus calmes avant que Resistance Is Futile dont la fin sera enrichie avec des bruits et des samples bien foutues. À la fin du morceau, Laibach quitte la scène et nous laisse un message sur l'écran : "Entracte".
Un compte à rebours de dix minutes s'enclenche et une image de Milan Fras singé en Oncle Sam nous encourage à rendre ce concert mémorable. "And now for something completly different". C'est la fameuse accroche des Monty Python (je vous disais que Laibach est une blague, géniale, mais une blague) qui annonce la suite du concert. Et effectivement, c'est différent. L'avant entracte se concentrait sur des morceaux plutôt lents et austères alors que la suite se fait avec plus d'énergie et d'entrain. Après Each Man Kills The Thing He Loves (reprise de Jeanne Moreau), retour sur Spectre avec Americana et We Are Millions and Millions Are One, le Divan commence à s'agiter d'avantage sur les tempos plus entrainant de cette deuxième partie. Les reprises (domaine d'excellence de Laibach) ont la part belle dans cette deuxième séquence avec, entre autres, du Bob Dylan à la sauce indus martial. Une blague Laibach, toujours, tout le temps. Le groove augmente avec l'énergique Eat Liver! et le dansant Bossanova (avec un authentique rythmique bossa à la batterie) avant que le groupe ne quitte la scène sur Geburt Einer Nation.
Retour sur scène en rappel avec une reprise complétement géniale de Love On The Beat de Gainsbourg (Gainsbach) avec le chant en français s'il vous plait, l'accent slovène offrant le petit plus qui va bien. Tanz Mit Laibach s'enchaîne, techno martiale sur paroles en allemand, l'effet est immédiat, la fosse remue dans la chaleur moite qui habite maintenant le Divan. Et avant de nous quitter définitivement, Laibach envoie une dernière reprise, la légendaire Leben Heisst Leben, dans un déluge de symbole sur l'écran géant. Un final parfait.
Laibach est devenu un groupe culte armé d'un humour corrosif et d'un don pour la provocation qui reste aujourd'hui assez unique, on retrouve sur leur merch des savons nommés Schwitz Aus !, ("Sue!" en français). Mauvais goût revendiqué (qui porterait un coiffe comme celle de Milan Fras ?), musique inventive et message politique qui frappe là ça fait mal, voilà la recette de longévité de Laibach : 35 ans de carrière cette année. Rien de plus à dire.