La créativité est sans équivoque une substance qui ne répond à aucune loi physique, puisqu'elle émerge spontanément au gré des inspirations. En musique, il n'est pas rare de voir un groupe publier un album et par la suite, ne plus entendre parler de lui pendant des années. MysticuM et Thorns en sont les parfaits exemples. Une fois de plus la Scandinavie est à l'honneur: la vague Black Metal norvégienne s'est essoufflée peu à peu vers la fin du millénaire passé. Toutefois, il demeure en ces contrées nordiques une poignée de groupes atypiques qui ne se sont jamais vraiment ralliés à une cause musicale. Même si dans l'esprit de tous, ces derniers font partie du paysage Black Metal.
A Umbra Omega arrive huit ans après Supervillain Outcast lui aussi arrivé huit ans après 666 International. Comme le disait si bien Aldrahn dans une interview récente: une année pour le groupe Thorns représente une dizaine d'années pour le commun des mortels. On peut aussi appliquer cette citation au processus de composition de Dødheimsgard. Le moins que l'on puisse dire c'est que le combo norvégien n'a pas fait les choses à moitié avec ce cinquième opus. Autant rentrer immédiatement dans le vif du sujet: A Umbra Omega est TITANESQUE !
Dødheimsgard est dans l'air du temps ! N'allez pas croire que le groupe s'est fourvoyé, bien au contraire ! Les musiciens ont tout simplement digéré une salve impressionnante d'influences de groupes qui ont marqué le nouveau millénaire. Notamment, Deathspell Omega, certains passages héritent des sons dissonants de guitares du groupe pictavien. Autre réminiscence majeure, les Suédois de Shining et leurs fameux ponts de guitare acoustique ou encore leur sombre mur rythmique, comme vous pourrez l'entendre sur plus d'un titre. On note également des incursions plus fugaces comme les trames si particulières propres à Blood Axis. Les envolés progressives d'Opeth n'ont pas échappées au quintette, elles se marient intelligemment à l'ossature des morceaux. Un patchwork indigeste me direz-vous ?...Il n'en est rien, le style Dødheimsgard est bien là et tout les éléments sur A Umbra Omega sont en harmonie. L'identité du groupe est bien présente dans les morceaux, à la première écoute on sait que l'on écoute Dødheimsgard et pas un autre groupe. Dødheimsgard a su muter intelligemment à travers les âges, puisque aujourd'hui, les éléments électroniques de 666 international ne sont plus d'actualité bien que quelques machines sournoises et discrètes persistent. L'expérimentation est une seconde nature chez les Norvégiens. Ainsi, les parties (semi) acoustiques, notamment les cuivres, le piano, la guitare sèche/guitare claire ont été développées et côtoient l'hystérie metallique la plus agressive.
Musicalement parlant ce cinquième opus propose des hymnes longs et novateurs. On atteint le quart d'heure sur chaque révélation et ici, l'originalité est mère de la démence. Pendant, plus d'une heure, le groupe navigue dans des registres musicaux aussi riches que variés - Black Metal, Death Metal, Post-Rock, Jazz, Progressif, Neo-Folk, Ambiant, Flamenco etc - avec une aisance et une fluidité déconcertantes. Les différentes structures des morceaux s'imbriquent les unes aux autres à la perfection. Pourtant, les titres sont labyrinthiques et ici la complexité se traduit par la folie et l'inspiration. Chaque hymne est énigmatique mais tellement cohérent que cela en devient perturbant. A tout moment, on a l'impression d'ouvrir et refermer une porte dans un corridor où se dressent d'autres portes à l'infini et ne plus savoir d'où l'on vient et où l'on va. Les hymnes ont chacun leur identité propre et renferment une énergie aliénante altérant les sens. D'ailleurs, les transitions au sein des pistes sont assez cosmiques. En effet, il n'est pas rare de passer d'une guitare froide ciselée sur fond de blast beat cataclysmique à une trame progressive jazzy délirante, dirigée par un piano mystérieux. Les passages éthérés et atmosphériques sont nombreux, c'est d'ailleurs sur ces longs ponts que les instruments acoustiques s'expriment et dessinent un relief mélancolique authentique. Cette nostalgie est accentuée par l'utilisation d'une guitare claire décadente. Si vous tendez l'oreille dans ce déluge sonore vous devriez percevoir des clins d'œil fantomatiques à Funeral Mist et Pantera.
Aldrahn est de retour, et il était attendu comme le Messie. Encore une fois ce musicien est l'homme de la situation, tout comme sur l' album 666 international, ceux de Thorns et de The Deathtrip. Notre héraut norvégien dévoile de nouvelles palettes vocales hallucinantes. Ce mec n'est pas humain, c'est le piédestal qui permet à Dødheimsgard d'atteindre la quintessence. Il est impossible de rester indifférent face à ce funambule des cordes vocales. Entre chant narratif improvisé et proclamations d'alcoolique, Aldrahn est sur tous les fronts. Le chant clair et les growls ne sont pas omis. L'exercice est convaincant et le vocaliste s'impose avec puissance et sincérité.
La production est un autre domaine où Dødheimsgard fait la différence. L'enregistrement est singulier et ne sonne comme rien d'autre ou presque ! C'est d'ailleurs un défi qu'a relevé le groupe en combinant autant d'éléments acoustiques aux trames électriques frénétiques, puisque chaque piste constitue une source d'énergie harmonique et spirituelle. Si vous cherchez quelque chose d'inédit en termes de son et de production, A Umbra Omega est assez exceptionnel et devrait vous surprendre. La horde norvégienne n'a que faire des affiliations sonores, encore moins des techniques modernes de production destinées à ruiner un enregistrement. A Umbra Omega se pare de textures organiques, qui au fil des écoutes nous illuminent d'une image sonore détaillée et expressive qui n'est pas sans rappeler celles de Satyricon et de Thorns. Les essences et les fluides tapissent et colorent ces fresques extravagantes qui provoquent chez l'auditeur des chocs auditifs et émotionnels.
Dødheimsgard fait partie de ces groupes qui ont révolutionné la musique dans la petite sphère hermétique du Black Metal. Les norvégiens se sont affranchis musicalement au fil des années pour arriver à créer un univers à l'identité sonore atypique et inimitable. Ce nouvel album ne déroge pas à la règle et le retour du mentor Aldrahn ne fait que renforcer ce sentiment de puissance et d'originalité. A Umbra Omega est sans aucun doute un album voué à devenir une référence musicale. Dødheimsgard atteint la transcendance et rejoint Thorns dans un univers que trop peu de groupes sont aujourd'hui capables d'atteindre.
Track listing:
01.The Love Divine
02.Aphelion Void
03.God Protocol Axiom
04.The Unlocking
05.Architect of Darkness
06.Blue Moon Duel