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Il est étrange de constater pour combien Disintegration était un début pour The Cure, alors qu’il est plutôt à considérer comme une fin. Comme pour mieux repartir.
Premier véritable succès commercial, incluant l’outre-atlantique, Disintegration n’était pas spécialement attendu des fans hardcore du groupe, ni de ceux qu’il laissait indifférent. Aborder le Cure des années 80 sans faire un bref historique ne permettrait pas de positionner correctement la démarche d’un groupe qui jusqu’alors n’avait pas sorti d’album ‘pour rien’.
Chez les Cure à cette époque, chaque album répondait à un état d’esprit. De la candeur punk juvénile de Three Imaginary Boys a émergé l’inoubliable trilogie glacée constituée de 17 Seconds / Faith et Pornography. Trois albums qui, partis d’une nuance de gris ont viré au noir absolu, accentuant le minimalisme et distillant le goût rance de la tourmente, tellement réussis qu’une génération entière n’aura pas accepté, et n’accepte toujours pas, l’évolution du groupe percevant ad vitam les Anglais figés dans le début des années 80. S’en est suivi l’injustement incompris The Top, sans doute l’album le plus ‘Curesque’ qu’ait jamais sorti le groupe. L’accent très pop de The Head on the Door et son lot de tubes a occulté ses morceaux de bravoure, et l’énergique Kiss Me Kiss Me Kiss Me, bien que réussi, versait peut-être dans la surenchère.
Car The Cure avait besoin de sortir de son carcan minimaliste et nihiliste, pour respirer, et on le comprend. La bouffée d’oxygène pour Robert Smith, maître à penser historique du groupe, a été sans doute Kiss Me, Kiss Me Kiss Me (dont le morceau éponyme est juste magistral), mais à trop vouloir en faire, peut-être s’est-il perdu dans l’excès de notes, l’album était trop abrupt pour que la transition se fasse en douceur, tant et si bien qu’il y a fort à parier pour que ce skeud ait été acclamé s’il était sorti quelques années plus tard. Ainsi, Disintegration, et son titre plus qu’évocateur a vu le jour au crépuscule des années 80, comme le symbole d’une ère des Cure qui se referme. On la remanie, on la réinvente, on la désintègre.
Disintegration est sans doute l’album le plus millimétré de The Cure. Un lien avec son passé, qui oserait enfin faire face à son avenir, qui reconnaît et accepte ce qu’il est et a été, qui ne se cherche plus, qui clôt définitivement et avec une grande sensibilité le chapitre cold-wave dont Smith a été l’une des figures essentielles.
Mélange intelligemment dosé entre minimalisme et recherche de mélodie, Disintegration est un album complet, long et intense, au cours duquel a chaleur pop côtoie la froideur implacable de la new-wave. Solennelle dans son ouverture, Plainsong replace les claviers sur le devant de la scène, la rythmique éthérée refait surface, The Cure rassure et cette introduction énigmatique invite le réfractaire à en connaître plus. Car la mélancolie si prononcée sur la trilogie glacée s’exprime ici avec davantage de retenue, comme déclamée en filigrane. On comprend que les Cure n’ont plus envie de mettre sur bande la colère, mais que les sentiments forts qui en découlent sont toujours aussi vifs, tenaces, mais plus contenus qu’auparavant. La fêlure d’un groupe en déchéance se referme avec une douceur nimbée d’amertume, Robert Smith contemple avec des yeux adultes sa rage adolescente, l’assimile et façonne ses sentiments dans une mise en musique et accouche de son album le plus à fleur de peau.
Disintegration est une invitation à l’abandon, varie les émotions, toujours dans un équilibre indescriptible entre douleur sourde, résignation et optimisme, qui prouve encore une fois que Robert Smith sait composer des titres voués à devenir des classiques (Lullaby) tout comme des morceaux plus ténébreux et lancinants. Le magistral morceau-titre, véritable pièce maîtresse de cet album, laisse libre court à la plume incroyable du leader, parolier intelligent et acéré qui sait développer ses textes en leur conférant une vraie dynamique, une intensité de tout instant, sans négliger le double, voire triple, niveau de lecture. Ce morceau justifiant largement l’achat de l’album représente musicalement le Cure le plus pur. Simon Gallup répète sa ligne de basse sur 8 minutes, quelques mélodies se greffent, une seule et unique variation de rythme viendra ponctuer l’intensité croissante des textes d’un Smith de plus en plus en voix, tout est fait de nuance, de montées en puissance, tout est pesé et lorsque ça saute aux yeux, on croit à la révélation.
Disintegration s’adaptera à vous, vous l’apprécierez selon votre condition morale. Il peut se révéler noir comme l’abyme ou lumineux selon vos dispositions, mais jamais au cours de l’heure qui traverse l’album, la délicate tristesse qui le parcourt ne s’estompera. Le rythme et la construction d’un Fascination Street, la candeur apparente d’un Pictures of You, la resignation d’une superbe Closedown (But Christmas falls late now / Flatter and colder / And never as bright as when we used to fall / And even if we drink I don't think we would kiss in the way that we did / When the woman Was only a girl), la ténébreuse et délicate The Same Deep Waters as You, tout cela fait de Disintegration un album de Cure des plus magistral en ce qu’il rappelle son meilleur et surprend car il aborde avec intellect et sans guimauve ou presque le thème de l’amour, toujours passé au travers du prisme Robert Smith.
Une carte de visite des Cure, un album d’un groupe qui a su évoluer, qui est le fruit d’une maturité avec ce qu’elle comporte d’aplomb nouveau, une digestion du passé et l’envie d’aller de l’avant, Disintegration, c’est la conclusion en apothéose d’une ère qui ne reviendra jamais. Une certaine vision du romantisme écorché vif, une humanité certaine et beaucoup de sensibilité caractérisent cette traversée onirique et presque spirituelle du monde de Smith & Co.
Voilà pourquoi ce sera une notation sous la sacro-sainte égide du terme Culte. Sur la pléthore d’album des Cure, si deux albums doivent mériter ce label, ce seraient les deux premiers chroniqués (pour le moment) en ces colonnes : Pornography et Disintegration
Insuffler de la grandiloquence, du relief et de l’intensité au minimalisme, voilà précisément ce que vous propose Disintegration, et à plus forte raison, le savoir faire made in The Cure.
Indispensable et pour la peine, et une fois n'étant pas coutume :
1. Plainsong
2. Pictures of you
3. Closedown
4. Lovesong
5. Last dance
6. Lullaby
7. Fascination street
8. Prayers for rain
9. The same deep water as you
10. Disintegration
11. Homesick
12. Untitled