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On parle de progressivité lorsque l’on est face à un phénomène d’innovation, de dépassement des frontières établis et d’une certaine volonté d’expérimentation.
Devenu à tort un terme fourvoyé avec le temps, la musique dite progressive est bien souvent, aujourd’hui, le synonyme d’un art pédant et prétentieux, aux démonstrations techniques propres à s’exprimer sur des sentiers profondément ancrés dans un égocentrisme certain, où l’art du paraître est au moins aussi important que celui du résultat global et émotionnel.
Les sirènes de la reconnaissance personnelle ont bien souvent emporté des musiciens doués d’un potentiel technique incroyable mais dont la créativité se résumait à une vitesse d’exécution frisant la zéro absolu du feeling. Si donner des noms est tout aussi ridicule que potentiellement incorrect, tant les avis peuvent diverger sur cette notion de démonstration, traiter de groupes appelés progressifs mais faisant office d’exception est tout autant essentiel.
Nous avions abandonné Mastodon après un "Crack the Skye" bouleversant et résolument grandiloquent dans sa recherche d’atmosphères, extrême dans ses émotions mais pourtant tellement plus beau et planant que les premiers opus bien plus hardcore ou qu’un génial "Blood Mountain" où le génie se trouvait dans une excentricité de chaque instant, présente dans chaque idée et chaque parcelle de composition.
Suite à ces deux disques, fondamentalement différents, visant des publics différents (même si pouvant se rejoindre), il était difficile de savoir vers quelle direction allait se tourner les fous furieux d’Atlanta, plus cinglés que jamais dans leurs nouvelles photos promotionnelles et à l’évocation d’une cover des plus étranges, sorte d’Alien-vache en bois, aussi horrifique que potentiellement drôle et comique par son improbabilité. Dans ce contexte déjà bien étrange, "Black Tongue" déboule et pose un panorama n’étant pas étranger, mais se différenciant significativement de son homologue « fissuré » par sa simplification d’un point de vue structurelle, sans pour autant délaisser la technique si particulière du groupe, notamment celle de Brann Dailor derrière ses futs, toujours aussi tentaculaire, instable et imprenable dans son jeu de toms si déboulonnant. Vocalement, on se retrouve plus proche de ce que nous proposais "Blood Mountain", mais de manière plus aéré, plus « vocale » presque, en s’offrant un côté plus stoner et posé, plus émotionnel mais sans aller non plus dans l’aspect planant du disque précédent. La complicité entre Brent et Troy est évidente et plus marquée que précédemment, ne jouant pas sur les contrastes mais au contraire sur une certaine unité.
En apparence, "The Hunter" peut paraître plus accessible, bien que la totalité de l’album soit difficile à digérer lors des premières écoutes. Les structures ont été simplifiés, les américains ont également insufflé un groove bien plus important aux compositions, rendant les refrains bien plus mémorisables et catchy que par le passé, et les compositions se recoupent principalement dans un intervalle de trois à cinq minutes. Bien loin des "The Last Baron" ou "The Czar" en y pensant…mais néanmoins, l’aspect de musique progressive est plus que jamais présente. Cette impression de compacité, d’idées folles compilées en si peu de temps…Mastodon exprime bien plus de choses en quatre minutes, d’idées, d’émotions, de créativité que Dream Theater a pu le faire en douze avec son dernier opus.
Pour un "The Hunter" plus lent, magnifique et planant, on trouvera un "Spectrelight" complètement ébouriffant, rapide, technique et agressif, basé sur un riff central monstrueux et cette sensation de constante évolution, de mouvement, particulièrement grâce à cette base rythmique basse/batterie conquérante et omniprésente.
Mais plus encore, "The Hunter" est un tout, un ensemble cohérent où chaque pièce, dans son individualité, participe à la cohérence de l’ensemble qui le compose. Il est difficile de déceler des titres plus que d’autres, tant chacun peuvent devenir des hits potentiels mais abordent paradoxalement des univers différents. "Octopus Has No Friends" lui, recoupe l’aspect expérimental plus ancien des musiciens d’Atlanta, avec une technicité incroyable mais une beauté pure s’en dégageant, sans superflu, sans enrobage tout en gardant un niveau purement impressionnant, que ce soit dans cette rythmique au tapping, ce batteur exceptionnel (surement l’un des meilleurs aujourd’hui) ou ces mélodies vocales passées au vocodeur pour conférer une spatialisation musicale rare. Le déjà bien connu "Curl of the Burn" se penche quant à lui vers un stoner bien plus groovy, reconnaissable entre mille mais aussi divinement beau et mélancolique, tout en conservant cet aspect enfumé et psychédélique propre à Mastodon, particulièrement dans la distorsion des grattes et un break sublime à pleurer. "Stargasm", tout aussi ésotérique et propre au monde de la drogue et des illusions, continu dans cette dimension très progressive, pour un des morceaux les plus marquants du disque.
L’ensemble se terminera sur le sublime "The Sparrow", renvoyant directement à l’album précédent, comme un rappel de l’expérimentation Crack the Skye, mais sans la renier si la mettre de côté, même si le groupe déclare vouloir aujourd’hui offrir autre chose, notamment en live pour des prestations plus furieuses et rock n’roll. Atmosphérique et simplement belle, propre à nous faire voyager très loin, cette ultime composition laisse la porte ouverte à un prochain opus plein de mystère et qui s’éloignera dans une direction encore probablement différente et labyrinthique. Mastodon prouve avec ce cinquième album qu’il est devenu un grand de la scène progressive avec qui il faut définitivement compté, même s’il évolue dans une optique souvent radicalement opposé aux groupes dits progressifs conventionnels. Mastodon est un électron libre qui définit lui-même ses propres règles…et "The Hunter" en est une nouvelle preuve…et quelle preuve…Sans être certain qu’il disposera du même impact de ses prédécesseurs, qui leurs avaient ouverts les portes de la renommée internationale, "The Hunter" est une œuvre complète, cohérente et taillée dans la plus brute des roches. Merci.
1. Black Tongue
2. Curl of the Burl
3. Blasteroid
4. Stargasm
5. Octopus Has No Friends
6. All the Heavy Lifting
7. The Hunter
8. Dry Bone Valley
9. Thickening
10. Creature Lives
11. Spectrelight
12. Bedazzled Fingernails
13. The Sparrow