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L’œuvre de la maturité…
Elle nait parfois très rapidement tandis que certains bâtissent un édifice déjà imposant avant de porter la pierre la plus flamboyante à la forteresse déjà construite. Dans un cas comme dans l’autre, l’artiste y voit souvent une consécration alors que paradoxalement, il est souvent le point d’orgue dans une carrière où les adorateurs commencent doucement à décliner ou à douter du groupe. Il est en effet toujours difficile de passer derrière une œuvre majeure, et le temps et l’expérience aidant, les auditeurs deviennent malheureusement de plus en plus frileux et inquiets lorsqu’un artiste semble être à l’apogée de son art.
Car, comme le dit si bien Saez, « lorsque l’on est au sommet, on ne peut que descendre…ou apprendre à voler ». Des mots justes et cruels qui laissent penser que l’excellence amène inéluctablement la déception…que la perfection est le meilleur chemin vers la médiocrité…
Que dire dès lors du futur de Trivium à l’aube de sortir le meilleur disque de sa carrière ?
Rien, simplement partager pleinement et profiter de leur « œuvre de la maturité », d’une qualité, d’un art et d’une excellence que nous n’aurions probablement jamais pu espérer chez les californiens.
Après les cartons commerciaux que furent "The Crusade" et "Shogun", Trivium semblait plus que jamais attendu au tournant. On se souvient particulièrement d’un quatrième album pas toujours très équilibré, se perdant dans une certaine pédanterie à vouloir montrer combien les musiciens étaient des techniciens hors-paires, et manquant parfois grandement d’efficacité. On se souvient aussi d’une certaine linéarité dans des structures interminables allant constamment entre six et huit minutes, évoquant dans l’esprit un Dragonforce qui se serait mis au thrash. Trivium manquait encore de cohésion et marquait des erreurs de jeunesse qui commençaient à devenir embarrassantes.
De retour après trois ans d’absence, une collaboration pour la bande originale du jeu-vidéo « God of War III » et surtout un changement important de line-up (le départ de Travis Smith pour l’arrivée de Nick Augusto à la batterie), "In Waves" s’apprête à marquer durablement l’esprit.
En effet, il est de ces albums comme les groupes n’en composent parfois qu’un seul dans toute une carrière, cohérent dans la démarche, au concept fort, aux textes savamment écrit et à la musique à l’apogée de sa personnalité. Les cheveux fraichement coupés et arborant un look de professeur d’université, le maitre d’œuvre Matthew Heafy a composé un album extraordinaire aux multiples qualités, à l’intelligence rare dans un genre pourtant tellement décrié, à la frontière du thrash, du heavy, du core et du death.
Composé de dix-huit morceaux dans la version limitée, "In Waves" ne souffre pourtant d’aucune longueur tant chaque composition dispose de sa personnalité propre et s’inscrit dans un schéma complet, chacune étant indispensable à l’ensemble pour être complètement comprise. Ainsi, l’écoute de pistes isolées devient une vraie erreur face à ce disque au concept des plus audacieux sur la notion même de conceptualité ( ?) .
Ce qui marque dès l’ouverture étrange et expérimentale de "Capsizing the Sea", et notamment du titre éponyme, c’est la production monstrueuse concoctée par Colin Richardson, s’étant une nouvelle fois dépassé. Étrangement, si le morceau débute sur le nom de l’album clamé de la manière la plus brute qui soit, cette première composition laisse exploser un talent mélodique que le groupe n’avait encore que trop peu exploiter, et venant en grande partie de Paolo Gregoletto (chant beaucoup ici), très investi dans la production de ce cinquième album. Entre une ligne mélodique superbe, de multiples chœurs parsèment le morceau, également agrémenté de discrètes lignes de claviers conférant une richesse inédite à la musique du quatuor, une musicalité tout autre. Toujours aussi affuté techniquement, Matt et Corey Beaulieu distillent des soli ébouriffants mais ayant réussi à épurer les excès démonstratifs d’antan, et ne gardant que la quintessence de leur talent.
Très mélodique comme introducteur, avec l’alternance des trois voix, également à son meilleure niveau (Corey et Paolo semblent avoir énormément travaillé le chant de leur côté aussi), "Inception of the End" accélère violemment le rythme, et démonte une rythmique thrash impitoyable surmonté des vocaux hurlés de Matt et Corey combiné, pour pondre un refrain stratosphérique et superbe, avec en ligne de fond un riff incroyablement technique, le tout expulsé par la batterie monumentale de Nick Augusto, qui démontre après le fameux "Shattering the Skies Above" qu’il est bien plus polyvalent et surtout technique que Travis. Il suffit d’écouter son jeu de toms sur ce morceau, puis le blast envoyé sur une partie pourtant planante, créant un contraste des plus magnifiques, très progressif et dans l’esprit, comme le fit si souvent Devin Townsend ou Textures.
Nouvelle surprise, et de taille, avec le démoniaque "Dusk Dismantled", à l’atmosphère oppressante et d’une noirceur inédite pour les floridiens, partant même complètement du côté des Strapping Young Lad ou Fear Factory tant les vocaux sont brutaux (quasi death, sans sourciller), les riffs techniques et possédés et surtout, ce refrain écrasant au possible, incroyablement brutal et aussi lourd qu’une presse hydraulique. Une atmosphère malsaine parcourt chaque note de cette composition, que ce soit les soli ou ce passage apocalyptique juste après, avec une double pédale monumentale, les hurlements de Matt et même, en filigranes, ces arpèges funestes qui viennent noircir encore plus le morceau, dans une atmosphère de mort et de fin du monde complète. Une chanson époustouflante de bout en bout, collant d’ailleurs très bien avec l’artwork sublime, originale, aussi grand que minimaliste, imposant que subjectif mais avant tout très sombre.
Peut-être plus typique mais tout aussi symptomatique de cette qualité de tous les instants, "Watch the World Burn", "Built to Fall" ou "Caustic Are the Lies That Bind" transpire une ambiance plus propre au Trivium auquel nous pouvions nous attendre. Notamment le premier cité, à la partie de batterie très intéressante, au riff alambiqué et couillu en diable pour déboulé sur un refrain mélodique imparable qui n’est pas prêt de vous lâcher, chanté en doublette entre Matt et Paolo. La richesse de composition apporte de multiples couches, que ce soit dans les guitares, des arpèges acoustiques que l’on retrouve un peu partout lorsque l’on tend l’oreille, les parties de batterie plus aventureuses et bien moins linéaires qu’avant (on ne se limite plus à une double pédale mitraillant l’ensemble des morceaux), les lignes de chant souvent lumineuses (les parties hurlés extrêmement agressives de "Caustic Are the Lies That Bind" contrebalançant avec une ligne aérienne en chant clair à pleurer…) on ne peut que saluer l’énorme masse de travail qui a été abattu à la composition et surtout cette envie, et réussite, d’émancipation de Trivium d’un monde musical encore trop puéril et « teenagers » parfois. On ressent enfin clairement que les adolescents sont devenus des hommes…
Il est également impossible de ne pas évoquer le monstrueux "Black", peut-être la meilleure composition de l’album, avec un riff simple, répétitif mais agressif, couillu et bourrin en diable, pour un refrain martelé et une partie de double pédale absolument jouissive (couplé à ce riff absolument génial dans sa relative simplicité, preuve qu’ils savent aussi doser leur technique aujourd’hui). Le second refrain amène à un petit duo guitare / batterie monumentale avant une reprise d’un chant typiquement hardcore pour venir démolir ce qu’il vous restait encore de cervicales. Probablement un futur grand moment des concerts.
Je ne vais pas traiter de chaque autre composition en détails, le travail serait long, fastidieux et inutile devant cette (déjà) avalanche de superlatifs élogieux envers des floridiens qui m’ont clairement surpris alors que je ne les attendais pas du tout. On pourra simplement regretter uniquement certains bonus plus dispensables, et allongeant le disque sans forcément apporter encore de l’eau au moulin ("A Grey so Dark", le plus violent "Drowning in Slow Motion" évoquant les vertes années du combo) mais on se félicitera de tenir enfin le destructeur "Shattering the Skies Above" sur disque tout en se posant des questions sur l’intérêt de la reprise de Sepultura "Slave New World", excellente mais un peu redondante après déjà soixante cinq minutes de musique (Shogun en faisait presque quatre-vingt et on touchait vraiment l’overdose).
Néanmoins, si les bonus restent dispensables, la version les accueillant est esthétiquement superbe, entre le livret (dans la veine de la pochette) et le dvd très intéressant contenant nombres d’interviews et des morceaux enregistrés « live » en studio, pour un rendu plus brut de quelques nouveaux morceaux et quelques anciens ("Ember to Inferno", "Down from the Sky"…).
Trivium vient probablement de sortir le disque le plus marquant du genre depuis le fameux "The Blackening" de Machine Head (et en attendant "Into the Locust" prévu pour la fin de l’année) et enterre avec une facilité déconcertante l’ensemble des sorties death mélo de l’année (In Flames, Arch Enemy, Omnium Gatherum, Scar Symmetry) dans un genre souvent peu éloigné.
"In Waves" est un grand album par un groupe qui fut souvent critiqué par son manque de prise de risques et le fait de se concentrer sur un jeune public sans repères, influences ni références. La bande à Matt Heafy vient de prouver intelligemment qu’ils étaient avant tout de grands artistes, des compositeurs chevronnés et des interprètes talentueux, savant aujourd’hui jouer un peu près ce qu’ils voulaient.
J’ajouterais un dernier mot à leur égard : merci.
1. Capsizing the Sea
2. In Waves
3. Inception of the End
4. Dusk Dismantled
5. Watch the World Burn
6. Black
7. A Skyline's Severance
8. Ensnare the Sun [*]
9. Caustic Are the Ties That Bind
10. Built to Fall
11. Forsake Not the Dream
12. Drowning in Slow Motion [*]
13. A Grey so Dark [*]
14. Chaos Reigns
15. Of All These Yesterdays
16. Leaving This World Behind
17. Shattering the Skies Above [*]
18. Slave New World [*] {cover Sepultura}