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La caution grunge du webzine.
Notre inconscient collectif a tendance à attribuer aux pays d’Afrique du Nord, traversés par des paysages désertiques de renommée mondiale comme le Sahara ou le Chott el-Jérid, une prédisposition au stoner rock, comme une extension naturelle de la scène états-unienne. Or, si les déserts n’ont aucune frontière – au sens qu’ils représentent le trésor de bien des peuples – le genre sus-cité, lui, en a une. En Tunisie, son assise est limitée, ce que confirme Mehdi Beltaief, leader de Shade, pour Horns Up : « Nous évoluons dans un style à la fois confidentiel et en perte de vitesse. Le Sailing Stones essaie de promouvoir le rock psychédélique, le stoner et d’autres projets périphériques, mais il reste un festival dont l’existence dépend fortement des subventions d’organismes étrangers et qui programme également des artistes électro ou “extrêmes” ». À défaut d’avoir été un acteur de ce changement, le quintet en est demeuré spectateur, durant toutes les années où le groupe a alterné entre des éclairs créatifs et des périodes d'inactivité prolongée. Formé en 2005, au cours de l’adolescence de ses membres, Shade est réapparu au moment du confinement, à la suite de plusieurs séances de jam et d’écriture de ce qui allait constituer son premier EP – Under Distant Suns.
Les Tunisiens ne bousculent d’aucune manière les codes du genre. Toutefois, la diversité des morceaux et des influences, vocales en particulier, « revitalise » le stoner rock, plus habitué à une forme de pureté musicale qu’aux nouveautés. Pour toutes ces raisons, cet EP – conçu de manière artisanale – véhicule un intérêt certain. L'entrée en matière s’effectue pourtant via un morceau « mirage », « Ashes », nous laissant penser à un familier de Clutch. Il n’en est rien. Ou plutôt, l’art de Shade s’étend au-delà du stoner, malgré un chant râpeux et hypnotique, ainsi que des effets radio sur la voix (« Reef ») ou encore des passages rock’n’roll (les « try to escape » éraillés de « Quicksand », écrit en 2012). Car le collectif développe une musique alternative aux inspirations grunge latentes, comme le souligne le chroniqueur Steve Howe (Outlaws Of The Sun).
Et il faudra d’ailleurs attendre le troisième morceau avant que le style « ne se fixe » dans l’esprit de l’auditeur et de l’auditrice. En effet, le groupe nous surprend lorsqu’il quitte son onctueux désert et assène un titre plus nerveux, « Reach », à la limite du thrash metal, sur la première partie. On peut saluer la qualité de la production, qui parvient à être moderne, tout en recréant par le mixage une ambiance « guerrière » typée ‘80. Pour le dessert, Shade choisit de montrer une autre facette de sa personnalité grâce à des compositions riches, voire habitées en downtempo. « Too Soon » est une surprise inattendue. À défaut de vaciller dans le blues touareg, il y a cette volonté d’emmener la guitare ailleurs, vers quelque chose de plus lointain, « d’exotique », en la modelant à la manière d’une improvisation. « On n’a pas encore su pleinement exploiter les paysages tunisiens, de manière à les faire coïncider avec la musique », témoignait le chanteur, non sans modestie. Au regard de ce titre gracieux et équilibré, cet objectif paraît atteint. Sans doute le serait-il encore davantage sur un album – un format propice à la création et au développement d’ambiances.
Under Distant Suns est la première pierre de la discographie de Shade, qui appelle un futur prometteur. Le groupe ne se positionne ni dans une forme d’allégeance au stoner, ni comme une contrefaçon étrangère ; il propose un EP à son image et à celle de la Génération Y.
Tracklist :
- Ashes
- Reach
- Quicksand
- Too Soon
- Reef