La caution grunge du webzine.
Dans le 62ᵉ numéro de New Noise paru en mai 2022, Fàtima annonçait vouloir donner corps à ses influences orientales. Un ésotérisme musical, qui, au temps du Seattle Sound, répondait surtout à une entreprise de déstabilisation, à l’origine de celles et ceux affirmant leur identité punk. Le cas des Français est éminemment différent. Cet « exotisme » affiché sur Eerie reflète des choix artistiques sérieux, mûris, à l’image de Live, porte-étendard d’un grunge oriental via Secret Samadhi. Ce 4ᵉ album devra aussi étouffer les quelques voix dissidentes, reprochant à demi-mot les « effets d’annonces » du trio, au cours d’interviews ou sur ses réseaux sociaux. Celles-ci résultaient essentiellement de la capacité des musiciens à associer des couleurs, des images, des scènes, des étiquettes à leurs propres morceaux. Voire à les surinterpréter ? La réponse à ce petit malentendu tient en une phrase : « J’ai l’impression que l’imaginaire est en train de s’épuiser à notre époque, que les sorciers ont perdu, ou plutôt ont choisi de perdre leur magie », témoignait Antoine. Aujourd’hui, ce dernier fait honneur à sa propre déclaration.
Il y a de la candeur dans ces mots. Mais la musique raconte une tout autre chose. Eerie signifie « inquiétant ». Ce chant éraillé, sec, modulé comme celui de Kurt Cobain (concentrant l’essentiel des critiques faites au groupe), n’a jamais été aussi légitime à figurer à l’intérieur d’un de leurs albums. Il accentue en effet l’ambiance caniculaire, voire le sentiment de déréliction, qui irrigue les morceaux. « Portuguese Man O' War » joue sur les deux tableaux. Cette prédominance de la répétition (de refrains, de motifs, de mélodies) suggère la traversée d’un paysage désertique dupliqué à l’infini. Alors quid de l’artwork représentant un alien ? La filiation entre le visuel et la musique s’opère à deux niveaux. Premièrement, grâce au concept originel du disque, résumé de la façon suivante : « L’apparition de la Vierge Marie en 1917 dans la ville de Fatima au Portugal n’était-elle pas extraterrestre ? ». Et, en second lieu, les samples de films de soucoupes volantes dispersés dans l’album (« Ceremonies », « Mosul Orb » ou encore « Blue Aliens Wear Wigs », référence directe à They Live de John Carpenter), sont un clin d’œil supplémentaire à la pochette.
À plusieurs niveaux, le trio s’est montré très perspicace en choisissant « Miracle of the Sun » comme premier single. Le titre sort de l’ordinaire ; il porte en lui une gaieté contagieuse, absente du reste de la tracklist, tout en se montrant simultanément plus lancinant. La manière dont sont introduites et mixées ces touches orientales rappelle sans équivoque Soundgarden à partir de Superunknown. Dans sa volonté, toujours, de comprendre cette musique, ses codes, avant de la pratiquer et – grunge oblige –, de la déformer.
Du côté de la production, Fàtima fait preuve de constance, en se fiant à une recette éprouvée. Le son, par exemple, emprunte à un grunge roots et, à de rares occasions, au shoegaze, à l’instar d’« Hypericum ». Le solo final tourbillonnant l’illustre fort bien. L’instrumentation – lourde –, crée parfois un nuage sonore. Elle exerce son hégémonie sur des vocaux qui, lorsqu’ils perdent en énergie, facilitent assez nettement sa domination. Lors des couplets, Antoine a quelquefois recours à un chant clair et vaporeux à la Moist, utilisant l’air aspiré (« Ceremonies », « Hypericum »). Cette caractéristique, ajoutée aux guitares brouillonnes, saturées, renforce l’influence susnommée. Et si effectivement, ces éléments nous sont familiers, ils servent une intention différente ici, celle de développer un psychédélisme moyen-oriental jusqu’au-boutiste, accompagné par de vrais instruments traditionnels (darbouka, saz...). Là où précédemment, il s’agissait davantage d’un « vernis » ou d’expérimentations (cf. Fossil).
« Mars, et ça repart ! » Fàtima poursuit son ascension, en quittant le jurassique pour une exoplanète insondable abritant des hyper-êtres visqueux. En une décennie, les musiciens ont développé un enthousiasme critique indéniable au sein du mouvement alternatif. En outre, et avec le talent qui est le leur, ils pourraient tout à fait prétendre à une notoriété similaire à celle connue par Superheaven (ex-Daylight) aux États-Unis.
Tracklist :
- Ceremonies
- Ant Mill
- Miracle of the Sun
- Portuguese Man O' War
- Cyclops Cave
- Hypericum
- Mosel Orb
- Three Eyed Enoch
- Blue Aliens Wear Wigs