Rubrique Necro #14 : Nocturnus AD, Morgue, 200 Stab Wounds, In Vain...
mercredi 24 juillet 2024Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.
C'est l'été mais on ne chôme pas chez Horns Up ! On vous a concocté une nouvelle rubrique nécro' pour vous abreuver de death metal pendant vos congés estivaux. Que vous soyez encore au boulot, en vacances ou que sais-je, voilà un morceau de l'actualité de la scène death metal de ces trois derniers mois !
Groupes évoqués : Morgue | 200 Stab Wounds | Goresoerd | Tzompantli | Nocturnus AD | In Vain | Malignancy | Profanation | Machiavellian God
Morgue – Close To Complete Darkness
Death metal – France (Godz ov War Productions)
ZSK : On avait laissé Morgue en 2022 avec Lowest Depths of Misery, son pas-tout-à-fait quatrième album vu qu’il s’agissait d’un réenregistrement complet de Doors of No Return, son troisième méfait - premier depuis sa reformation en 2012. Il faut donc suivre mais maintenant, c'est sûr, le duo français (qui officie également avec Corrupter) va prendre des chemins plus classiques avec un deux… un quat… un cinq… enfin un nouvel album, 100% original et inédit, qu’est Close to Complete Darkness, toujours chez le bien méchant polonais Godz ov War.
Si Lowest Depths of Misery laissait encore le background deathgrind du groupe s’exprimer, ici on semble bien totalement basculer vers un death des plus ténébreux que ne renierait pas la grosse majorité du roster de Dark Descent Records. Vous ferez un ping à Sleap pour avoir une liste d’influences ou de comparaisons crédibles, j’en resterai à l’essentiel pour décrire ce death metal forcément très sombre et lourd mais aussi brutal. Avec un son râpeux mais puissant, Morgue s’engouffre définitivement dans les cavernes les plus sombres du death metal international, et Close to Complete Darkness d’être un nouvel avatar d’un death metal des enfers.
33 minutes ici, sans véritable surprise il est vrai. C’est un peu là que le bât blesse car au final Morgue ne fait ni mieux ni moins bien que Dead Congregation, Teitanblood et compagnie, s’il faut vraiment citer des noms. Tout comme Lowest Depths of Misery, Close to Complete Darkness est à prendre comme un bloc en pleine gueule, voguant entre accès très brutaux et ralentissements infernaux, quitte à parfois paraître redondant. Le duo est toutefois inspiré et souvent impressionnant de violence et de lourdeur (« Blemish », « Sacrificial Blood », « Towards Complete Darkness »), mais rien n’est révolutionnaire si on est vacciné à ce genre de death bien noir. Mais Morgue se distingue malgré tout dans la scène hexagonale avec cet album particulièrement solide, et montre que dans les cavernes du Sud de la France, on peut aussi accéder aux Enfers…
200 Stab Wounds – Manual Manic Procedures
Death metal – États-Unis (Metal Blade)
Pingouin : Quatre ans après un premier EP bien cradingue (Piles of Festering Decomposition), et trois ans après un premier full-length d'une qualité folle (dont on vous en parlait ici même), 200 Stab Wounds transforme l'essai avec ce Manual Manic Procedures, sorti le 28 juin dernier chez Metal Blade.
On est face à un léger tournant dans la discographie du groupe : jusqu'au premier album le quatuor de l'Ohio avait réussi à infuser son death old-school d'une grosse patte slam/gore, à grands coups de samples et de blasts ultra-nigauds. Ici 200 Stab Wounds, production estampillée Metal Blade oblige, explore un death metal un poil plus propre, plus massif, et peut-être un peu plus conventionnel. Ce qui n'enlève rien cependant au talent du groupe, en pleine maîtrise technique sur « Gross Abuse », ou encore « Led to the Chamber/Liquefied » et son solo d'anthologie.
Il y a sur cet album moins de folie que sur son prédécesseur. Mais la recette 200 Stab Wounds s'accommode très bien d'une production plus structurée, en témoigne le jouissif « Defiled Gestation ». Notons enfin la présence de Jami Morgan de Code Orange sur « Ride the Flatline », preuve de plus que malgré son ancrage artistique old-school, le groupe s'intègre bien à une scène extrême de plus en plus influencée par le hardcore (la bande à Steve Buhl et Ezra Cook avait déjà collaboré en 2023 avec Pain of Truth). Bref, une réussite de plus pour 200 Stab Wounds, qui défendra sa galette en tournée européenne au mois de novembre (et malheureusement pas dans l'Hexagone).
Goresoerd – Inkvisiitor
Death/thrash metal – Estonie (Autoproduction)
ZSK : Et si pour une fois, pour aller trouver du bon death/thrash scandinave, il fallait… traverser la Mer Baltique ? Et même le Golfe de Finlande pour aller chercher du côté de l’Estonie ce qu’on trouvait d’habitude en Finlande. Formé en 2004, Goresoerd était plus connu localement comme faisant du grind. Mais pour ce qui est son sixième album, Inkvisiitor, le sextuor de Tallinn va faire évoluer son style vers quelque chose de bien plus moderne… et intéressant.
Goresoerd a donc cette fois-ci regardé vers le Nord au-delà des eaux pour pondre un death/thrash mélodique bien vénère que n’auraient pas renié ses voisins de Hateform et Dead Shape Figure. Mieux, Inkvisiitor pourrait même rivaliser avec l’intemporel Origins of Plague des premiers et le très bon The Sworn Book des seconds, sorti l’année dernière. Soit un death/thrash tour à tour expéditif et travaillé, à la production moderne mais râpeuse, mais ici servi par un chant en estonien au charme si particulier, à l’instar de ses compatriotes de Metsatöll ou Urt, entre autres.
Inkvisiitor sera donc un album assez généreux (12 morceaux, 48 minutes), très énergique et dynamique, inspiré et réservant quelques surprises. Il faudra bien sûr se faire à ce chant déroutant entre hurlements death/thrash énervés et envolées semi-claires étonnantes. Mais entre les vraies bourrineries (le rentre-dedans « Lõpp » d’entrée, « Maokaev »), les tubes potentiels (« Katk », « Picatrix ») et les pistes plus épiques (« Valküür », l’incroyable final « Painaja »), Goresoerd sait comment accrocher son auditoire et livre un album très rafraîchissant. Avec certes un peu de déchet, et même si ce sont des codes connus pour du death/thrash nord-européen, Inkvisiitor a suffisamment de singularité pour se poser comme une des petites révélations du printemps.
Tzompantli – Beating the Drums of Ancient Force
Death doom – USA (20 Buck Spin)
S.A.D.E : Deuxième album pour le projet doom-death de Brian Ortiz, qui s'était d'abord fait un nom avec Xibalba et son association de death metal et de hardcore. Toujours inspiré des cultures mexicaines pré-hispaniques (Tzompantli étant le nom du rack où étaient exposés les crânes humains après les sacrifices rituels), ce nouvel album reprend les codes de son prédécesseur, en poussant tous les potards au max. Passé les premières secondes en forme de cheval de Troie où l'on croit se prendre un parpaing brutal death dans les gencives, le tempo retrouve sa pesanteur caractéristique et le sang coagulé commence à coller aux semelles. Du chant à la production, du riffing à la rythmique, tout est fait pour que le maître-mot soit lourdeur : Tzompantli est sans pitié aucune et déroule pendant quarante minutes une leçon de violence à infusion lente. On trouve quand même quelques moments pour respirer, notamment les passages où le groupe utilise des instruments traditionnels - à noter d'ailleurs que le line-up s'est considérablement élargi, avec l'arrivée d'une section de musiciens entièrement dédiée à ces éléments plus ritualistes.
Si Tlazcaltiliztli était déjà impressionnant, Beating the Drums of Ancestral Force est punitif. Et ce qui est particulièrement remarquable, c'est que, malgré le côté étouffant que l'on pourrait craindre, ce deuxième album s'écoute d'une traite et sans la sensation de trop plein qui peut parfois émerger dans ce type de configuration. Le genre de prouesse qui n'est pas à la portée de tout le monde.
Nocturnus AD – Unicursal
Techno-death metal – USA (Profound Lore Records)
ZSK : Il y a cinq ans, Nocturnus AD ouvrait un sacré portail spatio-temporel avec Paradox, retournant au début des années 90 pour nous extirper ce qui sera un des albums les plus anachroniques de ces dernières années. Mais cette nouvelle incarnation de Nocturnus, un des pionniers du techno-death, n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Le « concept » va donc continuer à vivre avec ce qui est ici le cinquième album de Nocturnus, le quatrième si on veut encore oublier Ethereal Tomb, le deuxième si on ne veut que compter Nocturnus AD et respecter les ayants-droits, enfin bref, le nouvel album de Nocturnus et pis c’est tout.
Alors Nocturnus AD est-il encore bloqué dans les années 90 ? Oui, mais pas tout à fait. Paradox était considéré comme la suite de The Key, et Unicursal continue donc son histoire. Et musicalement, Unicursal sera à Thresholds ce que Paradox était à The Key. A savoir un album un peu plus aéré et travaillé. Et pour faire un parallèle avec l’évolution d’époque, Unicursal va tout de même faire un pas vers un peu plus de modernité et sera donc nettement moins anachronique que ne l’était Paradox. Après, cela sonne quand même très old-school, jusque dans certains éléments de forme (cet écho sur certains patterns de batterie), mais Unicursal s’offre tout de même une production plus claire et plus en phase avec son temps, notamment sur les rythmiques. La fracture spatio-temporelle s’est finalement refermée…
Et pour le reste alors ? Unicursal sera un album assez dense… voire même un peu trop. Une heure de jeu, cinq morceaux dépassant six minutes (dont deux atteignant presque neuf unités), il faut se plonger dans l’aventure d’autant que le death de Nocturnus AD est tout de même plus tech’ que réellement progressif. L’ambiance est prenante avec des claviers très en vue et de nombreuses respirations en guise d’intros de morceaux, mais Unicursal est quand même un album très longuet, à prendre d’un bloc sans réelles accroches, même si les compos sont moins bordéliques que celles de Paradox. Le chant de Mike Browning est même un peu faiblard, trop trafiqué, parfois agaçant dans son ton systématiquement déclamé. Bref, Unicursal est un album pas déplaisant, peu accessible et qui nécessite de rentrer dans son trip toujours très old-school, mais qui pour le coup n’attirera dans son concept que les vrais acharnés du techno-death rétro-futuriste…
In Vain – Solemn
Death progressif – Norvège (Indie Recordings)
Michaël : In Vain n'est naturellement pas un groupe inconnu ; les Norvégiens ont eu leur heure de gloire à la fin des années 2000 / début 2010 avec la sortie de deux bangers (The Latter Rain et Aenigma) qui avaient eu un certain retentissement dans la scène européenne. Leur dernier album en date sorti en 2018, Currents, avait en revanche laissé un peu de monde sur le carreau - moi y compris - avec des compositions moins abouties et, d'une manière générale, un résultat un peu doucereux comparé aux efforts précédents.
Nécessairement, on attendait ce Solemn de pied ferme. Et autant dire qu'il corrige les écueils du précédent opus. Ce Solemn est fort appréciable dans sa capacité à fournir des titres fouillés, riches, faisant la part belle aux mélodies, sans pour autant sombrer dans nombre d'écueils du genre. Pas de titres trop pompeux ou bien trop longs, In Vain sait se tenir. L'alternance entre des passages très aériens en voix claire qui s'enchaînent avec des passages typés black mélodique comme sur l'excellente « Where the Winds Meet » est une réussite. C'est assez amusant de voir que le groupe ne s'est manifestement pas donné de limites dans la façon d'aborder les compositions de ce nouvel album. Il y a parfois quelques errements ou fragilités, mais dans l'ensemble ce Solemn vient fêter de la plus belle des façons une carrière de plus de 20 ans, désormais.
Malignancy– ...Discontinued
Death brutal technique – USA (Willowtip Records)
Storyteller : Imaginez le mix parfait entre des styles de death metal imbibés de technique et de brutalité. Un bon trait d'union entre Morbid Angel et Cryptopsy. Voilà les New Yorkais de Malignancy qui viennent poser leur patte sur le monde du death metal en 2024 avec leur album ...Discontinued. Alors avant tout commentaire plus détaillé, il faut quand même vous prévenir que ce groupe va nécessiter pas mal d'écoutes avant d'appréhender complètement le disque. En effet, Malignancy a à cœur de proposer une musique brutale et technique mais aussi infusée de parties qui explorent en tous sens. Neuf morceaux qui ne dépassent pas guère les quatre minutes. Ça donne quand même le temps de poser quelques structures qui vont vous chatouiller les neurones comme les breaks de « Irradiated Miscreation » ou le départ de « Haunted Symmetry ».
Le son est gras à souhait, pas de finesse ou de subtilité, Malignancy est un groupe bulldozer. On retrouve quelques passages obligés comme la citation de film au départ de « Ancillary Biorhythms », titre complètement dingue tellement les rythmes changent et nous matraquent les oreilles. Globalement, l'ambiance ne se pose pas beaucoup, même si on retrouve des moments plus mid-tempo comme « Decomposing Divinity », ça finit par vous péter à la tronche, et là encore il faut s'accrocher pour suivre le groupe tellement le morceau est... décomposé. Alors tout un album d'un trait, c'est pas simple à digérer mais le challenge est vraiment intéressant pour ceux qui cherchent un certain degré d'innovation dans le death metal tout en respectant des codes immuables. Un bon album avec une pochette bien moche, mais on ne juge pas un livre à sa couverture, n'est ce pas ?
Profanation – Skull Crushing Violence
Death grind – France (Iron Bonehead)
Sleap : Sorti à la toute fin 2023 au format digital, ce premier EP de Profanation bénéficie enfin d’une sortie physique chez Iron Bonehead. Et lorsqu’un nouveau groupe signe son tout premier enregistrement chez un aussi prestigieux label, on est en droit de s’attendre à du très lourd. Bon, je triche un peu car les musiciens en question n’en sont pas à leur premier méfait, loin de là. Le line-up est composé de trois ex-Goatspell : le batteur Dylan (également chez Perturbator) et les frangins Alexis et Antoine (l’un chez Venefixion depuis peu, l’autre chez Regarde les Hommes Tomber). Et pour couronner le tout, la guitare lead est assurée par nul autre que Kev Desecrator (dont le CV était pourtant déjà rempli à ras bord : Deströyer 666, Perversifier, Demonic Oath, Venefixion, Necrowretch, Sépulcre, etc, etc, etc). Comme on va le voir, cet énième groupe est plutôt une sorte de terrain de jeu pour nos quatre gaillards déjà très occupés.
En effet, cet EP judicieusement intitulé Skull Crushing Violence porte bien son nom ! Le death metal pratiqué ici est totalement régressif. Bien que « Profanation » fasse vraisemblablement référence au fameux morceau d’Incantation, nous sommes à l’opposé de ce death sombre et cryptique qui inonde la scène depuis plus d’une décennie. Pas de place pour le poisseux ni pour la lourdeur abyssale, le quatuor français nous balance vingt minutes de death primitif résolument 80s. Mais les influences vont également piocher du coté du grind et même du black bestial. En témoignent ces proto-blasts Repulsion-esques sur « Modern Sickness » (et son « Fuck ! » final qui ne trompe personne), ou encore ces clins d’œil à Conqueror/Revenge sur « Global Terror » (autant pour les slides d’intro que pour les soli fulgurants complètement déjantés). L’interlude « No Surrender » vient d’ailleurs compléter cet hommage à Nuclear War Now/Iron Bonehead. C’est donc via un groupe de death metal que les frères Maupas auront renoué avec leurs racines punk hardcore. Le tout est justement mis en boite par Maxime Smadja (ayant, entre autres, produit Rixe, Worst Doubt, Headbussa, etc.) histoire d’assumer pleinement cette facette de leur parcours musical. Une vraie bouffée d’air frais dans une scène death metal qui se prend parfois un peu trop au sérieux !
Machiavellian God – Beyond the Void
Death mélodique – Roumanie (ViciSolum Productions )
Michaël : Après beaucoup d'albums très rentre-dedans, vous prendrez bien une bouffée d'air frais, de mélodies et d'émotions ? Tout droit venu de Bucarest, Machiavellian God nous offre un second album que l'on peut mettre sous l'étiquette de death mélodique mais qui se situe en réalité aux confins du death, du doom et de l'atmosphérique. Lorgant clairement du côté lent et émotionnel du spectre du death metal mélodique, cet effort de cinq titres est bien mixé, équilibré et se nourrit des ingrédients que les aficionados du genre devraient apprécier.
Les influences et clins d'oeil sont légions, et on peut aisément trouver ici ou là des airs qui nous font penser à Be'lakor (comme sur les growls et les riffs en fast picking de « The Burden of Existence ») ou autres Countless Skies ; dans l'approche, en tous cas. L'omniprésence de voix claires peut parfois faire retomber le soufflé, mais le résultat global mérite toute sa place dans ces lignes. Tirons notre chapeau à ce groupe très UG qui, de toute évidence, a pondu un court album de qualité.