L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
Les plus attentifs d'entre vous n'ont pas manqué de noter une absence dans la première édition de notre nouvelle rubrique, Chasse le Dragon (et pour ceux qui l'ont manquée, c'est par ici). En effet, LA sortie heavy metal de ce premier trimestre de 2024, c'est bien sûr le nouvel album de Judas Priest. Mais le God Of Metal mérite mieux qu'une entrée parmi neuf autres dans un article collégial. Et surtout, la qualité de cet Invincible Shield mérite mieux. Car n'y allons pas par quatre chemins : avec ce 19e album studio, le Priest sort peut-être là son meilleur opus... depuis le retour de Rob Halford au micro. Et donc, depuis Painkiller en 1990 (pardon aux admirateurs de Jugulator et Demolition, s'ils existent).
Croyez-bien que ces mots, je suis particulièrement surpris de les écrire. Non pas que Judas Priest soit particulièrement décati, entendons-nous bien. Firepower avait ses bons moments, un regain d'énergie évident après un Redeemer Of Souls qui manquait terriblement de punch. Mais en termes d'inspiration « pure », je trouvais ce dernier par moments plus osé ; ce n'est pas pour rien si, sur la tournée qui vient de débuter (et désolé pour le spoiler), un titre comme « Sword of Damocles » a été intégré à la setlist. En live, d'ailleurs, c'est là que le Priest continuait à m'impressionner. Malgré le départ de K.K. Downing – ou grâce à celui-ci ? - et malgré même celui, forcé par les affres du temps cette fois, de Glenn Tipton sur les dernières tournées, le tout sonnait très bien en 2022, quand je les avais vus au Lokerse Feesten. Richie Faulkner est un monstre, seul un cas aigu de « cétémieuzavantite » peut amener à le nier. Andy Sneap fait le job et n'est pas « n'importe qui » non plus (le drame de son intérim chez Judas Priest est peut-être d'avoir fait disparaître Hell des radars). Et Halford, après quelques tournées hasardeuses (la période 2008-2010, par exemple), semblait avoir trouvé LA façon de gérer sa voix sur la durée, avec les ratés inévitables à plus de 70 berges.
Si j'étais et reste stupéfait de la qualité de cet Invincible Shield, c'est plutôt parce que je pensais que Judas Priest avait tout dit. S'en aller sur un album correct, sur une tournée plus que réussie, c'était l'idéal, et je craignais l'opus de trop. Rien, vraiment rien, ne me préparait à une telle branlée, et il n'y a pas d'autre mot. Tout se met en place sur ce nouveau Priest, bien mieux que sur Firepower. Là où la production d'Andy Sneap avait un côté un peu plastique sur ce dernier, elle est ici surpuissante, et dans le bon sens du terme. C'est magistralement produit, ça claque comme à l'époque de Painkiller et Ram It Down (pour lequel j'ai un sacré faible). Bien sûr, on sait que c'est aussi cette production qui permet à Rob Halford de sonner comme s'il avait 40 ans et pas 72, mais on reste tout de même scotché, dès « Panic Attack » qui envoie la sauce d'emblée. Alors que les vocalises hurlées caractéristiques de Halford restaient parcimonieuses sur les précédents albums, de manière parfois frustrante, elles sont ici au centre d'un titre comme « The Serpent & the King » qu'on croirait composé pour Painkiller. La cavalcade du morceau éponyme, parsemé de licks jouissifs signés Faulkner, rappelle quant à elle l'époque dorée de Defenders Of The Faith.
De petites références au passé, Invincible Shield en est truffé : « Devil in Disguise », l'un des meilleurs titres de l'album, a un gros côté Turbo, avec sa vibe très eighties. Le solo, là aussi balancé par un Richie Faulkner absolument en feu, est peut-être l'un des meilleurs... de la carrière de Judas Priest, et je ne pense même pas céder à un biais de récence en avançant ça. Le groupe s'offre même un tube a-bso-lu avec « Gates of Hell », sorte d'hymne heavy metal à la « Rock Hard, Ride Free », là encore illuminé par un solo gorgé de feeling. À ce stade de l'album, je ne vais pas vous le cacher, j'ai été traversé d'un frisson : bordel, ils le font, les salauds. Ce n'est pas l'album de trop qu'ils sont en train de sortir, mais un classique de leur discographie. « Crown of Horns », titre le plus mélodique de cet Invincible Shield et première vraie respiration, est dans la lignée des semi-ballades du Priest « moderne », comme pouvait l'être la sous-cotée «Worth Fighting For » (Angel Of Retribution). Un morceau au refrain entêtant, très réussi, mais l'absence, depuis trois albums, de toute vraie ballade pleine d'émotion à la « Beyond the Realms of Death », « Angel » ou même « Dreamer Deceiver » me frustre un peu. Le dernier album de Judas Priest où l'émotion était présente, c'est Nostradamus, mais vous n'êtes pas prêts pour ce débat.
Invincible Shield se termine sur quelques titres qui n'atteignent pas forcément les sommets de, disons, ses hallucinants deux premiers tiers ; on retiendra tout de même le riffu et encore une fois impressionnant d'énergie « As God is my Witness » (où la retenue de Halford tombe à point, cette fois), mais surtout ce « Trial By Fire » dont l'esprit rappelle les meilleurs moments de Redeemer of Souls (« Sword of Damocles », on en parlait...). Malheureusement, à part le refrain plutôt surprenant de « Escape from Reality », l'album se termine en mode mineur avec cet un peu trop facile « Sons of Thunder » et ce « Giants in the Sky » qui confirme la difficulté de Judas Priest à écrire un véritable morceau épique en 2024. Mais après tout, je dois faire partie des trois pelés et deux tondus à rêver d'entendre les 13 minutes de « Loch Ness » en live avant que la bande à Halford raccroche.
Quoi qu'il en soit, à tous ceux – et j'en fais donc partie – qui craignaient l'album de trop, Judas Priest est venu mettre une belle gifle. Comme un combattant de MMA qui enchaîne les défaites en fin de carrière en ternissant son héritage, pas mal de vieux briscards ont tendance à empiler les bouses jusqu'à ce que le rideau tombe ; le Priest, visiblement, a décidé de ne pas être de ceux-là. Et au contraire même d'un Saxon qui enchaîne les albums corrects, mais peu mémorables, Halford, Tipton et Faulkner (car il faut désormais compter le « jeunot » parmi les têtes pensantes du groupe) ont sorti là un Invincible Shield qui peut, selon comment on classe les albums de Judas Priest, se retrouver dans les 10 meilleurs de la carrière du groupe. Légendaires.
Tracklist :
1. Panic Attack
2. The Serpent & the King
3. Invincible Shield
4. Devil in Disguise
5. Gates of Hell
6. Crown of Horns
7. As God is my Witness
8. Trial by Fire
9. Escape from Reality
10. Sons of Thunder
11. Giants in the Sky