Malice

L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.

Vous l'aurez remarqué : chez Horns Up, en 2023, nous avons joué les globe-trotters. Vous avez pu lire nos aventures en Géorgie, en Finlande, en Angleterre, en République Tchèque, et même au Japon. Pourquoi changer les bonnes habitudes en 2024 ? Même si en l'occurrence, c'est bel et bien un concert de 2023 que je me propose de vous raconter – un concert de Nouvel An. Et pas n'importe lequel. Je vous emmène... à Moscou.

Voilà plusieurs années maintenant que, pour raison privées – et désormais familiales, je me rends plusieurs fois l'an en Russie. J'ai appris à en aimer la scène metal et évidemment, qui dit heavy metal en Russie dit Aria. Les « Iron Maiden russes », qui ont déjà honoré le Pyrenean Metal Warriors de leur présence, restaient très rares chez nous... et un certain événement de février 2022 a tout simplement forcé le groupe à mettre un terme à tout concert occidental. Mais malgré près d'une dizaine de séjours moscovites, je n'avais jamais eu l'occasion de voir Aria en live – après tout, le pays est grand, et ce n'est pas parce qu'ils jouaient « en Russie » qu'ils étaient, en réalité, plus proche de moi qu'un concert à Stockholm pour un résident parisien. Cette fois, cependant, c'est la bonne : en séjour à Moscou pour le passage à 2024, j'en ai profité pour assister au concert de Nouvel An traditionnel d'Aria le 30 décembre à l'Izvestya Hall. Une soirée sous le signe de la bonne humeur, lors de laquelle le plus populaire des groupes de metal russes joue des reprises, des classiques de la musique populaire soviet' et des raretés.

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Aria

Maintenant, un mot tout de même sur « l'éléphant dans la pièce », comme on dit en anglais, à savoir le contexte de ce concert. Depuis février 2022 et l'invasion à grande échelle de l'Ukraine, la Russie, c'est à nouveau « l'autre côté du rideau de fer » : aucune tournée européenne n'y passe, pour raisons logistiques autant qu'idéologiques (les visas sont un calvaire à obtenir sans liens familiaux sur place). Les fans de metal et de musique tout court en Russie doivent se contenter des groupes locaux – ironiquement, un peu comme les Ukrainiens, mais sans craindre que le toit de la salle s'effondre, eux. Et même les locaux doivent généralement montrer patte blanche : pas question que la musique devienne une soupape, un moyen de protestation. IC3PEAK, l'un des groupes ayant fait sensation au Motocultor l'année passée, étaient déjà globalement sur liste noire avant février 2022 pour leur discours politique, alors depuis, pensez bien. En allant à ce concert d'Aria, je suis sûr d'une chose : ce à quoi je vais assister sera, au mieux, apolitique – mais j'aurais été plutôt déçu d'y assister à la moindre forme de discours pro-guerre de la part du groupe. L'inconnue, c'était le public. Mais l'apolitisme de la société civile russe est perceptible dans ses moindres recoins. Les gens ne sortent pas pour s'entendre rappeler que là-bas, quelque part à l'Ouest, il y a une guerre : ils sortent pour oublier. Au moins on en parle, au mieux on se porte, voilà l'idée générale. Je ne suis ni sociologue, ni géopolitologue, mais bien journaliste, et l'idée d'un live report d'Aria en Russie, pour un concert qui plus est événementiel, voilà qui m'aguichait. Après tout, c'est déjà sur Horns Up que la première interview francophone d'Arkona post-invasion russe avait été publiée (à lire ici), et les lecteurs n'avaient pas pris la mouche : allons-y donc...

Bon, point météo tout d'abord : putain, ça caille. Et encore, ce 30 décembre place Pouchkine, où se situe l'Isvestya Hall, le thermomètre n'affichait qu'environ -10. Ca allait descendre jusqu'à -25 quelques jours plus tard. La file pour rentrer est donc pénible, mais le locker room est pratique : on nous fournit des bracelets en plastique numérotés, système que je n'avais jamais vu ailleurs mais que je salue. Point sociologie maintenant : le public est incroyablement divers. On surnomme Aria l'Iron Maiden de Russie par chez nous, et quand ils tournaient, c'était généralement dans des festivals assez pointus comme le Keep It True. Mais il faut se rendre compte qu'à domicile, ce sont des stars bien au-delà de la scène metal. Pour être précis : l'ère Kipelov du groupe dépasse largement la scène metal, et Valery Kipelov – le Dickinson local – est une grosse star. Kipelov a quitté Aria en 2002, et remplit toujours les stades aujourd'hui ; sa chanson phare « Ia Svoboden » compte 150 millions de vue sur YouTube. J'aurai d'ailleurs le plaisir, au lendemain du concert, de me faire gatekeeper en bonne et due forme par l'oncle de mon épouse : « Sans Kipelov, c'est pas Aria ». Bon. Personnellement, même si Krov Za Krov (1991), Noch Koroche Dnya (1995) et Geroy Asfalta (1987) restent mes albums préférés, je suis aussi un grand fan de Kreschenie Ogniom (2003), premier album sans Kipelov, et de l'ère actuelle, avec l'excellent Mikhaïl Jitniakov au chant.

Dans une salle aux allures de salle de bal, avec balcon pour VIP attablés, j'ai juste le temps de prendre une bière (allemande, pour le coup, mais plusieurs membres de cette rédaction signeraient pour de la Franziskaner au fût à Paris) et de bien me placer que je suis abordé par l'un des quelques « vrais » hardos présents – ils sont minoritaires, vraiment. Sidéré que je ne sois pas local (je devais être le seul), il me souhaite environ 5 fois la bienvenue en Russie ; vous seriez surpris du nombre de fois où ça arrive, dans un pays où, forcément, on ne reçoit plus grand monde. Mais place au concert : comme chaque année, Aria débarque... sur « Breaking the Law ». Idéal pour chauffer la salle, avant une autre reprise, cette fois du cru. En gros, pendant toute la soirée, le groupe va jouer des titres issus de classiques du cinéma soviétique, qui regorge de chansons populaires que tout le monde connaît sur le bout des doigts. Le public reprend donc en choeur « Goubit' lioudey nie pivo, goubit' lioudey voda » - littéralement : « C'est l'eau qui tue les gens, pas la bière ». La seule comparaison qui me vient, ce serait Sortilège qui reprendrait du Fernandel ou « La Carioca ». Le tout en costume de Père Noël, qu'ils vont vite abandonner. Parce que quand même, et un peu à mon soulagement, Aria est aussi là pour jouer sérieusement. L'hymne « Raskachayem Etot Mir » lance vraiment « ma » soirée, avant la première friandise, un très rare « Ukhodi i Nye Vozvrashaysya » (Noch Koroche Dnya). Le premier grand moment, c'est ce « Kolizey » chanté... par Arthur Berkut, second chanteur du groupe et venu participer à la soirée. Moins bon vocaliste que Jitniakov, il est bien meilleur showman, et le public l'accueille comme il se doit ; le titre en lui-même est, il faut dire, génial.

Et le groupe est très carré, du membre fondateur Vladimir Khostinine avec son air mi-impassible mi-confiant, mais toujours impeccable quand il s'agit d'enchaîner les riffs, au batteur qui aura son heure de gloire sur un solo très jazzy reprenant le « Caravan » de Duke Ellington. L'autre rareté « Iskusheniye » (Igra C Ogniom) me ravit, avant que le concert me perde un peu de reprise en reprise. Reste ce moment incroyable : un hommage à Alexander Gradskiy, légendaire chanteur d'opéra mais aussi de rock, surnommé « le père du rock soviétique ». Décédé du COVID en 2021, il avait une voix phénoménale avec laquelle même la performance cristalline de Jitniakov sur « Kak Molodi Mi Bili » ne rivalise pas une seconde (je vous renvoie à l'originale ici). L'émotion du public est perceptible. Elle redescend quand Berkut revient pour la ballade « Tam Visoko », et franchement, on comprend pourquoi Mikhaïl Jitniakov tient le micro désormais. Il est largement supérieur, et le prouve encore sur l'incroyable titre « Chtil », dont la version originale était chantée en duo avec... Udo Dirkschneider (Accept) !

L'autre reprise non-russe du set, ce sera « The Trooper », rien que ça. Difficile de ne pas pouffer en pensant au fait... que ce morceau parle de la Guerre de Crimée. Non, l'autre. « The mighty roar of the Russian guns », comme il dit... La seule référence, plutôt légère, à la situation actuelle se fera avant « Pozadi Amerika » : « Déjà en 1985, Aria avait compris que c'était difficile d'obtenir un visa » - ces derniers mots étant aussi ceux du morceau. Un mot là-dessus : est-ce impossible pour Aria de tourner en Occident de nos jours ? Pas vraiment. Arkona vient de terminer sa tournée européenne pour Kob', et dans les mois à venir, le duo Grima-Ultar sillonnera l'Europe. Si eux peuvent financièrement se le permettre, nul doute que la bande à Khostinine peut aussi. Mais c'est certainement plus compliqué que ça : en tant que groupe « mainstream », Ariareprésente la Russie à l'étranger. Le gouvernement les laisserait-il tourner comme si de rien n'était ? Quid des pressions et du boycott éventuels une fois en tournée ? Sans oublier que Kipelov, premier chanteur du groupe, est totalement pro-guerre et sur la liste rouge de l'UE. Trop d'inconnues, et voilà donc deux ans qu'Aria se contente de tournées à domicile.

Le concert se terminera de manière bien plus classique : une flopée de tubes, de « Karol Dorogi » à l'inévitable « Ulitsa Roz' » en passant par « Geroy Asfalta ». Malheureusement pas de « Noch Koroche Dnya » (un peu comme si Maiden ne jouait pas « Fear of the Dark »...) et, globalement, une setlist amputée d'assez de classiques pour que j'aie vraiment très envie de revoir Aria dans un contexte plus « normal ». Reste cette sensation, tout de même, d'avoir vécu un moment comme je n'aurais pu en vivre qu'en Russie, avec un public à fond de la première à la dernière minute. Je l'avais déjà constaté à Tbilissi, et je le constaterai encore quelques jours plus tard en allant voir Ultar dans une petite salle locale : dans ces pays où les concerts de metal sont plus rares, ils m'ont l'air d'être vécus plus intensément. Si vous êtes du genre à voyager, n'hésitez donc pas...

Setlist :
Breaking the Law (Judas Priest cover)
Gubit Lyudey Ne Pivo (Leonid Derbenyov cover)
Raskachayem Etot Mir
Ukhodi i Nye Vozvrashaysya
Kolizey 
Iskusheniye
Yesli b Ya Byl Sultan (Leonid Derbenyov cover)
Ot Zakata do Rassveta
Kak Molody My Byli (Alexander Gradskyi cover)
Kogo ty hotel udivit'? (Mashina Vremeni cover)
Tam Visoko
Caravan (Drum Solo/Duke Ellington cover)
The Trooper (Iron Maiden cover)
Karol Dorogi
Postoi, Parovoz (Jurij Nikulin cover)
Zombi
Sthil
Pozadi Amerika!
Pesnja Pro Zaicev (Leonid Derbenyov cover)
Klion (Sinaya Ptitsa cover)
Geroy Asfalta
Noch Koroche Dnya
Bespechnyi Angel'

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Ulitsa Roz' 
Day Zharu !
V Lesu Rodilas Yolochka