Série Noire #13 - Wayfarer, Hexvessel, Abduction, Krieg...
mardi 12 décembre 2023Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.
Dernière fournée de 2023 avec cette Série noire numéro 13 ! Un nombre qui fera frémir les superstitieux(ses) et qui cache finalement des sorties bien diverses : de l'USBM au black à chant clair, du black polonais aux dinosaures (oui oui), en passant par le black n' roll, l'histoire européenne ou encore celle du continent américain.
Groupes évoqués : Wayfarer | Krieg | Abduction | Wells Valley | Hexvessel | Glorious Descent | Ossification | Totenmesse
Wayfarer – American Gothic
AOTY Post black metal – USA (Profund Lore)
Di Sab : En avril 2023, au Roadburn, Wayfarer, après avoir joué une demi-heure de best of, présentait un court-métrage dont les images furent reprises dans le clip de « High Plain Eulogy ». Au sein de ce petit film, un narrateur en spoken words expliquait la dimension macabre qu’il était possible de ressentir au sein des vastes plaines du Colorado. Immenses espaces où personne ne vous sauve de la mort, au cœur de terrains qui, historiquement, ont été le centre de convoitises et le théâtre de violences, Wayfarer continue d’explorer sa bonne intuition avec American Gothic.
Car si historiquement tout comme dans la conscience collective, le black metal est lié au froid et à l’Europe, comment nier le bienfondé d’une transposition au sein d’une Amérique aride dont la morbidité et la sauvagerie n’ont rien à envier au Vieux Continent ? Cette idée que Wayfarer a senti et a commencé à développer avec notamment A Romance with Violence a été sublimée sur l’incroyable American Gothic. Magnifique post black souillé d'Americana mortifère que n'aurait pas renié un David Eugene Edwards, le résultat dépasse réellement toute les attentes et à mon sens, fera date lorsqu’on se remémorera le post metal des années 2020. Légèrement psychédélique, diablement enivrant, les plans black ne sont pas d’une incroyable originalité mais épousent parfaitement la sécheresse des plans acoustiques. Il tourne en boucle et ne va pas me quitter d’ici peu.
Krieg – Ruiner
Black metal – USA (Profound Lore Records)
ZSK : Judas Iscariot et Nachtmystium ayant disparu (définitivement pour le second, encore que...), Leviathan étant aux abonnés absents depuis belle lurette, Krieg est presque le dernier représentant du « Big 4 » de l’USBM à être encore en pleine activité. Même s’il n’est pas spécialement productif, et quand bien même sa discographie déborde de splits et d’EPs. Niveau albums studio, il faut quand même remonter à 2014 et à Transient pour retrouver un véritable full-length inédit. Neuf ans plus tard, la machine est donc à nouveau relancée avec un Ruiner qui paraît chez le toujours intéressant Profound Lore.
Pour virer expérimental ? Nan, Krieg ne va pas virer d’un poil et remettre en exergue un black metal forcément baveux et primitif. On est tout de même loin de quelque chose de trop lo-fi et raw dans la forme. Ni trop brutal, ni vraiment doomesque, Ruiner est dans les standards de l’USBM depuis la fin des années 2000, minus la créativité d’un Leviathan et l’expérimentation d’un Nachtmystium. Un black metal décharné, un brin dépressif, certes monolithique mais avec suffisamment de qualité d’écriture pour en faire un album qui retient l’attention.
40 minutes de riffs traînards et lancinants nous attendent, accompagnés d’une batterie au jeu minimaliste mais pertinent, et surtout du chant déchiré d’Imperial, qui livre ici sa meilleure performance depuis le monumental Monument To Time End de Twilight en 2010. Ruiner tire aussi son épingle du jeu grâce à quelques entrailles plus mélodiques, qui tentent de lorgner vers les deux derniers albums du répertoire de Nachtmystium. Avec succès ? Pas vraiment, Ruiner reste un album assez linéaire qui convainc surtout par son ambiance désespérée et par quelques leads envoûtants, mais dont les aspérités sont parcimonieuses (et malgré un final plus aventureux). Mais comme il ne reste pour ainsi dire plus que Krieg dans cette scène, cela fait logiquement de Ruiner le meilleur album d’USBM du moment. Bah oui.
Abduction – Toutes Blessent, la Dernière tue
Black metal mélodique – France (Frozen Records)
Varulven : Présents depuis 2006 sur la scène black metal française, c’est pourtant en 2020 qu’Abduction opère une percée notable dans le petit monde du black mélodique médiévalisant. Jehanne s’impose aux côtés des Darkenhöld, Aorlhac et autres Véhémence comme un témoignage de ce que cette chapelle du BM hexagonal propose de mieux. Des compositions fleuves aux multiples couleurs musicales, entre intensité black metal et arpèges apaisés, et un concept retraçant la vie et le périple de Jeanne d’Arc. Ces épisodes, glorieux comme tragiques, prenant vie grâce à la versatilité du chanteur François Blanc, qui mêle aux éructations typiques du genre une voix claire et solennelle, quelque part entre le timbre de basse typique des groupes gothiques et les chants grégoriens.
C’est donc avec le défi de faire encore mieux que paraît Toutes Blessent, la Dernière tue. Le nouvel album ne pouvait en effet éviter la comparaison avec son prédécesseur, et c’est bien la première chose qui frappe lors des premières écoutes. Où sont les morceaux à tiroirs aux multiples changements d’atmosphère ? Cela décontenance quelque peu d’être face à une musique moins complexe et plus directe. Même si, tout est relatif avec Abduction. Si les compositions paraissent moins luxuriantes de prime abord, c’est dans les petits détails que l’aspect le plus précieux du groupe s’est désormais niché. Ce qui marque donc - après plusieurs écoutes tout de même – ce sont ces morceaux plus rentre-dedans, articulés autour d’un thème mélodique fort.
Une approche qui finit par fonctionner sur la durée, en particulier sur le titre éponyme, « Disparus de leur vivant » et surtout « Dans la Galerie des Glaces ». Premier extrait dévoilé, son propos se complète bien avec certains moments plus dénonciateurs, tout en se plaçant en contradiction avec les climats plus mélancoliques et grandiloquents (les choeurs qui achèvent « Les Heures Impatientes », « Contre les Fers du Ciel »). Quand à la reprise du « Allan » de Mylène Farmer, elle clôt le disque en magnifiant la fragilité originelle du titre avec une force et une intensité poétique incroyables. Faisant du seul morceau non composé par le groupe l’un des meilleurs présents sur le petit dernier. Malgré une approche globale en premier lieu déconcertante, et quoi qu’il arrive, en dessous de l’épique et majestueux Jehanne, Abduction propose un quatrième album accrocheur et abouti, où la vision qu’il donne des épisodes de l’Histoire de France est toujours aussi multiple. Entre romantisme et réalisme, entre nostalgie et critique.
Wells Valley – Achamoth
Post-black dissonant – Portugal (Lavadome Productions)
ZSK : Le parcours de Wells Valley est assez curieux. Ayant démarré comme une pure formation de post-metal avec Matter As Regent (2015), le groupe est ensuite passé par Black Lion Records, habitué à signer des combos plutôt orientés black/death mélo, pour Reconcile The Antinomy (2019) ; avant d’atterrir maintenant chez les tchèques de Lavadome Productions, grand fournisseur de death ténébreux pour l’ami Sleap. Ceci pour prendre un léger virage dans son style, parti donc d’un post-metal assez classique pour se fondre dans une certaine vision du black metal.
Lisboète, Wells Valley va donc tenter de rivaliser avec ses compatriotes de Gaerea et surtout tenter d’apporter un vent frais sur une scène extrême lusitanienne peu reluisante (et même la péninsule ibérique de manière générale). Pour cela, Achamoth va alors prendre des couleurs plus noires et chaotiques. Si la base reste un post-metal très noir et inquiétant, Wells Valley y adjoint ici une grande dose de black occulte et de metal dissonant, évoquant tour à tour un Ulcerate ou un Blut Aus Nord - influence nouvelle qui sonne presque comme une évidence à l’écoute d’un morceau comme « Intercession and Invocation ».
Certes, on voit rapidement bien où Wells Valley veut en venir et quelles sont ses inspirations pour cet Achamoth très noir et apocalyptique, metal extrême bien dissonant qui ne sourit jamais. Six longs morceaux bardés d’arpèges et de breaks bien occultes constituent ce troisième album aliénant qui s’encaisse d’une traite, quitte à se perdre dans le tourbillon infernal qu’il forme. Les esprits les plus habitués à ce genre de messe noire essayant d’ouvrir le portail vers une dimension maléfique ne se feront pas surprendre, mais Wells Valley fait bien son office et Achamoth est une performance intéressante. Un peu plus de personnalité et le trio portugais pourra se faire aisément un nom dans ce microcosme post/black dissonant, histoire de prendre le relai par exemple de ses voisins d’Aversio Humanitatis…
Manbryne – Interregnum : O Próbie Wiary i Jarzmie Zwatpienia
Black metal orthodoxe – Pologne (Terratur Possessions)
Varulven : Fer de lance du renouveau (voire de l’essor) du black/death orthodoxe polonais, Blaze of Perdition continue sa progression, tout en se détachant du prisme très occulte et rampant qui caractérise ses deux premiers albums. Heureusement, les quelques nostalgiques du début de carrière peuvent facilement se rattraper avec Manbryne.
Projet parallèle de trois des membres de Blaze of Perdition, Manbryne s’emploie en effet à raviver la flamme noire de Towards the Blaze of Perdition et The Hierophant. Poursuivant sur le même chemin que Heilsweg, Interregnum continue de distiller ce black metal insidieux et brûlant, entre atmosphère dissonante et intensité atrabilaire. Une aura chargée de soufre dont les psalmodies du vocaliste Sonneillon se sont faites les portes-voix, et ce, dans la plus pure tradition polonaise de Mgla ou Kriegsmachine. Une deuxième offrande convaincante, et qui sans être révolutionnaire, nous rappelle que dompter et entretenir son feu intérieur reste la véritable essence du black metal.
Hexvessel – Polar Veil
Black/doom à chant clair – Finlande (Svart Records)
Dolorès : Qui était étonné d'apprendre qu'Hexvessel pouvait mettre les deux pieds dans le plat du black metal ? Bien que le groupe ait été plutôt ancré dans les scènes folk, Mat McNerney officiait également chez Dodheimsgard ou Code par le passé. Bien sûr, les influences du black metal norvégien, à l'ancienne ou plus prog, sont légion ici. De Ved Buens Ende à Enslaved, d'Ulver à In The Woods..., le groupe ne les cache pas.
Un superbe équilibre est trouvé ici, où le chant clair spécifique d'Hexvessel reste en pleine lumière tandis que c'est tout l'instrumentarium autour de lui qui s'adapte aux conditions climatiques, dirons-nous. La sublime pochette hivernale, doublée des titres qui font référence à la nature, au froid et aux créatures mystérieuses des forêts enneigées, créent une atmosphère propice à l'écoute de Polar Veil. Seulement, je regrette parfois l'intonation trop teintée post-punk que Mat McNerney a désormais du mal à lâcher, là où la tendresse d'un « Sacred Marriage » (No Holier Temple, 2012) aurait pu être réutilisée à bon escient pour cet album. Bien que mon cœur aille naturellement aux albums No Holier Temple et All Tree, je dois dire que le revirement est agréable et maîtrisé de la part des Finlandais, avec pour ma part une grande curiosité à l'idée de les voir évoluer dans cette sphère sur scène.
Glorious Descent – Glorious Descent
Black n' roll – États-Unis (Bat Magick/Subversive Craft)
Dolorès : Si vous n'avez pas eu votre dose de black de vampires encapuchonnés qui prient le Saint Riff, il est temps de s'intéresser au premier EP de Glorious Descent. En réalité, difficile de trouver des infos sur ce projet qui semble sortir d'outre-tombe, mené par des membres de Devil Master et Unreal City. Pourtant, les quelques 15 minutes d'écoute prouvent que le projet a de quoi plaire. Les tubes s'enchaînent, le chant est caverneux au possible, puis aux riffs massifs et aux rythmiques uptempo s'ajoutent quelques claviers qui parsèment l'EP et le rendent... attachant. Oui, cette première sortie de Glorious Descent a quelque chose de sincère et de confortable qui donne envie d'y revenir. Pour les fans de Devil Master, Lamp of Murmuur et Spiter.
Ossification – Gathered in the Ancient Woodlands
Black metal – USA (Liminal Dread Productions)
Matthias : « Anti-fascism, Dinosaurs, Existential dread » ; je crois qu'Ossification a plié le jeu de la combinaison de thèmes musicaux la plus improbable sur Metal Archives. Et ce groupe, un duo de l'Ohio qui nous offre ici son premier album, se tiendra à ses engagements. Plus même, car ce Gathered in the Ancient Woodlands m'offre aussi une piste intitulée « The 37th Lesson of Vivec », et comme Morrowind fut un de mes incontournables vidéoludiques, cet élément de lore complète ce qui pour moi tient du véritable bingo.
Un morceau en question à la fois profondément mystique et plutôt brut de décoffrage pour qui le découvre avec des références trop policées, ce qui colle assez bien à l’œuvre originelle. Gathered in the Ancient Woodlands continue dans plusieurs directions à la fois. Plus épique d'abord sur un « The Wrath of Audra » qui arrive aussi à être lancinant par moment, puis le duo nous prend ensuite par surprise avec un banjo sur « Missing Eyes & Hands », comme tout d'un coup habité par l'esprit de Panopticon. On repart sur un son très raw le temps de « What Is To Be Done » avant de se perdre un peu à suivre un « Stegasaurus » en vadrouille.
Gathered in the Ancient Woodlands a les défauts de ses qualités ; cet album est un OVNI prometteur qui m'a véritablement donné envie de suivre le chemin que prendra Ossification. Mais on ne peut nier qu'il se perd un peu, à suivre différentes thématiques, différentes sonorités, parfois fort éloignées les unes des autres malgré ce côté brut qui les unit. On notera aussi que ça fait bien trois projets d'affilée partagés par Antifascist Black Metal Network qui trouvent grâce à mes tympans, et c'est un changement qui mérite d'être signalé.
Totenmesse – Fiktionlust
Black metal – Pologne (Pagan Records)
Matthias : Il y a peu je présentais le dernier album de Gruzja, qui prenait une radicale distance avec le black metal avant-gardiste des opus précédents pour verser dans le punk halluciné façon cueillette des champignons à la frontière ukraino-polonaise. Avec Totenmesse, on reprend quelques-uns des mêmes - les vocalistes Stawrogin et Mold (en live seulement pour Gruzja, semble-t-il) et on remet une pièce dans la machine. Sauf que ce projet-là, qui sort ici son second album, reste fidèle au black metal. Mais dans son incarnation polonaise dénuée de cagoules et autres gimmicks à la mode : c'est furieux, urbain, et surtout complètement chamboulé du ciboulot. On notera au passage que le groupe a composé le titre « Scrum » pour le jeu vidéo Cyberpunk 2077. Elle est loin, la forêt.
Si on reste dans un black metal compréhensible par rapport aux canons nordiques du genre, des morceaux comme « Bastards » ou « The Weight of Uselessness » collent à merveille à cette ambiance de sur-sollicitation anomique urbaine pleine de néons qui ne demandent qu'à libérer leurs gaz les plus nocifs. Pas aussi délirant que d'autres albums de la néo-scène polonaise qui se développe depuis quelques années, ce Fiktionlustse révèle d'une réalisation solide, ce qui en ferait sans doute une bonne porte d'entrée vers ce genre de délires pour qui a l'habitude d'un black metal plus classique.