Paris Hardcore Fest 2023 - Jour 1
L'ESS'pace - Paris
Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.
Rappelez-vous, il y a cinq ans, le premier Paris Hardcore Fest réunissait pour 20€ sur la scène du Gibus une affiche assez incroyable : Turnstile, Incendiary, Birds in Row, Get the Shot et Fury. En 2019, la seconde édition passait sur deux jours et comprenait Terror, Arkangel, Jesus Piece, Backtrack ou encore Higher Power. Je l'avais même chroniquée en deux articles ici et là.
Le passage de la pandémie de Covid et l'hyperactivité de la scène en 2022 avait poussé Benoît, l'homme derrière Paris Hardcore Shows, à repousser une troisième édition. Pourtant, son intention était claire depuis un moment (il nous en parlait déjà dans son interview en 2019) : remettre le « Paris » dans Paris Hardcore Fest. Passionné par sa ville et sa scène, celui qui a consacré autant d'énergie à jouer qu'à organiser, voulait créer le festival de célébration du hardcore francilien, comme une façon d'en prouver l'extraordinaire vigueur et l'actuelle ferveur. Résultat, deux jours de hargne avec 17 groupes venant de la capitale ou sa banlieue, dont 4 reformations exceptionnelles, pour un festival qui a su prouver avec talent l'unité, la portée et la hargne du Paris HxC. Retour sur 48h de camaraderie et de bourre-pifs (regardez aussi de toute urgence le fabuleux aftermovie, réalisé par la non moins fabuleuse Clara Griot).
Mais avant d'entamer le ballet des 17 prestations, qu'est-ce qui change pour cette édition ? Le Gibus n'accueillant plus de concerts, le festival se tient à l'ESS'pace, devenu en peu de temps un haut-lieu du hardcore parisien malgré son objectif originel de coworking et de bar associatif paisible. Pour l'occasion, et c'est une première, une scène a été installée et l'accès à la salle se fait par la porte arrière pour laisser plus de personnes rentrer et ne pas créer de goulot d'étranglement. Le merch a aussi été déplacé à l'étage pour désengorger les côtés de la salle. Une excellente décision qui permet à l'ESS'pace d'être beaucoup plus respirable qu'à l'accoutumée. En plus du gain en confort qu'apporte la scène, on gagne aussi prodigieusement en confort auditif grâce à l'excellent travail de Florian au son, dont le professionnalisme change clairement la donne.
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14 octobre - Jour 1
Groupes évoqués : Forbidden Zone | Reclaimed | Deviant | Jack Move | Cavalerie | Take It in Blood | Backboned | Lodges | Worst Doubt
Forbidden Zone
C'est aux nouveaux venus de Forbidden Zone qu'incombe la lourde tâche d'ouvrir le festival. Les Franciliens ont sorti leur premier EP en juin de cette année dans un registre hardcore old school, influencé par les évidences Agnostic Front et Minor Threat. Responsabilité supplémentaire car c'est aussi leur tout premier concert. On sent le chant hésitant au début mais prend en assurance au fur et à mesure du set. Un constat similaire pour la batterie, un peu rigide en début de show. Même si le son est purement hardcore, on sent chez les membres une certaine influence du thrash/crossover, que ce soit dans l'esprit ou dans le look jean clair baskets des musiciens.
Certains des morceaux de l'EP prennent bien en live. C'est le cas de « You're a Poison » et son refrain scandé ou de « Dust, Coal & Danger », plus heavy dans le riffing. Même si le pit est encore timide, certains proches du groupe sont proches de la scène pour accompagner le chanteur et hurler occasionnellement dans son micro. Une satisfaisante entrée en matière.
Crédit photo : Clara Griot
Reclaimed
Après avoir ouvert pour Speedway en juillet à l'International, le PHF marque le deuxième concert de Reclaimed. Hardcore très métallique, avec une énergie va-t-en-guerre, le groupe réclame des influences à la Power Trip, Iron Age et Malice at the Palace. Le très solide duo de guitares m'a aussi fait penser à toute la scène H8000, de Congress à Liar. De façon générale, on sent que ce n'est pas la première expérience musicale de ses membres : la batterie est impeccable de versatilité, les breaks sont réfléchis et marquants et le chant saturé de Fabien, sur lequel est appliqué une petite reverb, est impressionnant.
Sa présence de frontman est forte et renforce le propos du groupe. A ce propos, il nous confie : « Au niveau des paroles, j’essaie de jouer sur ce côté épique, mais pour moi le hardcore ça a toujours rimé avec politique. Typiquement, on a des chansons, quand ça parle pas de paysans qui vont aller goumer la gueule à des seigneurs, on dit que s’unir et la grève c’est bien [...] ou de tous les ravages du colonialisme. Tu peux prendre mes paroles comme quelque chose de très heroic fantasy qui te raconte une histoire, comme y voir tout un discours politique, l’un n’empêche pas l’autre. »
Crédit photo : Clara Griot
Deviant
À l'exception des têtes d'affiche, les sets durent 20 minutes et peuvent s'enchaîner rapidement. Pendant toute la durée du fest, les horaires seront respectés à la minute près, nouveau témoignage de la rigueur organisationnel de l'événement. Il est donc déjà 17h et c'est au tour de Deviant de montrer les crocs. Les Parisiens font dans le metalcore tough mais qui sait rester groovy, avec un tone de guitare bien croustillant et un chant granuleux et menaçant, dans un style qui pourra rappeler les méfaits de Varials ou Gideon.
C'est un style de metalcore qui peut vite devenir ridicule s'il n'est pas bien maîtrisé et Deviant me cueille comme une pâquerette dans une tondeuse avec une prestation rodée et mature. Le chanteur, en plus d'avoir une saturation soignée, bénéficie d'un charisme indéniable et permet de donner au pit son premier vrai moment de danger. Une chorégraphie de moulinets et de side to side qui ne connaîtra pas de cesse jusqu'au concert de Sorcerer qui clôturera le fest.
Crédit photo : Clara Griot
Jack Move
La présence de Jack Move à l'affiche du PHF est une surprise. La première d'une costaude série. Le groupe avait sorti un EP en 2014 chez Straight and Alert, s'était séparé en 2016, avait fait un concert unique en 2019 au Gibus et depuis, plus rien. Mais c'était sans compter sur le talent de persuasion de Ben, qui officie aussi à la batterie et qui a convaincu ses comparses de rempiler pour une ultime date.
Une bonne nouvelle car cette démo de 2014 faisait beaucoup de promesses avec une influence youth crew et East coast assumée, autant Boston en mode Slapshot que New York façon Judge et Cro Mags. Leur hardcore frontal, rempli à ras-bord de two steps, est un vent de fraîcheur après deux sets de metalcore. Animé par la flamme du hardcore ancienne école, Jack Move impressionne par un show parfaitement exécuté compte tenu de leur inactivité depuis autant d'années. À la fin du set, les membres jettent tout leur merch restant dans le public et rideau.
Crédit photo : Clara Griot
Cavalerie
Le trio Cavalerie avait fait sensation à la sortie de sa première démo en explorant des sonorités pas si courantes en France. Leur mélange de crust, de hardcore et de metal, du black de Hellhammer au heavy de Motörhead, a rapidement conquis le coeur du public parisien et commence à s'étendre au reste de la France.
Dès les premières notes, je suis stupéfait par la progression du groupe en quelques années. Déjà, avoir un pro au son change beaucoup de choses pour eux (notamment pour la basse), même si leur proposition musicale n'est pas exactement un rêve mouillé d'audiophile. Ensuite, leur présence scénique a gagné en efficacité et leur look menaçant, cheveux filasses ou rasés sur ensemble noir option cuir, fonctionne de mieux en mieux. En live, j'ai l'impression que le groupe accentue davantage leur côté hardcore, aussi parce que c'est la scene dans laquelle il évolue principalement, même s'il reste clairement plus metal que tout le reste de l'affiche. En 20 minutes, les trois lascars ont le temps d'enchaîner 13 morceaux, dont leurs reprises habituelles de Darkthrone, Discharge et les Stooges (un « I Wanna Be Your Dog » méconnaissable) et prouvent que la recette commence à être diablement maîtrisée.
Crédit photo : Clara Griot
Take It in Blood
Rangez le cristal et la porcelaine, les apôtres parisiens de la NMA (Negative Mental Attitude) sont arrivés. Une démo, sortie à l'été 2022, leur a suffi pour imposer leur beatdown métallique et négatif des deux côtés de la Seine. J'ai beau ne pas être un grand adepte de cette frange de la scène, je ne peux que reconnaître l'efficacité et l'authenticité avec lesquelles Take It in Blood l'aborde. Le côté grand méchant loup du hardcore n'est pas forcé et leur set est un concentré de nervosité et de haine irrégulée.
Tonio, le chanteur, est un frontman impressionnant, par sa carrure comme par son chant sourd et hargneux. Le pit ne s'y trompe pas et les moulinets constituent l'énergie éolienne nécessaire à alimenter le 13e arrondissement pendant une semaine. Au-delà des riffs saccadés, le groupe sait aussi convoquer le groove du beatdown et enchaîne les titres avec précision et justesse.
Crédit photo : Clara Griot
Backboned
Backboned est la deuxième occurrence dans la série des reformations, et pas des moindres. Groupe éphémère, formé en 2013 et splitté deux ans plus tard, Backboned a été en quelque sorte le pré-Worst Doubt dans le sens où Hugo (guitariste dans le premier et chanteur du second) et Emile (batteur des deux) ont quitté Backboned pour se concentrer sur Worst Doubt. Au chant, c'était Stef, qu'on retrouve maintenant dans Calcine (d'ailleurs à l'affiche du deuxième jour). Encore une fois, c'est Benoît qui a sollicité les membres pour un dernier tour de piste. Et pour l'occasion, c'est Baptiste (Cold Decay et Worst Doubt), en bon mercenaire du hardcore, qui assure l'interim à la basse.
Mais trève d'explications de mercato, car Backboned a été ma claque de la journée, voire du festival. Dans un registre metalcore à breaks sur-efficace, le groupe a retourné l'ESS'pace de façon unanime. Déjà, il est important de rappeler à qui n'est pas encore au courant, Stef est une des meilleures voix du hardcore français ; elle a ce chant en même temps ultra rythmé et syncopé, et avec une saturation stupéfiante de netteté. Sur le plan instrumental, les compositions de Hugo sont d'une nervosité et d'une qualité folles et Emile est prodigieux à la batterie avec une caisse claire bien claquante. Entre les changements de rythme incessants, les riffs d'une brutalité confondante (le tone d'Hugo) et les breaks effarants d'intensité, le show de Backboned est une leçon continue dont chaque segment est millimetré dans la violence. Et c'est avec un pincement au coeur qu'une fois la dernière note sonnée, on réalise que ce sera la toute dernière fois.
Crédit photo : Clara Griot
Lodges
Comme Backboned, Lodges sort de son coma pour le PHF. Leur dernier concert en date était justement à la deuxième édition du festival, il y a 4 ans de ça. L'occasion de dépoussiérer leurs morceaux et de donner aux fans (nombreux) de leur album See God l'occasion de le hurler en live. Comme beaucoup des groupes de l'affiche, les visages sont connus : aux deux guitares, Max et Antoine de Worst Doubt ou à la batterie Clément de Pencey Sloe.
Lodges est un groupe qui a toujours eu un rôle à part dans la scène parisienne. Fermement ancré dans le hardcore mid-tempo, avec des ambiances travaillées, il sait autant aller vers les refrains en voix claire hérités du rock alternatif des années 90 que vers les mosh part avides de spin kicks. D'autant plus qu'en live, les membres insistent sur le côté instantané et rugueux. Dommage que le chant soit aussi bas dans le mix, surtout dans les voix claires, à peine discernables. Ce qui n'a pas empêché la foule de s'approprier pleinement ce show, fédérateur et généreux.
Crédit photo : Clara Griot
Worst Doubt
Voici venus les princes de la ville. Maîtres en la demeure, c'est aussi un de leurs premiers shows parisiens avec le nouveau line-up : au cours de l'année, Dylan, le batteur a quitté le groupe et Worst Doubt en a profité pour rebattre les cartes. Emile est passé de la guitare à la batterie et Baptiste (Cold Decay et beaucoup d'interim) a pris sa suite. Ce changement me semble permettre une meilleure cohésion au groupe et Emile apporte quelque chose de plus death metal vicelard derrière les futs.
La foule est chauffée à blanc pour le dernier de concert de la soirée. Hugo prend le micro et lance « le hardcore c'est fais ce que tu veux et nique ta mère ». Pendant tout le set, il s'amusera comme ça avec le public, à invectiver ou à insulter ce qu'il appelle « la police du hardcore ». Ils sont chez eux et ça se voit : leur prestation est d'une fluidité rare et frappe l'ESS'pace avec une force de titan. Aucun doute sur leur capacité à tenir une tête d'affiche n'est permis, c'est 30 minutes non-stop de rugosité métallique et de mosh parts indécents, pendant lesquelles deux titres inédits semblent être joués. A ce propos et pour achever la soirée sur une bonne nouvelle, Hugo annonce un nouvel EP qui sortira en début d'année prochaine.
Crédit photos : Clara Griot
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Une conclusion forte et exigeante pour une excellente première journée de festival, dont l'organisation a été sans failles, du son à la circulation, à l'ambiance et à la qualité des groupes. Rendez-vous très vite pour le report du deuxième jour.
Merci à Benoît pour l'organisation, aux groupes et à toute la scène hardcore parisienne pour sa générosité et son infatigable motivation. Merci aussi à l'ESS'pace pour la salle, à Florian pour le son et surtout à Clara Griot pour m'avoir laissé utiliser les images de son reportage et pour l'énorme énergie qu'elle dévoue à la scène.