Série Noire #12 - Wolves in the Throne Room, Fluisteraars, Slidhr, Violet Cold...
dimanche 8 octobre 2023Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.
L'été s'est terminé - enfin, d'un point de vue purement administratif uniquement - et le flux des sorties black va pouvoir reprendre avec les jours sombres. Enfin, le black metal étant misanthrope par essence, il y aura encore du reliquat de sorties d'août... Cette 11ème sélection ne sera néanmoins pas forcément très caverneuse. Outre des combos allemands, on va prendre des nouvelles de l'autre côté de l'Atlantique du chantre du « black cascadien » ainsi qu'un groupe qui aime les ceintures à clous ; mais aussi d'un groupe norvégien culte même s'il a du prendre un autre patronyme pour continuer à faire du black. On parcoura aussi l'Europe en diagonale, de l'Irlande ou plutôt de l'Islande à... l'Azerbaïdjan en passant par les Pays-Bas, l'Auvergne, la Suisse et la Grèce. Et puis tant qu'on y est, on prendra des nouvelles du tourmenté Niklas Kvarforth...
Groupes évoqués : Wolves in the Throne Room | Fluisteraars | Waldgeflüster | Auriferous Flame | GraveRipper | Manii | Slidhr | Nocte Obducta | Ars Moriendi | Shining| Violet Cold | Rorcal
Wolves in the Throne Room – Crypt of Ancestral Knowledge
Black atmosphérique – USA (Relapse Records)
Dolorès : C'est avec une superbe pochette de Jacob Speis que Wolves in the Throne Room fait son retour, le temps d'un EP quatre titres, deux ans après son dernier album. Une vingtaine de minutes suffisent à confirmer le statut du groupe, devenu culte et absolument respecté dans la scène black atmosphérique, notamment américaine. Parfois extrêmement incisif et presque symphonique (« Behold to Clan »), d'autres fois plus tourné vers les fans d'Agalloch (sur l'incroyable « Twin Mouthed Spring »), le groupe continue de maîtriser son art dans un équilibre satisfaisant qui ressemble à ses dernières sorties.
On s'éloigne des boucles hypnotiques et glaciales des premiers opus pour continuer d'explorer des facettes où chuchotements et guitare acoustique ont leur place. C'est particulièrement le cas du troisième titre, qui est en réalité d'une interprétation presque neofolk du titre « Spirit of Lightning » de leur album précédent. Recyclage ? Peut-être un peu, mais le titre est vraiment superbe et prend un nouveau souffle sous cette forme. On attendra certainement un peu plus d'inédit du prochain album, mais ce Crypt of Ancestral Knowledge est une très belle sortie, cohérente et soignée.
Fluisteraars – De Kronieken Van Het Verdwenen Kasteel II : Nergena
Black metal expérimental – Pays-Bas (Eisenwald)
Circé :Bloem restera l'un des albums les plus marquants de l'année 2020 et, trois ans plus tard, on ne s'en lasse toujours pas. Fluisteraars, eux, ont pourtant continué à tracer leur bout de chemin et ont semble t-il laissé les mélodies champêtres et lumineuses des champs de coquelicots bien loin derrière eux. Gegrepen Door De Geest der Zielsontluiking, l'album de 2021, s'en écartait déjà, mais les Néerlandais ont depuis sorti deux EPs vers des sonorités bien plus sombres et abrasives.
De Kronieken Van Het Verdwenen Kasteel II : Nergena fait donc partie d'un diptyque, dont la première partie, sortie en mars, avait peu convaincu au sein de l'équipe. Il faut dire qu'elle en était déroutante : des riffs atmosphériques plongés dans la réverb et des cris, quelques variations, mais on avait du mal à voir où le groupe voulait en venir. Cette seconde partie ne change au final pas trop la recette, mais elle m'a étrangement plus touchée. Plus viscérale, moins brouillonne, elle en demeure certes pompeuse et conceptuelle, mais elle touche plus juste. Son début ambiant parsemé de quelques sons dissonnants, de sons de flûte et de voix perdues dans le lointain est beaucoup plus propice à l'établissement d'une atmosphère dérangeante. L'EP ne fait que 13 minutes, mais elles sont éprouvantes. Le premier morceau se perd malheureusement quelque peu dans ses longueurs, trop avide de développer sa litanie jusqu'à ce qu'elle se morde sa propre queue, mais le second morceau et ses cinq petites minutes met heureusement un petit coup d'accélérateur (tout relatif) avec un mid-tempo hypnotique beaucoup plus classique parsemé de quelques mélodies et synthés.
Où va Fluisteraars ? Que cherchent-ils ? Vont ils suivre la trajectoire de groupes de black expérimentaux à la Furia et nous sortir un album bruitiste inécoutable ? Certaines choses fonctionnent, d'autres moins, et qui sait où va mener ce désir d'expérimenter dans la dissonnance, la lenteur et les différentes nuances d'agonie. Certains crieront peut être au génie, d'autres soupireront, blasés. Je ne sais personnellement toujours pas si j'apprécie cet EP ou non – certains éléments m'agacent, d'autres m'intriguent, si le groupe continue dans cette voie. Les Néerlandais réussiront au moins à ne laisser personne indifférent.
Waldgeflüster – Unter Bronzenen Kronen
Black atmosphérique forestier – Allemagne (AOP Records)
Malice : Voilà bien un nom qui m'était sorti de l'esprit ! En 2018, au Cernunnos Pagan Fest, j'avais découvert Waldgeflüster, groupe allemand aux sonorités assez typiques, entre romantisme à la Goethe, mélodies planantes et chant à la Der Weg Einer Freiheit. Et sans raison aucune, je suis passé à côté de tout ce que les Bavarois ont fait depuis. Il faut dire que Waldgeflüster s'est signalé par son absence sur les affiches de nos festivals depuis.
En ce mois de septembre, le groupe est en tout cas revenu avec un EP qui m'a donné envie de me replonger dans leur musique. Un seul titre inédit, magnifique et éponyme, avec toujours ce chant clair qui débarque par surprise pour casser la monotonie et ces mélodies si nettement marquées par leur scène nationale. Le réenregistrement du titre « Herbst befiel das Land » en modernise bien le son, mais c'est surtout la reprise d'un titre de Panopticon qui mérite l'écoute : « The Pit », morceau initialement acoustique et joué au banjo par Austin Lunn, est ici revisité dans une version black dépressif à l'élégance gothique, dans un tempo très ralenti qui permet d'en apprécier le somptueux texte, là encore très adapté au romantisme dépressif à l'allemande. La reprise de « Black Flies », morceau de l'artiste indie-folk Ben Howard qu'on pouvait entendre dans le jeu vidéo Life is Strange, par exemple, est moins intéressante mais loin d'être ratée.
Bref, un EP qui s'écoute rapidement, rafraîchit la mémoire à ceux qui avaient oublié l'existence de cet excellent groupe qu'est Waldgeflüster et me fera prêter attention aux albums que j'ai pu manquer entre temps.
Auriferous Flame – Ardor for Black Mastery
Black metal – Grèce (True Cult Records)
S.A.D.E : Le prolifique et solitaire Ayloss (Spectral Lore, Mystras) propose le second album de son projet Auriferous Flame, un an à peine après la sortie de The Great Mist Within. Ardor for Black Mastery est le titre très programatique de ce petit dernier et si le changement d'artwork est radical (du quasi abstrait en couleur on passe au figuratif noir et blanc), le contenu musical se prolonge sans rupture. Auriferous Flame est le projet le plus old-school du monsieur, dans le sens où peu d'effets de nappes et de claviers sont utilisés (on en trouve quand même, en particulier sur le dernier morceau), où les instruments centraux sont le triptyque guitare/basse/batterie. Mais, on est tout de même loin de l'école norvégienne à laquelle chacun pense lorsque oldschool et black metal sont associés. Le son est déjà très morderne, crassouilleux comme il faut mais sans être brouillon. Choix judicieux tant la musique de Ayloss est riffée, et mes aïeux, quels riffs ! Le tempo est la plupart du temps frénétique, ça blaste dans tous les sens et quand ce n'est pas le cas, c'est pour balancer des tapis de double supersoniques (et inhumains pour certains, merci la boîte à rythme), il fallait bien un son un minimum lisible pour que ce ne soit pas la bouillie totale. Un écueil brillament évité, donc.
La principale difficulté pour s'accaparer la bête est sa durée : presque cinquante minutes d'une proposition aussi dense et énervée, où la richesse de composition le dispute à la vitesse d'exécution, il faut avoir l'estomac solide pour éviter l'indigestion. Le petit interlude en fin de parcours permet de souffler un peu mais on termine quand même le circuit sur les rotules... et néanmoins quasi-prêt à repartir parce que c'était quand même vraiment bien. Avec ce deuxième album, Auriferous Flame confirme son idendité dans la galaxie des projets de Ayloss et propose une deuxième sortie qui enfonce le clou dans ce registre plus classique en comparaison des autres projets du bonhomme.
GraveRipper – Seasons Dreaming Death
Black/speed/thrash – USA (Wise Blood Records)
Circé : Formé il y a à peine 4 ans, GraveRipper n'a pas chômé en délivrant EP sur EP, jusqu'à enfin sortir un premier long format fin août. Le black/thrash n'est pas connu pour être un genre qui se renouvelle – il en perdrait sûrement même tout son intérêt et son essence s'il essayait – mais au vu de la multitude de groupes, et du caractère si cliché d'un riff thrash, il est facile de tomber dans la paresse en recyclant la recette sans pour autant être efficace.
Seasons Dreaming Death arrive à passer le test, avec une approche au final très moderne du style où certains morceaux ne détoneraient pas à côté d'un thrash à l'approche plus crossover comme Power Trip ou Enforced. La production, en particulier, propre et puissante, en fait un album très accessible comparé à beaucoup d'autres sorties du style qui chérissent le côté trve des sons crasseux. Ce qui chifonne un peu, c'est l'aspect décousu de l'album : on attend certes pas d'un album conçu pour l'efficacité qu'il fasse de belles transitions entre ses morceaux, mais GraveRipper a l'air de complètement séparer son black et son speed/thrash. Ce qui nous donne un album principalement axé sur le dernier, avec deux morceaux, le titre éponyme et « Only Coldness », qui ressortent tout à coup des riffs black metal. On a presque l'impression de changer de disque en plein milieu, et c'est dommage lorsque le groupe propose banger sur banger à côté de ça. Parce que oui, sinon, rien à redire sur les riffs ; solides, rapides, aggressifs, efficaces... Superposés aux rythmiques, on a un enchaînement de passages techniques et primitifs agrémentés de solos chaotiques. C'est clairement autour de ces éléments que l'album est construit, car les vocaux en eux même n'apportent pas énormément à l'histoire.
Manii – Innerst I Mørket
Black metal – Norvège (Terratur Possessions)
Circé :Manii fait partie de ces entités nébuleuses qu'on attend plus entre deux sorties, et qui ne préviennent jamais. Résultat : peu importe la nature ou la qualité de la sortie, elle fait des remous dans l'underground. Dérivée des débuts de Manes, reformé en 2011 pour reprendre avant que son entité jumelle aille explorer les sentiers fascinants d'une musique aux confluents de l'électro, du jazz et d'un tas d'autres influences, Manii fait du Black Metal comme on en fait à Trondheim. Souvent mid-tempo voire carrément doomesque, des riffs très atmosphériques, une sorte d'ambiance de château hanté.
Alors quand Manii sort un “morceau” qui s'avère en fait être un album de trente-sept minutes ininterrompues, on n'est au final pas si surpris que ça, même si on ne s'y attendait pas. Et surtout, on sait à quoi s'attendre. L'exercice marche au final très bien : les autres albums s'écoutaient d'une traite aussi, et ça enlève le souci de trouver des transitions entre les pistes. On embarque pour un voyage, un seul, sans raccourci possible. On passera par toutes les évolutions de la musique. Beaucoup d'autres groupes ont certes repris la recette, depuis les années 90s, mais il n'y a pas à dire : les Norvégiens en ont toujours une superbe maîtrise. On démarre par des abysses de lenteur et de voix rauques à des instants étrangements lumineux où des synthés voire des orgues résonnent, avant que des riffs sinueux ne reprennent la main, plus prenants et distincts, moins sinueux et opaques que du True Norwegian Black Metal comme on se le caricature. Manii accélère progressivement le tempo, la musique s'étoffe au fur et à mesure jusqu'au climax et à la redescente. Si l'écoute entière et attentive n'est pas une expérience à laquelle on se livrera tous les jours, il n'en n'est pas moins qu'elle révèle une vraie maîtrise de la composition. A écouter pour habiller d'une ambiance hantée les nuits hivernales à venir.
Ceci dit, j'aurai préféré un nouveau Manes.
Slidhr – White Hart!
Black metal – Irlande (Debemur Morti Productions)
ZSK : Slidhr, c’était un peu un énième « next big thing ». C’était aussi le moyen de placer l’Irlande sur la carte du black metal sans avoir à parler de Primordial. Mais dix ans après son premier album Deluge, le groupe ne sort ici que… son troisième album. Il a donc disparu des radars aussi vite qu’il était apparu, malgré un style aux influences diverses plutôt intéressant. Chose curieuse également, le voilà de retour chez Debemur Morti pour White Hart!, alors qu’il avait créché chez Ván Records pour The Futile Fires Of Man (2018), album passé inaperçu qui montrait pourtant un Slidhr en grande progression.
Cinq nouvelles années plus tard, Slidhr vient donc nous rappeler qu’il existe toujours, et qu’il continue à progresser. Autre chose curieuse alors, si Slidhr est un groupe bien irlandais à la base (de par son fondateur, Joseph Deegan), il est aussi à moitié islandais depuis 2013 et l’intégration du batteur Bjarni Einarsson (Almyrkvi, Sinmara) ; et il est désormais… un tiers irlandais, un tiers islandais et un tiers allemand vu que s’est greffé au combo le bassite allemand Stefan Dietz (Nocte Obducta). Mais tout ceci va se recentrer vu que Slidhr, qui semble désormais basé en Islande au moins à temps partiel, sonnera plus… islandais que jamais sur ce troisième opus.
Par rapport aux deux précédents albums, White Hart! fait montre d’évolution sur la forme, avec un son assez clair et puissant. Le chant est d’ailleurs désormais beaucoup moins glaireux et réverbé. Slidhr devient presque un groupe de black metal « moderne », mais toujours rugueux. Et emprunte donc beaucoup au style bouillonnant, légèrement dissonant et un brin chaotique du black islandais. Les trois premiers morceaux de ce White Hart! sont d’ailleurs des monstres d’intensité. Dommage alors que l’album se tasse assez vite, empruntant il est vrai quasiment tout du long un tempo assez soutenu malgré des blasts marquants. Mais Slidhr gagne en force et en ambiance ce qu’il perd en efficacité, et arrive à dépasser de peu le déjà bon The Futile Fires Of Man. Ainsi, à défaut d’être révolutionnaire, ce troisième méfait de Slidhr est assez saisissant du moment qu’on se plonge dans son ambiance noire et martiale…
White Hart! sera disponible le 13 octobre 2023.
Nocte Obducta – Karwoche
Black metal atmosphérique – Allemagne (Supreme Chaos Records)
ZSK : S’il n’est plus aussi productif qu’à ses débuts, Nocte Obducta commence tout de même à avoir une sacrée longévité (il fête ses 30 ans d’existence si on compte ses débuts sous le nom Desîhra) et surtout une discographie bien menue. Karwoche dont il est ici question est tout de même son 13ème album ! Et même si le groupe a adopté un rythme plus soutenu d’une sortie tous les trois ans depuis Totholz (2017), on a l’impression qu’il est toujours prêt à reprendre du service à tout moment. Quitte à ce qu’il stagne un peu. Après des débuts aventureux et imprévisibles, le groupe allemand semble avoir décidé à figer un peu son style depuis sa « reformation » sur Verderbnis (2011)…
Même si Mogontiacum (2016) surfait encore sur les couleurs psychédéliques d’un Umbriel (2013), œuvre qui fait encore figure d’exception, Nocte Obducta a depuis embrassé la voie d’un black metal toujours assez psychédélique mais beaucoup plus cradingue. Riffs crus ou traînards, ambiance désertique, chants grognés, un des chantres du black atmosphérique allemand œuvre dans un registre relativement « destroy » qu’on imaginait pas chez lui il y a 20 ans. Après le faiblard Totholz - peut-être le moins bon album de sa discographie, Irrlicht (2020) avait permis à Nocte Obducta de retrouver un peu d’inspiration, notamment par le biais des morceaux plus longs et plus atmosphériques. Karwoche, sous-titré Die Sonne Der Toten Pulsiert, se place - à nouveau - dans cette stricte lignée.
A savoir un black metal très allemand mais très rugueux, qui se dévoile d’ailleurs d’emblée sur un « Sonne der Toten » très crasseux et presque black’n’roll. La plupart des morceaux de Karwoche sont donc relativement expéditifs, mais pas forcément brutaux (même si un « Conamara Chaos » dépote assez) ; pas mauvais, mais pas tous intéressants non plus. A l’instar de Irrlicht, le groupe est toujours davantage en réussite sur les pistes plus longues et atmosphériques, en témoigne le magnifique « Birkenpech », où l’on retrouve le Nocte Obducta le plus enivrant et le plus inspiré. « Balder » et surtout « Schwarzbier und Feigen », les deux morceaux de clôture, ne sont pas en reste et c’est vraiment le Nocte Obducta qu’on aime, plus que celui plus déglingué qui ne convainc que partiellement. Bref, Karwoche ne fait ni mieux ni pire que Irrlicht, c’est déjà pas mal mais le meilleur du groupe est derrière lui, et finalement seuls ses indécrottables fans suivront encore… j’en suis toujours, même si bon…
Ars Moriendi – Lorsque les Coeurs s'assèchent
Black metal progressif & mélodique – France (Archaic Sound)
ZSK : Être un one-man band n’est pas un frein à la productivité, bien au contraire, et même quand on pratique un style relativement riche. Ars Moriendi, projet de l’Auvergnat Arsonist, vient ici d’enchaîner 3 albums en 3 ans. Même s’il restait sur Tormentum Inanis MMXXII, qui était en réalité un réenregistrement de son premier vrai album L’Oppression du Rien (2008). Sur Horns Up, nous en étions restés à Sepelitur Alleluia, le quatrième album du projet qui remontait à 2016. Reprenons donc le cours de l’histoire d’Ars Moriendi après avoir zappé (oups) La Solitude du Pieux Scélérat (2019) et Le Silence Déraisonnable du Ciel (2021)…
Les albums s’enchaînent et Ars Moriendi ne dérive pas vraiment de ce qu’il avait forgé avec Du Tréfonds d’un Être (2011), à savoir un black metal qui se situe au milieu d’un trident atmo-mélo-progressif, avec quelques aspérités comme un côté « dark-metal » et même un peu heavy. Seulement, si depuis Sepelitur Alleluia le projet avait commencé à sonner un peu plus « roots » (notamment au niveau du chant), Lorsque les Cœurs s’assèchent lui permet de retrouver un aspect un peu plus clair et lumineux, même si le précédent album était à nouveau un peu plus propre. Mais on trouvera toujours un black metal tout autant rugueux que raffiné, notamment de par une aura mélodique omniprésente dans les compos. Qui d’ailleurs, dès le morceau-titre qui ouvre ce septième album original, nous abreuve de quelques belles parties semi-acoustiques, montrant que Arsonist semble très inspiré.
Et mine de rien, nous tenons presque ici le meilleur album d’Ars Moriendi depuis La Singulière Noirceur d’un Astre (2014). Certes, pour qui suit le projet de près, il n’y aura rien de révolutionnaire, mais Lorsque les Cœurs s’assèchent retrouve pas mal de verve vis-à-vis des précédents albums qui ne m’avaient pas autant scotché qu’un Du Tréfonds d’un Être. Outre les longs morceaux très maîtrisés, Ars Moriendi se distingue encore ici par de somptueux moments plus cosmiques, que l’on retrouve au sein de « Voyage Céleste » et surtout l’enivrant « Nous sommes passés » ; ou encore le très complet et flamboyant morceau de clôture qu’est « Le Blasphémateur ». Ars Moriendi signe donc ici un album très réussi, avec une recette plus aussi surprenante qu’au départ mais qui fonctionne mieux que jamais. Si le cœur vous dit de vous pencher sur la plus qu’intéressante discographie de ce one-man band…
Shining – Shining
Black mélodique dépressif – Suède (Napalm Records)
Malice : Difficile d'être bavard concernant un album de Shining en 2023 : voilà quand même quelques années que Niklas Kvarforth donne l'impression d'avoir tout dit. Depuis, en ce qui me concerne, l'excellent Redefining Darness. Mais au moins, ce nouvel opus, qui débarque en pleine crise psychotique de son créateur qui m'en avait parlé en détail dans une interview plutôt choc, a pour lui d'être plutôt réussi.
Bien plus en tout cas que X – Varg Utan Flock, dont je n'avais rien retenu, Shining offre des morceaux qui devraient avoir une vraie valeur ajoutée en live. Alors oui, c'est du Shining pur jus, bardé de breaks acoustiques prévisibles, de « uhg » et de « sssassassa » un poil agaçants, mais aussi de vocaux aussi puissants que d'habitude (le très classique « Allt för Döden »), bien que moins possédés qu'à l'accoutumée. Notons un featuring avec Andy LaRocque (King Diamond), malheureusement sur une sorte de semi-instrumental bizarre et peu intéressant (« Fidelis Ad Mortem »), et une reprise plus up-tempo de la très célèbre « Gnossienne n°1 » d'Erik Satie, dont le feeling mélancolique s'insère magnifiquement à la musique de Shining. L'album se termine en force avec un « Den Permanenta Sömnen Kallar » qui peut faire très mal en live. Somme toute, un bon album de Kvarforth, qui comme toujours pourrait être le dernier, et ce serait un bien meilleur point final que les 9e et 10e opus de Shining.
Violet Cold – Multiverse
Blackgaze folk – Azerbaïdjan (Indépendant)
Malice : Le projet azerbaïdjanais Violet Cold faisait partie des plus singuliers au sein de cette floraison de black metal atmosphérique qui avait jailli il y a 6 ou 7 ans de cela, avec des albums comme Magic Night et surtout Anomie, à l'imagerie éthérée, naïve, presque fragile. Derrière, un blackgaze très mélodique, très sensible, au point d'en être moqué par une bonne frange du public.
Emin Guliyev s'est ensuite un poil perdu entre provocations puériles et déclarations un peu cringe, avec en point culminant cet Empire Of Love à la pochette volontairement clivante – un drapeau LGBT frappé du croissant islamique. Rejet en bloc par tous ceux qui avaient zappé cet aspect pourtant assez clair de la musique de Violet Cold, malgré une provocation iconoclaste qui, après tout, colle plutôt bien à un style qui a commencé en cramant des églises. En ce qui me concerne, je me fiche qu'Emin soit LGBT+ lui-même ou simplement sympathisant, mais j'avoue qu'en tant qu'artiste vivant en Azerbaïdjan, sa démarche me paraît osée, comme celle affichée sur son merch' récent, à savoir un grand « Atheist » affiché sur fond de drapeau de l'État islamique. J'imagine que c'est difficile à porter dans les rues de Bakou.
Problème, musicalement, Violet Cold ne suivait plus vraiment la cadence effrénée du cerveau de son créateur. Et ce Multiverse règle la mire : en 8 titres, Emin offre une synthèse magistrale de son oeuvre, entre ouverture spatiale (« Multiverse ») et, surtout, mélodies orientales omniprésentes. Si les titres des morceaux restent un poil cringe (« Emocean »), on finit par planer comme à la grande époque de Magic Night, avec un sens affiné de la mélodie et une identité azéri bien plus affirmée (« Calliope », joyau de l'album et son final en chant oriental). Le chant féminin n'a également jamais été aussi bien utilisé depuis le début du projet et porte les très beaux « Stardust » (ces touches folkloriques sur le refrain...) et « Gentle Soothing Affection », qui comporte même un surprenant solo de guitare avant un final à la Saor. Multiverse est l'une des excellentes surprises de 2023. On ne peut qu'espérer que son créateur se soit « retrouvé » après quelques années difficiles.
Rorcal – Silence
Black metal / Post-metal – Suisse (Hummus Records)
S.A.D.E : Trois ans après un Muladona qui, sans démériter dans la discographie des Suisses, était un cran en-dessous de Creon et Világvége, trop axé sur son côté narratif, la musique passant presque au second plan, Rorcal revient avec un nouvel album, Silence. On ne va pas y aller par quatre chemins : ce sixième album est excellent. Le versant black metal est plus prédominant que jamais, laissant désormais peu d'espace aux accointances sludge et post-metal qui marquaient le début de carrière du groupe. Néanmoins, on sent encore dans le son très dense et complexe, à la fois percutant et comme diffus, que Rorcal a cheminé longuement avant de peaufiner ses textures, et sa génétique originelle demeure comme un sous-bassement des constructions ultérieures. Comme pour toutes les productions des Suisses, on se plonge dans un univers noir et torturé : Rorcal regarde en face l'avenir de notre espèce, se débarasse de l'encombrant espoir et, lucide, nous annonce qu'une fois cette dernière illusion tombée, ne reste que le Silence. Rorcal ne propose ni rédemption, ni catharsis, seulement un écrasement inévitable et étouffant d'angoisse.
Impossible de citer un titre plus réussi qu'un autre, le format single ne sied guère à Rorcal : sa puissance vient de sa constance et de sa cohérence, à travers une construction d'album faite pour ne jamais laisser respirer. Que le tempo soit rapide avec batterie blastée et tremolo picking, ou bien lent et pesant, on est maintenu sous la ligne de flottaison, avec juste assez d'air pour enduré jusqu'au bout. Le mur de son est permanent mais plutôt lisible, jamais brouillon, et chaque rupture retient l'attention et l'on poursuit sans s'en rendre compte un voyage éprouvant dans le noirceur d'un avenir éteint.