"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
On ne va pas refaire l’historique complet mais le metal (même pas forcément extrême) a des liens ténus avec le satanisme et ce depuis la création du genre. Ensuite, au fil du temps, il fallait bien évidemment faire le tri entre ce qui relevait de la simple imagerie, de la provocation, du second degré ou du sérieux absolu (et là aussi les exemples pourraient pleuvoir). Alors quand un énième groupe de metal arrive en citant Satan, le grand bouc, toussa toussa, on aura tendance à souffler un peu et peut-être aller chercher quelque chose de plus original, si l’on est pas puriste ou soi-même « pratiquant » bien sûr. The Antichrist Imperium, groupe anglais existant depuis 2010, joue donc à fond la carte du satanisme et semble bien bloqué dessus. Il n’y a qu’à voir les noms d’albums et les artworks pour s’en rendre compte bien vite. Suivant Volume II: Every Tongue Shall Praise Satan (2018) et sa pochette présentant une nonne à l’air malfaisant suivie de près par un bouc, voici la non moins ragoûtante pochette de l’encore bien nommé Volume III: Satan In His Original Glory, avec une dame à la poitrine un peu surdimensionnée (ce qui me fait dire qu’elle a « une tête qui va pas avec son corps ») se faisant visiblement cajoler par quelques créatures aux allures de gargouilles. Je ne vais pas aborder la notion du consentement ici mais avec l’église de Satan dans les parages, inutile de dire que ça sera un cas assez compliqué à trancher. On pourrait alors penser que The Antichrist Imperium joue la carte d’un satanisme de supermarché volontairement exagéré et troisième degré. Mais le groupe, qui balance quelques punchlines ici et là pour conclure sa bio ou ses publications sur les réseaux, vous répondrait bien évidemment que non, c’est parfaitement sérieux. On aura jamais la véritable réponse, mais de toute façon, une petite recherche en généalogie du metal nous apprend bien vite que The Antichrist Imperium descend tout simplement d’Akercocke (3 ex ou actuels membres), connu pour son satanisme très moderne et dandy assumé. Bref, qu’on y croie ou pas, qu’on y adhère ou pas, The Antichrist Imperium s’inscrit bien dans la lignée d’Akercocke (qui s’était pourtant reformé en 2016 avec un album a la clé, Renaissance In Extremis, sorti en 2017 soit 2 ans après le premier album éponyme de The Antichrist Imperium), pour le plus grand bonheur de leurs suiveurs ou des adeptes de LaVey et compagnie… mais pas que ?
On pourrait questionner l’intérêt de la coexistence d’Akercocke et The Antichrist Imperium qui font peu ou prou la même chose avec la moitié du line-up en commun. Toutefois des différences apparaissent bien vite, d’autant que Volume III: Satan In His Original Glory tranche un peu d’avec ses deux prédécesseurs, déjà au niveau de la production autrement plus puissante et moderne. Aussi, ce sont Samuel Loynes et Sam Bean (The Berzerker) qui tiennent ici les micros en lieu et place de Jason Mendonça dont je dois avouer ne jamais avoir aimé les vocalises. N’oublions pas aussi que Loynes et le batteur David Gray crèchent également chez Voices, et ça tombe bien car The Antichrist Imperium va du coup faire le pont entre Akercocke et Voices - tout du moins les deux premiers albums de ces derniers, avant le revirage post-punk. On est donc dans un death/black de brutasses qui growle mais qui s’aère bien vite avec des progressions décadentes. The Antichrist Imperium est insaisissable et difficile à situer, de même qu’un quelconque caractère « progressif » est finalement discutable mais l’idée est bien là. L’ouverture sur « The Sweetest Juice » qui dépasse déjà les 7 minutes est particulièrement parlante, avec un départ très gothique qui laisse ensuite place à des assauts extrêmes à la Behemoth, séparés par des breaks raffinés. The Antichrist Imperium joue donc clairement la carte d’un satanisme alternativement offensif et classieux, et l’ensemble se révèlera particulièrement fluide et cohérent. Après deux albums efficaces mais sans réel plus, The Antichrist Imperium passe donc clairement la vitesse supérieure et fait preuve de plus de travail et d’ambition. On le confirmera déjà dès « Vilest of Beasts » qui en deuxième position sur l’album dépasse déjà les 9 minutes (!), avec un départ délicieusement décadent et enivrant porté par de très bons vocaux clairs (à la Voices - mais pourtant non assurés par leur chanteur Peter Benjamin), s’entremêlant et se complétant ensuite avec des passages metal bien lourds et percutants (cette grosse baffe à 4’40…) et des compos diablement inspirées au sein d’une partie finale finalement très prog’. Presque réservé aux initiés de la galaxie Akercocke de base, The Antichrist Imperium est pourtant en train de délivrer un album plus que solide, et qui devrait bénéficier d’une aura plus grande… histoire de bien répandre la propagande satanique ?
Les deux plus longues pistes sont passées et The Antichrist Imperium va maintenant en profiter pour aligner des morceaux un poil plus directs qui seront autant de tueries inattendues. « Third Degree Baptism » est déjà délicieux tout en faisant méchamment taper du pied, est presque référentiel de la formule The Antichrist Imperium mais ce n’est encore rien à côté de la suite. Le potentiel de The Antichrist Imperium explose vraiment dès « Exorcist Evisceration » où les ambiances noires côtoient un death/black particulièrement brutal, porté par des compos formidables, et toujours ces breaks gothico-décadents aussi improbables qu’appréciables. « Chapel of the Crippled Seed » cartonne dans cette lignée, le pic créatif de Volume III: Satan In His Original Glory est atteint et c’est fantastique, avec des compos plus originales, mélodiques même, et très accrocheuses. Et « Tu Verus Mundi Lucifer » donne déjà le coup de grâce avec une vibe plus entêtante qui évoquera le côté plus post-punk récent de Voices, mais toujours sur le joug d’un metal extrême dandy et raffiné. Le spectre musical de The Antichrist Imperium est finalement assez large, sans pour autant verser dans l’avant-gardisme pur et dur. D’ailleurs « Menage A Triumvirate » remet de la franche brutalité dans l’équation avec même des sweepings (!) mais se complète encore par des subtils - et excellents - passages décadents. « Misotheist » conclut de manière explosive cet album tout de même conséquent (53 minutes), qui se termine avec quelques synthés et des punchlines sataniques répétées en boucle. Peut-être difficile à digérer, surtout avec sa prod finalement assez gonflée et quelques passages qui en font un peu trop, Volume III: Satan In His Original Glory aura peut-être du mal à se trouver un public, mais qu’importe. Sa mixture est tout de même bien couillue, l’efficacité est au rendez-vous, les compos sont variées et les incursions classieuses font mouche en plus d’être franchement maîtrisées. On en attendait pas moins des musiciens d’Akercocke et Voices, et après deux premiers albums passés inaperçus, ce troisième album de The Antichrist Imperium est une franche surprise doublée d’une sacrée révélation. Après, il est vrai que l’ensemble, entre son satanisme premier degré, sa pochette à haut risque de flag sur les réseaux sociaux puritains et son death/black tout de même testostéroné par moments, peut paraître assez grotesque. Ainsi ça ne plaira pas à tout le monde, mais musicalement Volume III: Satan In His Original Glory est malgré tout un album assez colossal et réussi, bousculant certains codes pour mieux se faire remarquer. A vous de voir comment vous aimez votre propagande satanique, mais bon comme ils disent, praise Satan.
Tracklist de Volume III: Satan In His Original Glory :
1. The Sweetest Juice (7:39)
2. Vilest of Beasts (9:16)
3. Third Degree Baptism (5:47)
4. Exorcist Evisceration (5:51)
5. Chapel of the Crippled Seed (6:15)
6. Tu Verus Mundi Lucifer (6:44)
7. Menage A Triumvirate (5:33)
8. Misotheist (5:26)