Série Noire #7 - Lykotonon, Iffernet, Aurora Borealis, Djevel, Caïnan Dawn...
mercredi 7 décembre 2022Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.
Déjà un an de Série Noire ! Début décembre 2021, l'équipe publiait le premier article de cette nouvelle rubrique qui s'intéresse, tous les deux mois, aux sorties black metal du moment. Qu'il s'agisse de gros coups de coeur ou de simplement traiter de l'actualité, l'essence est toujours là : on vous laisse donc avec les dernières trouvailles de l'équipe, de toutes les niches et de tous les pays, pour compléter vos écoutes de 2022 et vous laisser constuire votre petit top albums personnel de cette année écoulée. Bonne écoute !
Groupes évoqués : Lykotonon | Iffernet | Aurora Borealis | Djevel | Drudkh | Funeral Harvest | Deströyer 666 | Caïnan Dawn
Lykotonon – Promethean Pathology
Black/death indus – USA (Profound Lore Records)
Circé : Le cercle de musiciens le plus hyperactif du metal extrême aux Etats-Unis a semble t-il encore frappé. Car si le nom de Lykotonon ne vous évoque probablement pas grand chose à l'heure actuelle, ceux de Blood Incantation, Wayfarer ou encore Stormkeep vous sont sûrement plus familiers – et ce sont exactement ces gars là qui sont derrière Promethean Pathology, sorti fin novembre chez Profound Lore Records. Ce nouveau side project – ou supergroupe – propose un metal aux confluents du black et du death, le tout saupoudré d'indus pour cimenter une ambiance austère et inhospitalière. La tâche n'est pas facile, mais le groupe arrive avec brio à s'affranchir du Black Indus très 90s pour composer quelque chose de plus moderne, avec une utilisation des samples plus partielle mais percutante, qui laisse amplement la place aux guitares et aux vocaux.
On retrouve bien sûr facilement la sensibilité des groupes pour lesquels les différents membres sont connus, que ce soit les rares passages ultra mélodique qui restent en tête à la Stormkeep ou le chaos savant de Blood Incantation sur les morceaux les plus denses. Mais aucun ne prend le pas sur l'autre, rien ne fait puzzle ou raccolage. Lykotonon crée son propre univers, qui s'avère à la fois tout aussi imaginatif et beaucoup plus accessible que le groupe pré-cité. Sur sept morceaux, on a le droit à une musique fort variée qui sait se calmer comme offrir de vraies fulgurances du death metal le plus brutal, avec des vocaux oscillant eux aussi entre growl caverneux et chant black répartis entre le bassiste et le guitariste. Bref, un album intelligent, inventif, qui mixe habilement ses influences death, black et industrielles.
Iffernet – Silences
Black à deux – France (Vendetta Records / Bad Moon Rising 惡月上昇)
Dolorès : Vus l'an dernier dans un tout petit bar nantais, j'attendais avec impatience ce deuxième album d'Iffernet. Le duo normand, batterie-chant-guitare, fait partie du collectif La Harelle qui rassemble également Sordide et Mòr, entre autres. De quoi donner le ton : on ne va pas faire dans la dentelle.
Clairement, les sonorités du projet se rapprochent de la scène néerlandaise actuelle, d'Haeresis Noviomagi (Fluisteraars, Turia, etc.) à Urfaust. Les hurlements du batteur, parsemés avec modération, créent cette atmosphère désespérée qui accroche l'oreille. Parmi les « pour les fans de » qu'on trouve dans nos mails promo, on trouve aussi Weakling, groupe que j'avais complètement oublié mais une fois mis devant les yeux, c'est d'une évidence absolue. On y retrouve la même rigidité, une vibration glaciale et sinistre sur des boucles incessantes d'une batterie qui ne prend jamais congé. La mélancolie n'est pas absente, elle est simplement aseptisée et enrobée d'une production un poil poussiéreuse. Histoire de bien sombrer dans un amas chaotique qui prend seulement sa source dans des riffs de guitare vrombissants, parfois allégés de mélodies et d'arpèges. Impressionnant. Le duo poursuit sa tournée dans encore quelques villes, un bon moyen de découvrir l'album en live.
Aurora Borealis – Prophecy is the Mold in which History is Poured
Black/death/thrash metal – USA (Hammerheart Records)
ZSK : Dans une relative discrétion, Aurora Borealis se traîne tout de même une sacrée discographie depuis sa fondation en 1994. Un nom qui aurait dû réellement être culte parmi les cultes dans le black/thrash/death aux côtés d’Absu, Angelcorpse ou Deströyer 666, mais on dira que seuls les vrais savent. Quoi qu’il en soit, le groupe de l’inénarrable Ron Vento nous sort ici son 8ème album, avec un retour chez un label européen assez renommé, à savoir Hammerheart Records. Ceci après un nouveau délai de 4 ans, ce qui séparait déjà Worldshapers (2014) de Apokalupsis (2018). Chaque année de coupe du monde, on voit ainsi des Aurores Boréales… et l’équipe se renouvelle un peu, avec ici un nouveau bassiste, Eddie Rossi.
Sans grande surprise, Aurora Borealis fait toujours du Aurora Borealis, à l’exception que les thématiques sont moins science-fictionnelles et de nouveau plus ésotériques comme à l’époque du mètre-étalon Relinquish (2006). Pour le reste, on évolue toujours entre du black/death et du black/thrash, avec un son organique relativement rustre et la voix de canard de Ron Vento presque typique du sous-genre. Prophecy Is the Mold In Which History Is Poured (oui, c’est long) reprend les choses là où Apokalupsis les avait laissées, toutefois les aspirations un peu plus mélodiques (que l’on retrouve encore cependant en force parmi « Ephemeral Rise » ou « Founding Fathers of Deception ») laissent place à un peu plus de tonus, qui se manifeste dès l’excellent duo d’ouverture sur « God Hunter » et « The House of Nimrod ».
Prophecy Is The Mold In… blablabla sera donc un album globalement efficace, et même souvent inspiré (cf. les excellentes compos de « Khafres Mark »), quoiqu’un peu redondant sur la durée, surtout qu’il faut toujours se farcir les vocaux de Ron Vento qui ici bénéficient d’une sonorisation bien baveuse. Mais la satisfaction est bien au rendez-vous, avec quelques morceaux encore bien jouissifs et offensifs comme « Serenade of Designations » ou « Hymn to the Archfiend ». C’est le même bilan qu’avec tout ce que sort le groupe depuis Timeline (2011), si vous aimiez le groupe jusque là, vous continuerez à aimer, surtout que la formation n’est de toute façon pas assez productive pour décevoir, tous les 4 ans ça fait le taf. Aurora Borealis ne sera jamais un très grand nom du black/thrash, je ne pense pas qu’il le revendique de toute façon, donc sans prétention il sort à nouveau un bon album du genre et c’est tout ce qui compte.
Djevel – Naa skrider natten sort
TNBM – Norvège (Label)
Circé : S'il y a encore un groupe qui maîtrise l'art de ne jamais évoluer tout en restant consistant, c'est bien Djevel. Qui d'autre arrive à faire du Trve Norwegian Black Metal pur et non dilué sonnant toujours pertinent depuis ces dix dernières années ?
La présence de vétérans de la scène n'en n'est pas toujours un gage, mais Djevel n'a pas dévié, ni en son ni en qualité, sur ses désormais huit albums parus depuis 2011. Alors certes, l'annonce d'un nouvel album n'est pas vraiment un événement provoquant de l'anticipation, étant donné qu'on sait exactement ce que celui-ci va contenir. Toujours plus de blasts, de tremolos pickings lancinants, plus de noms à rallonge, le tout passé au congélateur pour être sûr que l'atmosphère soit bien froide et Satan. Naa skrider natten sort ne dévie globalement pas à la règle, même si le groupe opte ici tout de même pour pas mal de changements de rythmes avec des tempos plus lents, pesants.
Plus ou moins mis à l'honneur selon les albums, on retrouve ici la touche folk du groupe, autant en intro/outro qu'en interlude en plein milieu d'un morceau, ainsi qu'en arrangements au synthé pour renforcer l'ambiance sinistre et hantée de des quelques vocaux clairs noyés dans l'écho. Le son, quand à lui, est peut être l'évolution la plus tangible : il est globalement plus propre que celui très grésillant des sorties précédentes. Djevel réussit donc presque à provoquer un peu de surprise chez moi ; ou en tout cas la sensation d'écouter un album inspiré où tout n'est fait que pour renforcer le climat dépressif dans lequel on nous plonge.
Drudkh – All Belong to the Night
Black atmosphérique – Ukraine (Season of Mist)
Malice : Voilà quelques années que la scène ukrainienne ne me passionne plus autant qu'avant. Les cadors du black ukrainien ont réduit la voilure, voire même sorti des albums bien moins marquants qu'à une époque, comme les derniers Ygg et Khors, par exemple. Même le prolifique et controversé Roman Saenko paraissait s'être perdu dans des sorties inutilement nombreuses, ce dont son meilleur projet, Drudkh, pâtissait aussi.
En 2022, difficile d'en vouloir aux Ukrainiens pour leur manque de productivité. Mais paradoxalement, dans une scène aussi fortement teintée, parfois envenimée de nationalisme, on imagine aussi le pouvoir inspirant que la dévastation de leur pays peut insuffler aux futures sorties. All Belong to the Night, nouvel opus un peu inattendu de Drudkh, est peut-être bien le premier petit chef d'oeuvre à sortir de ce sombre contexte.
Dès « The Nocturnal One », on retrouve cette utilisation intelligente des guitares acoustiques pour ponctuer le propos, contribuant à cette teinte triste, émouvante. En quatre (longs) titres, Drudkh délaisse globalement l'agression pour des pièces aérées, portées par des guitares mémorables (la fantastique conclusion « Till We Become the Haze » et son final un poil longuet), et la voix désespérée d'un Thurios qui n'a jamais aussi bien sonné. À l'image de sa splendide pochette, Drudkh paraît n'illuminer sa musique que pour mieux mettre en valeur l'horreur qu'elle décrit, que l'Ukraine vit - certains passages de texte y faisant référence de manière métaphorique. Saenko semble y avoir puisé une inspiration nouvelle, et Drudkh en tire son meilleur opus depuis longtemps.
Funeral Harvest – Redemptio
"Nidrosian Black Metal" – Norvège/Italie (Signal Rex)
Varulven : Chez les amateurs de black metal, il est de bon ton de dire que la scène norvégienne underground est devenue bien fade depuis la fin de l’age d’or des 90’s. Seule éclaircie dans la nuit noire, la scène « Nidrosian Black Metal », dont les récentes sorties de Whoredom Rife et Darvaza qui ont su réinsuffler une dose de soufre blasphématoire qui manquait depuis longtemps. Nouveau rejeton impie sorti des entrailles de Trondheim, Funeral Harvest est un tout jeune projet qui s’articule lui aussi autour d’une alliance italo-norvégienne. Et tout comme le grand frère Darvaza, le cadet propose lui aussi une version plus violente et dépouillée par rapport aux standards du BM orthodoxe actuel. Riffs tranchants, mélodies bouclées et vicieuses, vocaux habités. On retrouve dans ce Redemptio une intensité primaire et « in your face » au service de l’atmosphère occulte qui est recherchée par le groupe. Une chose qui a souvent fait défaut à certains artistes récents du genre, trop occupés à empiler les couches de guitares dissonantes ou à réciter tous les qliphoth de la Kabbale. Malgré un univers thématique depuis longtemps balisé, Funeral Harvest réussit pour son premier album le pari de conjuguer hermétisme ésotérique et simplicité régressive, tout cela ramassé sur une petite demi-heure de musique.
Deströyer 666 – Never Surrender
Black thrash – Australie (Season of Mist)
Malice : Je m'en tiens à ma promesse : une fois par Série Noire, il y aura un album débile. Cette fois cependant, on sort des caves obscures pour parler d'un sacré nom : Deströyer 666, qui revient six ans après Wildfire avec Never Surrender. Pour ceux qui me trouvent dur à parler d'album débile : qu'on se le dise, ce n'est pas à prendre comme une insulte dans ma bouche (il paraît que les membres d'Abhor étaient perplexes suite à la Série Noire précédente).
Mais il faut se rendre à l'évidence, le Deströyer 666 de Phoenix Rising, aux accents épiques et Bathory-esques, a laissé en bonne partie sa place à un black thrash plus direct, plus rentre-dedans. Never Surrender continue cette mue. À l'écoute du single « Guillotine » et son texte quasi oi! de droite (non, personne n'ignore ici les positions politiques de KK Warslut, ni le fait qu'il risque de lancer une campagne de harcèlement à notre encontre s'il lit cette chronique, bisous KK), on a presque l'impression d'écouter un autre groupe. Heureusement, la patte est toujours là : les riffs et refrains sont terriblement efficaces (« Never Surrender » et « Guillotine », à defaut d'être des perles, sont de vrais tubes) et par moments, Deströyer 666 retrouve cette vibe plus black. C'est le cas sur « Pitch Black Night » et son chant plus extrême - le meilleur titre de l'album. « Grave Raiders » et « Batavia's Graveyard » qui clot l'album retrouvent même cette vibe à la Quorthon qui a offert aux Australiens leurs meilleurs titres. Never Surrender n'est pas le meilleur album de D666 mais en est certainement le plus efficace, suite logique dans la carrière du groupe.
Caïnan Dawn – Lagu
Black occulte – France (Osmose Productions)
Varulven : La fin d’Allobrogia fut une bien triste nouvelle pour l’amateur de pagan black français que je suis. Outre un concept lyrique poussé sur la cosmogonie celtique, l’intérêt du groupe résidait surtout dans la singularité de sa musique. Cette dernière réussissait en effet à dépeindre un cadre épique tout en puisant dans la noirceur de Mgla, Inquisition et autres artistes adeptes de textures sonores massives et étouffantes. Heureusement, il est toujours possible de profiter de références similaires à travers une œuvre plus conséquente : celle de Caïnan Dawn, groupe de black occulte de Chambéry et désormais projet principal d’au moins trois ex-Allobrogia. Les Savoyards poursuivent sur Lagu le travail de défrichage des arts senestres entamé depuis la sortie de Nibiru en 2011. Partant de la même base musicale que sur F.O.H.A.T, Caïnan Dawn délaisse pourtant ici le ton cru et viscéral d’un Nëhëmah pour élever sa lourdeur dissonante vers des sphères plus aériennes et mélodiques. Ce nouvel ingrédient est en parfaite congruence avec le fil rouge de l’album, articulé autour de l’océan et de ses mystères. Outre les quelques samples de bruits maritimes distillés avec parcimonie, les nombreux arpèges à la Blut Aus Nord et Deathspell Omega ne nous écrasent pas dans leurs motifs bruitistes, mais nous entraînent à l’inverse dans un état de transe et de communion avec cette immensité aqueuse, toujours partagée entre un sentiment d'une accalmie apaisante et cette peur, quasi lovecraftienne, de l’inconnu, de l'invisible.