Deafheaven + Celeste + Whispering Sons + Slow Crush @ Paris
Elysée Montmartre - Paris
Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.
Si la reprise des concerts post-pandémie nous a appris une chose c'est que la stabilité du modèle économique de la musique live, même dans nos scènes de passionné.e.s investi.e.s, est loin d'être acquise. Entre les très nombreuses tournées qui se sont vu annulées malgré la levée des restrictions sanitaires, les annulations par manque de préventes et coûts trop élevés ou les retraits sans véritable justification, impossible de ne pas avoir constaté la complexité du "retour à la normale".
Alors de leur côté, il semblerait que les tourneurs et promoteurs aient deux choix. Le premier est de conserver les anciens modèles en croisant les doigts pour que les groupes puissent traverser des continents sans désagréments et que le public soit au rendez-vous malgré les contre-exemples nombreux. Le second est de tenter de renouveler l'offre des concerts pour en faire des événements uniques plutôt que des unités interchangeables de tournées européennes, comme c'est le parti-pris de cette première soirée de Frankenhooker.
Dans les deux cas, le consensus est à l'augmentation très nette des billets. Lors du dernier passage de Deafheaven en France, avec Touché Amoré et Portrayal of Guilt, avec pourtant une affiche 100% américaine, les tickets coûtaient 28€ (et 18€ à Lyon). Cette fois, il faut s'acquitter de 39,50€ pour un line-up avec une seule véritable TA.
Avant de se rendre à l'Elysée Montmartre, on a peu d'informations sur le concept de cette soirée. On peut juste lire qu'il s'agira de "la soirée Z de la génération X" et que "Frankenhooker c’est toi, c’est nous. Un être unique et pourtant multiple. Mais c’est avant tout une comédie d’horreur survoltée de la fin des 80’s, une variation du mythe de Frankenstein au féminin." Un programme intriguant mais dont on ne sait pas encore comment il saura se mêler aux univers assez lointains des quatre groupes de la soirée.
Alors autant vous divulgâcher tout de suite : on n'a rien vu de tout ça. A part un agréable stand de maquillage, assurée par les très sympathiques "Si si la paillette" et qui permettait, à l'aide de paillettes biodégradables, de s'assurer un look "goth-shiny", rien dans la salle ne rappelait la thématique Frankenhooker. On s'attendait à la diffusion d'un film d'horreur de série Z ou des décorations particulières, mais on a assisté à un concert somme toute très classique dans la belle salle (mais seulement à moitié remplie) de l'Elysée Montmartre. Ou peut être le light show violacé de Slow Crush et Whispering Sons devait nous rappeler l'affiche (somptueuse, réalisée par Arrache toi un oeil) ?
Crédit photo : Clara Griot
Slow Crush
Di Sab : N’étant pas historien de la musique, je n’ai jamais compris comment le shoegaze et le metal se sont connectés. Le succès de Nothing sur un label 100% metal (Relapse Records en l’occurrence) ne doit pas y être étranger, mais désormais, c’est acté. Une partie de la scène shoegaze alourdit ses riffs et comporte, dans son auditoire, une large frange de personnes ne venant pas de la scène indie rock. Slow Crush s’inscrit clairement dans ce mouvement et ouvre pour l’intégralité de la tournée de Deafheaven à l’inverse des deux autres. Au vu du dernier album de la tête d’affiche, très dream pop, le choix apparaît comme extrêmement cohérent.
Légère et onirique, la musique du quatuor belge a ce petit quelque chose d’inquiétant et de mélancolique, des couleurs qu’on retrouve très fréquemment dans le metal et en particulier dans le doom qui en fait une première partie logique et bienvenue. Je ne connais bien que "Aurora" et c’est avec plaisir que je vois le groupe débarquer sur mon titre préféré, "Drift" en l’occurrence.
Il est un peu plus de 18 heures, et fort logiquement, le public est bien trop clairsemé. Le groupe n’en a cure et donne beaucoup, sublimé par un jeu de lumière assez immersif (fumée, lights roses et bleues qui dessinent les silhouettes des membres). Seul reproche de taille, les vocaux ne sont que trop peu audibles. Bien qu’ils fassent partie du mix en studio sans être nécessairement mis en avant, ce soir, ils étaient bien trop en retrait et la fluidité du set en a pâti.
De manière assez étrange, malgré ce problème, Slow Crush a été pour beaucoup, et notamment mes petits camarades de ce soir, une excellente découverte. Encore une fois, personne ne s’est trompé sur la cohérence de l’univers et la qualité de l’écriture. Groupe doux et parfait pour la saison à venir.
Whispering Sons
Dolorès : Je n'avais jamais écouté Whispering Sons, c'est donc en live que je découvre le groupe. Il s'avère que le projet a déjà quelques sorties en stock et, je le remarque vite, une certaine habitude de la scène. La chanteuse fait le show tout du long, tout en subtilité, malgré l'aspect froid du groupe.
En effet, le style de Whispering Sons rappelle les débuts de Bauhaus dans les titres solennels, des bouts de Rosetta Stone quand les mélodies appellent le dancefloor, la contemporanéité de Grave Pleasures et, finalement, tout un clin-d'œil à la scène post-punk revisitée de manière moderne et glaciale. On a par exemple la présence d'un batteur, qui apporte une présence organique mais également une sonorité purement synthétique par son jeu. On oublie assez vite les synthés qui sont extrêmement bien fondus à l'ensemble alors que ce sont bien souvent eux qui créent les progressions les plus intenses.
Côté voix, j'ai du mal à me décider. D'un côté le timbre est très beau, le placement toujours absolument millimétré. De l'autre, on attend toujours malgré nous une octave en dessous pour ce type de lignes vocales, octave qu'elle ne peut sans doute pas assurer et on le comprend. Le fait d'être constamment dans les médiums n'aide pas non plus à faire ressortir son chant dans le son global du concert. A cela s'ajoute un manque d'impact dans le phrasé, bien qu'il devienne de plus en plus incisif et moins langoureux au fil du concert.
J'en retiens toutefois une proposition live extrêmement efficace, avec un set très bien construit grâce à une montée en intensité au fil des morceaux. Le style est parfois épuré, parfois chaotique, mais toujours parsemé de tubes qui ont le mérite de rester en tête ("Surface", "Satantango" et bien d'autres). Après Slow Crush et Whispering Sons, la soirée a des chances de laisser un superbe souvenir.
Crédit photo : Clara Griot
Celeste
Raton : J'avais l'occasion de vous parler du dernier album de Celeste dans les colonnes du deuxième épisode de notre rubrique black metal. Pour y dire notamment que "Assassine(s)" constituait une nouvelle étape dans l'évolution du son du groupe, augmentant les doses de black metal et de post-metal et réduisant celles du sludge et du screamo originel. Nécessairement, leur concert est à cette image. Sur les 9 morceaux joués, 7 proviennent de "Assassine(s)" (seul "Draguée tout au fond" n'est pas interprété) et les deux derniers proviennent de l'effort précédent, "Infidèle(s)".
"(A)" ouvre le bal avec sa basse ronflante et menaçante, les musiciens sont de dos ou non éclairés, fidèles à leur esthétique désindividualisée. Derrière eux, le clip explore leurs thèmes habituels de la déformation et de la monstration de corps féminins, on reviendra là-dessus. Dès le début du deuxième morceau, "De tes yeux bleus perlés", le groupe adopte son esthétique visuelle classique avec leurs lampes frontales rouges. Idée simple mais qui fonctionne toujours, comme en témoigne la réaction du public, heureux de retrouver les spéléologues de l'angoisse (j'avais d'abord opté pour "les taupiqueurs de la noirceur" mais on me dit que j'en fais un peu trop).
Pas de grande surprise pour qui connaît le metal noir, angoissant et amer de Celeste. Très fidèle à leurs performances de studio, leur set ne manque pas la moindre note, aussi efficace dans les sections rouleau compresseur black metal que dans les passages mid-tempo. On ressent dans ces derniers les stigmates du hardcore, comme dans certains riffs et plans de batterie. Ça ne tient pas en place et les deux guitaristes sont incapables de garder un riff plus de 2 minutes. Si on sait ce qu'on vient chercher à un concert de Celeste, je reste assez admiratif devant la netteté et la puissance de leur interprétation.
Une seule chose me laisse un arrière-goût désagréable. Quand le groupe entonne l'excellent morceau et conclusion du dernier disque, "Le Coeur noir charbon", son clip est diffusé sur le grand écran. Pour celles et ceux qui ne l'ont pas vu, c'est une vidéo en noir et blanc qui montre de façon violente et semi-explicite un viol d'un homme sur sa partenaire. Les images sont violentes avec des coups et de nombreuses représentations symboliques de la violation. Au-delà des questions sur l'esthétisation des violences sexuelles qu'elle soulève, sa diffusion sur écran géant, imposée au public, pose problème. Comment ne pas être sûr que ces images ne déclencheront pas des réactions traumatiques chez des spectatrices ? Celeste est connu pour cette esthétique, mais quid des personnes non averties ? Et comment ne pas se méprendre sur le message lorsque c'est un groupe d'hommes qui force ces images aux yeux d'une foule inégalement initiée ?
Autant de questions qui ne seront pas répondues à la fin de cet article et avec lesquelles on peut être en désaccord mais qu'il me semble bon de poser pour interroger son approche de la violence musicale et de ce que son image peut provoquer.
Setlist :
(A)
De tes yeux bleus perlés
Des torrents de coups
Il a tant rêvé d’elles
Nonchalantes de beauté
Elle se répète froidement
Le cœur noir charbon
Comme des amants en reflet
Cette chute brutale
Deafheaven
Mess : Ressortir de l’Élysée Montmartre à la fin de cette soirée en me disant que Slow Crush fut mon coup de cœur de ce très beau plateau d'artistes alors que Deafheaven jouait aussi ce soir-là, c’est qu’il y a eu un énorme bug dans ma matrice personnelle. Deafheaven aurait dû être mon grand moment (comme les trois autres précédentes prestations auxquelles j’ai pu assister, notamment celle fantastique au Trabendo en 2019) ; mais ce ne fut pas le cas cette fois-ci. J’en serais presque choqué mais les raisons ne manquent pas pour avoir trouvé ce concert un peu terne.
Alors, on va remettre quelques pendules à l’heure, quelqu’un qui voyait Deafheaven pour la première fois a du probablement se régaler, la musique des Américains est si particulière qu’on ne se retrouve pas devant eux, en live, par hasard tant elle invoque des choses intimes pour beaucoup d’entre nous.
Mais, déjà, pour une raison que je n’arrive toujours pas à expliquer, malgré l’intimité de la musique de Deafheaven et son caractère introspectif, je n’étais pas sûr de bien comprendre pourquoi, sous mes yeux consternés, j’assistais aux multiples mini-pits déclenchés par 6 ou 7 bovins comme si les mecs étaient devant un concert de Kreator. C'est comme vouloir faire des slams pendant Amenra ou demander le silence à un concert de pagan, ça n’a pas de sens ! Ecoutez la musique, bon sang ; comprenez ce qu’elle tente de vous dire. A croire que le moindre son « metal » en live est la caution d’un « ça part en fête du slip, c’est normal ». Non, ça ne l’est pas. Ai-je l’air d’un vieux con ? Oui.
Passé outre le fait qu’une minorité semblait vivre dans sa tête un concert de Cannibal Corpse plutôt que celui de Deafheaven, là encore, sur scène, la tambouille peinait à convaincre. Si on a beaucoup apprécié la diffusion géante d’images psychédéliques à l’arrière des musiciens pour accompagner les morceaux, notre peine fut un peu plus prononcée quand fut arrivé le moment tant craint par les fans et qui, malheureusement, définit la direction de cette tournée : les morceaux de "Infinite Granite". Et comme sur les innombrables vidéos auparavant visionnées de lives présents sur Youtube (ne faites pas ça), j’ai eu la confirmation que non, George Clarke ne sait pas vraiment chanter avec la belle voix présente sur album. Trop grave, légèrement bancale, parfois fausse et ponctuée de quelques détours screamés totalement inadaptés, George ne tient pas la baraque sur des titres comme "In Blur" ou "Shellstar". On aurait presque même l’impression qu’il tente d’insuffler un esprit « crooner sexy désabusé » pour pallier le manque évident de beauté dans sa voix.
Le son était cra-cra. Une batterie bien trop présente dans le mix, un son de basse convenable mais des guitares ou trop discrètes ou trop saturées, l’ingénieur son a visiblement rencontré quelques difficultés à stabiliser la puissance mélodique des Américains…un peu frustrant quand on assistait, quelques heures plus tôt, à un son incroyable pour Slow Crush jouant dans le même registre sonore, aussi délicat que bruyant.
Fort heureusement, l’enchaînement "Honeycomb" – "Worthless Animals" au milieu du set, le rappel très musclé avec "Brought to the Water" et l’incontournable purificateur d’âmes "Dream House" rappellent pourquoi, avec Alcest, Deafheaven sont les patrons du blackgaze. Cela dit, on regrettera l’absence étonnante de Shiv Mehra à la guitare, remplacé par un monsieur dont je n’ai malheureusement pas l’identité et qui, forcément, on ne peut pas lui reprocher, était un poil moins à l’aise avec certains solos puisqu’il était également concentré sur un synthé dont, là encore, le son de qualité passable nous a fait nous questionner sur sa quelconque utilité.
Cette prestation ne m’enlèvera pas l’idée de continuer de saisir n’importe quelle opportunité de les voir en live sachant leur talent évident sur scène mais, pour ce soir, celle-ci n’a pas été la plus aboutie de leur illustre carrière, c’est une certitude.
Crédit photo : Clara Griot
Merci aux organisateurs, Voulez-vous danser et Frankenhooker, à la salle de l'Elysée Montmartre, à Clara pour nous avoir confié ses photos, à Clément pour l'invitation, aux Si si la paillette pour la flamboyance de nos maquillages et à George Clarke pour ses petits trémoussements scéniques.