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vendredi 26 août 2022

Corentin Charbonnier - Anthropologue du Metal

Corentin Charbonnier

Prout

Chroniqueur musiques du monde. Parfois Brutal Death / Black / Grind mais rien au dessous de 300BPM sinon c'est trop mou et je m'endors.

Horns Up ce n'est pas que des groupes mais aussi des acteurs plus discrets qu'on croise sur de nombreux festivals et qui méritent aussi d'avoir une tribune où s'exprimer. Aujourd'hui on donne la parole à Corentin Charbonnier, Docteur Anthropologue de l'Université de Tours, spécialisé dans notre scène Metal qui nous est si chère.

Hello Corentin, on a déjà parlé de toi dans les lignes d'Horns Up et on aimerait suivre l'évolution de ton parcours. Déjà est-ce que tu pourrais te présenter succinctement aux lecteurs de Horns Up qui ne te connaissent pas ?

Salut et merci pour l’interview. Et bien comment faire simple. Je m’appelle Corentin Charbonnier, je suis docteur en anthropologie, spécialisé sur le Hellfest et le metal. En parallèle, éditeur, photographe, animateur radio, musicien, conférencier… bref, un beau bazar.

Qu'est-ce qui t'a poussé à te spécialiser en anthropologie et spécifiquement au niveau de la culture Metal ?

Quand tu grandis dans une culture comme le metal et que t’as la chance de faire des sciences sociales, il faut savoir se faire plaisir. J’ai adoré mon cursus en sociologie à Angers, j’y ai appris les bases des sciences sociales, appris à employer les méthodes et je me suis rapidement intéressé à l’anthropologie grâce à des enseignants particulièrement pertinents à l’UCO. Moi mon problème c’est que je voulais absolument faire une thèse sur un sujet qui me passionnait car je savais que 5 ans sans subvention j’allais manger des cailloux et que sans un sujet qui te tient à cœur, et sans être entouré par famille et amis, je ne serais certainement jamais allé au bout. Clairement c’était un sujet passion. Et j’ai eu la chance d’être accepté à Tours par Isabelle Bianquis plus néophyte que moi en metal, ce qui m’a obligé dès le début à « objectiver » mon travail.


 

Ce n'est pas trop dur d'avoir de l'information et du recul sur une scène finalement assez jeune pour qui étudie l'humain ?

Et bien, pour une musique dite actuelle… puisqu’on appartient à cette dénomination… on a déjà plus de 50 ans, on est pour ainsi dire déjà bien vieux. Le plus compliqué, et là je te fais du teasing sur mes recherches, mais c’est qu’avant l’anthropologue allait étudier des sociétés et cultures primitives (au sens noble du terme), avec peu de changements par rapport à leur origine. Or, quand tu taffes sur le metal tu te rends compte du "biiip" que ça a toujours été. Personne n’est d’accord sur l’apparition du signe de la bête, la naissance du metal même si on est d’accord qu’il y a Black Sabbath comme ancrage (et encore il faudrait traiter), on a des mythes fondateurs divers… par exemple certains sous styles de metal… et même s’il y a des super journalistes depuis les années 80 en France (Sabouret, Zegut, Lamet…) et des sortes d’archivages de chroniques/sorties d’album : c’est une culture autant orale que les sociétés primitives, et les mythes se perdent. Je prends exemple sur le Hellfest, le public qui crie et porte des tee shirts « Libérez l’Apéro »… ce qui est drôle c’est qu’il y a 90% de chances qu’ils n’aient pas connus l’origine en 2008. De ce fait on a tout intérêt à vraiment tenir des sortes d’archives lorsqu’on veut travailler sur cette scène et garder des éléments d’entretiens et autre.

Comment fonctionnes-tu habituellement pour mener tes études à bien ?

Ca dépend des études, du terrain, de qui initie la ou les recherches. Par exemple pour ma thèse, c’était mon premier gros terrain. Donc là le plus long c’est de te faire identifier auprès des personnes avec lesquelles tu as besoin d’être en contact : les labels, les artistes, les organisateurs. Toute cette partie s’est effectuée durant la thèse, et depuis je fais partie des gens qui ne lâchent rien donc il y a un réseau de connaissances avec lesquelles travailler. Bon et puis maintenant que la méthode a été écrite pour les enquêtes qualitatives et quantitatives, on adapte, mais le gros du travail est fait. Généralement, un RDV est fixé avec le commanditaire ou les organisateurs, on échange des attendus, je bosse le cadre théorique et méthodologique, je fais une veille sur les « nouveautés » en sciences sociales et dans d’autres disciplines. Puis je propose l’outil d’enquête à l’organisateur avant de diffuser. Généralement on arme la diffusion avec les organisateurs : ces derniers utilisent leurs réseaux sociaux et leurs supports de communication afin de garantir un meilleur retour. Jusque-là, je suis très satisfait de ce qui a été fait puisque la dernière enquête a donné lieu à 17000 réponses pour le Hellfest et j’espère encore avoir un meilleur taux de retour à la prochaine prévue pour la fin d’année.

Maintenant on travaille en équipe de chercheurs passionnés et bénévoles. Mais on espère bien que cela permettra une meilleure reconnaissance et pourquoi pas pérenniser les activités de certains membres de l’équipe. Car clairement on s’apprête à lancer du lourd. Le but ce sera aussi de permettre aux orgas de s’adapter pour pérenniser les festivals car on a vu que le début de l’année était difficile.

Du coup à ce sujet, est-ce que tu as des études en cours ?

L’étude en cours à ce jour est les Hellstats 2022. En 2019 j’avais déjà réalisé un gros travail de stats sur le public du Hellfest, on a relancé un premier questionnaire début 2022 sur les détenteurs de pass pour le Hell 2022, ce qui permettait de mieux accueillir le public et d’apporter des réponses à « l’entre-deux » Hellfest. La on prépare avec l’équipe pluridisciplinaire (socio/anthropo/bio/sciences de gestion) une enquête post Hellfest 2022, ce qui permettra de faire la première enquête avant / après pandémie… on a plein d’hypothèses à tester. En parallèle, on va lancer une autre enquête quantitative sur le public metal au sens large avec l’ensemble des festivals de metal souhaitant participer pour mieux connaître leur public. Si tout se passe bien, on peut leur rendre un rapport à chaque fest et leur faire un retour, ce serait top et cela permettrait d’adapter l’offre à la demande, de développer leurs manifestations… Bref, l’enjeu est extrêmement fort et pour nous c’est pertinent.

Est-ce qu'il y a des débouchés pour qui voudrait suivre ton parcours ?

Bonne question, j’ai toujours souhaité faire prof de fac car j’adore enseigner et faire de la recherche : c’est le poste ultime si tu veux continuer à faire du terrain et évoluer au sein d’autres chercheurs qui peuvent travailler avec toi, accompagner une réflexion. La Fac de Tours, où je suis actuellement, est top pour ça : il y a des chercheurs qui sont bien loin de mon sujet et apportent un autre regard, il y a des jeunes étudiants en train de bosser sur les metal studies… bref, on ne s’ennuie pas. Pour ceux qui sont plus enseignants que chercheurs il y a toujours possibilité d’aller enseigner dans le social mais je t’avoue que j’ai été frustré de ne plus avoir le temps de penser… quand tu passes d’une thèse où tu lis/penses/écris à plus le temps, ça devient frustrant. Enfin, il y a des postes d’ingénieurs de recherche dans des labos, travailler avec les communes sur le rapport au territoire (partie de mon job que j’adorais et que je n’ai plus le temps de faire), il y a également peu de débouchés à l’université, ce n’est pas une nouveauté dans la conjoncture actuelle et peu de reconnaissances des sciences sociales ce qui rend le marché du travail incertain. Si tu choisis un sujet un peu moins atypique ou disons le plus corporate, tu favorises tes possibilités de recrutement. Ou alors tu aimes tout faire et toucher à tout et tu trouveras en démarchant un minimum et en étant un minimum mobile aussi.

 

Tu as déjà publié quelques livres en ton nom, tu peux nous en dire plus à ce sujet ?

Quand j’ai fini ma thèse, Alexxx Rebecq du Hellfest est venu à la soutenance et l’a filmé, les membres de l’orga du fest m’ont également soutenu, remercié, et j’ai eu la chance de soutenir devant salle comble et avec une belle promo. J’ai eu des propositions d’éditions universitaires, que je n’ai pas saisi, car je voulais un livre accessible au plus grand nombre et à moins de 20€ avec des photos en couleur. Mon but était de rendre ce boulot accessible et pas cher, en faire un beau produit pour ceux qui sont intéressés par la culture metal. J’ai donc choisi de me lancer dans l’édition avec l’appui de ma plus vieille amie Bénédicte Flouriot qui fait la mise en page de nombreux ouvrages. Elle m’a refilé un imprimeur, j’ai commencé à lancer une campagne Ulule de préventes du livre, le Hellfest m’a prêté son logo pour le livre et a relayé le lancement. Crève m’a grave soutenu en proposant le livre sur son stand pendant plus d’un an… L’IRMA m’a diffusé pendant 6 mois… Bref, c’est une belle aventure qui arrive à plus de 3500 livres vendus. J’ai réinvesti les bénéfices des 2000 premiers dans une traduction par un traducteur local : Laurent Benoit. De ce fait le livre existe aussi en anglais. Je continue d’apprendre ce métier par manque de temps, mais j’ai eu la chance d’éditer un livre de recueils : Femmes de Mainvilliers coordonné par Clémentine Hug et plus récemment en fin d’année 2021 : Bernard Flouriot qui a écrit un livre Nouvelles Vagabondes, un excellent recueil de nouvelles. Pour rester sur le milieu metal en 2020, je me suis fait un kiff avec deux chercheurs : Emilie Salvat et Julien Goebel, de réaliser un ouvrageFrench Metal Studied, all made in France avec un dessinateur français pour la couv : Will Argunas, une production recentrée en Touraine avec Présence Graphique en imprimeur, qui est top, toujours Bénédicte Flouriot à la mise en page. Je ne vous présente pas tous les auteurs, mais le projet est un condensé de jeunes chercheurs en master dont les sujets s’inscrivaient directement dans le champ des Metal Studies. Pour ne pas s’attribuer un champ universitaire tout en s’y inscrivant l’ouvrage s’est intitulé French Metal Studied.

Est-ce que tu as d'autres publications sur le feu ?

Plein. J’ai l’ouvrage de Gérôme Guibert, qui est metalhead et chercheur qui devrait arriver en fin d’année, plutôt sociohistorique. En parallèle il y a un ouvrage liant l’Anjou, le Metal et l’Asie qui va arriver dans quelques mois. C’est un ouvrage de type roman un peu WTF mais tellement intéressant, clairement pour les metalheads avertis. Cela me change et le livre est très « frais ». Ensuite, c’est un peu l’occasion cette interview, mais je compte relancer French Metal Studied 2 : encore des nouveaux auteurs, encore des nouvelles thématiques et artistes, et ce, pour la fin d’année 2023.

On remarque aussi que tu es bien présent sur de nombreux festivals, quel est ton rôle la plupart du temps ?

Alors, c’est encore une autre histoire. J’ai commencé ma thèse en utilisant la photographie comme support de recueil de données. J’ai continué, souhaité progresser, acheté du matériel et je suis souvent sous la scène avec des confrères de qualité (Steph Birlouez, Pascal Druel, Steph Mass… et bien d’autres)  pour faire des photos de concert. En parallèle je continue les interviews avec les confrères de l’émission radio Throne Of Thanatos (sur Radio Béton à Tours et par web) depuis 20 ans maintenant… Et plus récemment je viens d’être recruté pour être commissaire d’exposition pour le musée de la Philharmonie de Paris, plus exactement co-commissaire puisque j’ai la chance d’être accompagné par Milan Garcin, lui aussi co-commissaire, docteur en histoire de l’art pour réaliser cette exposition qui aura lieu à Paris au premier semestre 2024. C’est un projet monstre, mais certainement le plus passionnant que j’ai eu à faire, car il s’agira de faire découvrir la musique et culture metal, à un public néophyte et de passionnés, dans un lieu aussi unique que magique.

Mon petit doigt me dit que tu as d'autres projets musicaux sur le feu, tu peux déjà nous donner quelques infos ?

Ah ah, oui ça aussi. Alors, il y a deux ans, pendant le confinement Thierry Varion, directeur des écoles de musique de Combrailles dans le Puy de Dôme m’a commandé l’écriture d’un conte metal à mettre en scène avec les enfants. Cela a donné lieu à l’écriture du Repos de Freyja : un conte mêlant culture nordique et metal (centré sur les montagnes du Massif Central, je trouvais ça fun d’intégrer le territoire). La setlist est composée de titres de Ghost, Machine Head, Myrkur, Amon Amarth, Fleshgod Apocalypse, Brothers of Metal, Haggard… Le spectacle s’est joué en deux représentations à salle comble (SOLD OUT 2 fois…) C’était magique. Le plus dingue c’est que mon chanteur a été gravement touché aux cordes vocales trois semaines avant le spectacle et il y avait dans la setlist le titre Epilogue de Fleshgod Apocalypse à chanter. J’ai repris l’entraînement intensif de la voix pour pouvoir passer ce titre avec un orchestre. Tu sais quand on est dans le milieu, c’est tellement un honneur et un challenge l’orchestre que tu ne peux pas ne pas le faire… C’est passé, très bien même, malgré l’absence de répét à part la veille de la représentation. Il faut dire que les musiciens sont tops, les profs aussi, les associations des différentes écoles ultra motivées et accueillantes… bref, un vrai bonheur. Au mois de mai, ils m’ont annoncé avoir un spectacle avec des chorales adultes et des musiciens pros pour le Rock Metal Project : un spectacle dédié aux groupes de hard et metal. Dans ce spectacle il y avait Cry For The Moon d’Epica à chanter. Ils m’ont proposé de les rejoindre pour ce titre, j’ai un peu hésité, souci de légitimité quand même je suis harpiste depuis 30 ans, mais pas chanteur… et puis j’ai bossé comme un acharné en mode : il faut que ça sonne. Idem ça s’est, je pense, bien passé, 2x SOLD OUT en 2 jours avec plus de 650 personnes par représentation à Manzat dans le Puy de Dôme… (Comme quoi, analyser et comprendre le public, tu vois, on apprend encore et il y a du travail pour fédérer les territoires). Grosse pression, grosse ambiance et grosse satisfaction d’avoir pu participer : le son était fou, l’ingé son revenait juste d’avoir travaillé avec Igorrr, l’orchestre sonnait au poil. Bref, remonter sur scène dans ces conditions, c’est ultime… quelque part, j’ai presque honte : revenir sur scène en ayant évité les cafés concerts/bars/pubs… quelle chance. Après ce n’est pas pour être pérennisé, mais je pense que les collègues de l’Union Musicale de Combrailles dans le Puy de Dôme le savent : je reviens quand ils veulent ! Voila, ça c’est fait. Maintenant, je retravaille activement pour pouvoir changer de harpe et refaire peut être un titre en live avec Kamala lors de la tournée 2023, ce sont des amis brésiliens avec qui j’ai eu la chance de faire un titre et avec qui j’espère pouvoir le jouer l’an prochain. Pourquoi pas les emmener aussi dans le Puy de Dôme jouer avec un orchestre maintenant qu’on a pris le pli.

On te laisse le mot de la fin, si t'as un message à faire passer aux lecteurs de Horns Up. Merci !

Horns Up c’est toute une histoire encore et je suis bavard donc : Merci à Horns Up d’exister, merci pour les contenus, le support, de soutenir gratuitement des artistes, des groupes, des chercheurs… Enfin, merci aux lecteurs de les suivre, de les soutenir, de réagir, de faire vivre les médias et notre communauté, qu’importe le ou les types de metal écoutés.

 

Merci à toi Corentin !