"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
S’il y a bon nombre de sorties d’albums qui provoquent des évènements, il y a une sortie d’album en particulier qui provoque un évènement nettement plus local mais avec autant d’effervescence : un nouvel album de Deficiency, dans sa région qui est la Moselle, mais on peut élargir à la Lorraine et même au Grand-Est où le groupe, avec Fractal Universe, peut être vu comme le vrai fleuron local. Même si avec maintenant 4 albums, le groupe n’a pas plus percé que ça à l’international, il continue à faire son petit bonhomme de chemin et s’échine à faire plaisir à sa fan-base quoi qu’il arrive. Pour entériner son ancrage local, le groupe a même fondé son propre label, bien nommé Metal East Productions. A l’instar d’un Destinity qui a lancé sa structure Crimson Productions, les groupes français semblent vouloir se prendre en main, et pour l’instant ce sont des entreprises qui fonctionnent. Metal East a même déjà un champ d’application assez large vu que parmi ses signatures on peut aussi retrouver les Parisiens d’Atlantis Chronicles et les Lyonnais de Deathawaits. De son côté, Deficiency donne donc ici un successeur à l’excellent The Dawn Of Consciousness (2017) qui lui-même succédait au déjà excellent The Prodigal Child (2013). Bref, la confiance est de mise concernant la fierté de la Moselle. Qui a à nouveau procédé à du changement de personnel, Benjamin Jaksch ayant succédé à Thomas Das Neves (Seyminhol, Akroma, Elvaron, Heavenly…) derrière les fûts. On aura aussi appris que Warenta sera le dernier album avec l’emblématique Jérôme Meichelbeck à la guitare, qui a depuis laissé sa place à Gabriel Palmieri (Lords Of Rock). C’est un peu une page qui se tourne, et Deficiency continuera à évoluer. Et Warenta de déjà confirmer à 100% son ancrage local vu que ce quatrième album des Mosellans nous présente un concept centré sur des légendes et superstitions de sa région et en particulier autour du bassin minier de Moselle-Est. Pour mettre cela en lumière, Deficiency est ainsi allé tourner le clip de "A Fire Asleep" au parc minier de Petite-Rosselle, lieu transformé en musée. Dans le petit monde du Metal, n’y a pas plus mosellan que Deficiency, c’est presque une certitude… mais pour amener de l’intérêt à ce patrimoine, il faut aussi de la bonne musique.
Pour ceux qui n’auraient pas suivi, Deficiency fait du Thrash. Du Thrash mélodique, selon l’appellation assumée depuis bien des années maintenant. Entre tradition, modernité, et autres influences plus ou moins palpables. Deficiency oscille entre ces équilibrages et si The Prodigal Child était assez franchement moderne, The Dawn Of Consciousness lui revenait vers quelque chose de plus traditionnel dans le fond comme dans la forme, mais avec les singularités propres au groupe. Entre un touché qui varie entre le frontal et le technique, le groove et le heavy (notamment accompagné par les vocaux variés de Laurent). Warenta remet tout ceci à plat et si la formation ne réinvente nullement ce qu’elle fait d’habitude, il va permettre au groupe de proposer son album le plus mature, équilibré et homogène. Un pont habile entre l’efficacité de The Prodigal Child et les aspirations plus aérées de The Dawn Of Consciousness. Le son revient donc à quelque chose de plus brut, mais il y a toujours un héritage évident des productions rugueuses du Thrash américain. On sent donc toujours bien le côté Bay Area ("Dichotomy", "Ludma"…) mais pour le reste, Deficiency avance avec ses particularités qu’il développe depuis State Of Disillusion (2011) et on a presque envie de dire qu’on reconnaît immédiatement sa patte. Et dès l’ouverture sur le morceau-titre, on sent que Deficiency est inspiré avec des compos bien mordantes, qui vont déjà illuminer les premiers morceaux de l’album avec des riffs franchement accrocheurs ici et là. Deficiency est donc en forme et nous abreuve d’un Thrash bien exécuté et bien senti, sans prise de tête et qui n’en fait ni trop ni pas assez. Entre accès Thrash bien véloces ("Dichotomy", "The Feathers", "Lumpendoktor", "A Fire Asleep", "Real Is Revealed"), passages plus lourds ou appuyés ("Dichotomy" également, "The Black Book", "Ludma"), classicisme Thrash bienvenu mâtiné d’une couche mélodique ("The Feathers" avec son super solo de clôture, "Ludma", "Real Is Revealed") et même moments plus touffus techniquement ("Lumpendoktor", "Alleviate the Suffering"), il y a de quoi faire et nul doute que Warenta satisfera ceux qui apprécient un Thrash qui s’ouvre suffisamment et qui sait vivre avec son temps.
Warenta est donc un album plutôt compact, parfaitement homogène et où il n’y a rien à jeter. Il va falloir aller à la chasse aux tubes qui vont succéder aux "Unfinished", "The Introspection of the Omnipotent" ou autres "Another Fail to Come" et "Face the World We Experience". Et s’il est vrai qu’au premier abord, Warenta est le genre d’album tellement homogène qu’il se déguste davantage en entier, des morceaux plus remarquables se dégagent vite. Si des "Warenta", "Dichotomy" ou encore "A Fire Asleep" (morceau à la fois classique et moderne typique de l’art de Deficiency) sont des hits en puissance, ce sont finalement les morceaux les plus originaux de Warenta qui vont tirer leur épingle du jeu. Et assurément l’excellent "I Am the Misfortune Herald", collection de compos mortelles et entraînantes avec un touché mélodique différent et très travaillé, qui bénéficie en sus d’un guest de prestige en la personne de Björn « Speed » Strid (Soilwork), qui ne fait pas que de la figuration d’ailleurs. La sensation de ce Warenta à n’en pas douter. Et on retiendra aussi le remuant "Lumpendoktor", aux compos plus singulières également, mais aussi des chants très entraînants et un autre guest le temps d’un solo, Davish d’Angelus Apatrida. Du beau monde pour un bel album, qui se laissera aussi aller à quelques envolées symphoniques par moments ("The Black Book", le magnifique break de "Lumpendoktor"). On peut regretter, outre peut-être de petites longueurs sur les pistes les plus longues ("The Feathers", "Ludma") et des chants clairs un peu inégaux, qu’à part ça il n’y ait pas vraiment d’autres nouveautés par rapport aux deux précédents albums, qui ne sont pas dépassés en l’état par Warenta ; mais la constance et bien là, les dispositions du groupe définitivement confirmées et l’équilibre de ce quatrième opus mettra certainement tout le monde d’accord. Encore une fois, nous avons affaire à un bon petit album de Thrash complet (mélodique, traditionnel, technique, moderne, bien produit - localement également - mais pas surproduit), au minimum parce que la qualité de ce que propose Deficiency depuis plus de 10 ans mériterait de dépasser les frontières, déjà du Grand-Est… Mais Deficiency est déjà bien là où il est, il se fait plaisir et fait plaisir, et c’est une très bonne chose qui va de pair avec un Thrash Metal frais et enthousiasmant. N’hésitez donc pas, une nouvelle fois, à vous pencher sur le cas du plus mosellan des groupes de Metal mosellan, qui mérite toute votre sympathie et votre attention si jamais ils passent en concert dans votre coin, et plus si affinités bien évidemment. Le Thrash hexagonal n’est pas mort, et Deficiency le prouve bien pour le quart Nord-Est !
Tracklist de Warenta :
1. Warenta (5:35)
2. Dichotomy (4:17)
3. I Am the Misfortune Herald (5:07)
4. The Black Book (5:47)
5. The Feathers (7:09)
6. Lumpendoktor (5:15)
7. Ludma (6:12)
8. A Fire Asleep (5:25)
9. Alleviate the Suffering (5:39)
10. Real Is Revealed (4:12)