Punkach' renégat hellénophile.
Il y a des groupes dont on espère l'annonce d'un premier album pendant des années sans même avoir la certitude qu'il s'agit là d'une attente réaliste, et ce fut longtemps le cas du projet de Black Metal radical Darvaza. Un nom qui peut se traduire par « portail » en turkmène, et qui désigne un lieu souvent appelé la Porte de l'Enfer, fameux puits de gaz naturel enflammé qui brûle sans discontinuer depuis... 1971 et une campagne de prospection soviétique qui a involontairement ouvert un cratère aux émanations tellement toxiques qu'elles mettaient en danger toute la région. La solution logique consistait donc à y bouter le feu en comptant que les gaz soient épuisés en quelques semaines. Ce n'est toujours pas le cas. Autant dire que cet arpent de steppe turkmène sent très littéralement le soufre, et ce sur des lieues à la ronde.
Quant au Darvaza musical, il est mené par deux vétérans qui n'ont rien à prouver mais qui sont du genre à s'impliquer à fond dans tout ce qu'ils entreprennent. On a donc Omega, alias Gionata Potenti, hyperactif de Toscane (Blut Aus Nord, Nubivagant, Frostmoon Eclipse et j'en passe), habituellement batteur mais qui ici s'occupe de toutes les compositions instrumentales, tandis que le Norvégien Wraath (Behexen, Ritual Death, etc.) prend en charge l'aspect vocal. Ils n'avaient jusqu'ici sorti qu'un trio d'EP, tous plutôt réussis, mais c'est sur scène, avec une formation complète, que le groupe se déployait dans toute sa noirceur, avec un Wraath véritablement halluciné qui rugit et éructe à la fois, agrippé à son pied de micro et à sa bouteille de whisky parmi une profusion de chandelles. Un spectacle auquel j'ai pu assister à Bruxelles lors du Thousand Lost Civilizations, et qui aurait pu sembler surfait, mais qui a frappé tous les esprits présents par son impact émotionnel et sa sincérité, et auquel l'écoute des quelques morceaux sortis à l'époque ne m'avait certainement pas préparé.
Voici donc que le duo sort -enfin- son premier album, Ascending into Perdition, chez Terratur Possessions. Et c'est Wraath qui nous offre à nouveau des frissons avec sa voix hallucinante de puissance granuleuse dès les premiers couplets de « Mother Of Harlots » avant de virer dans le cri primal avec « The Spear And The Tumult ». L'album est plutôt direct et délivre un Black Metal mid-tempo sans réelles fioritures, si ce n'est quelques phrases en voix claire, là où Darkness in Turmoil osait se montrer groovy. Mais comme toujours avec Darvaza, la démarche sonne on ne peut plus sincère dans sa profession de foi occulte, individualiste et radicalement anti-gnostique à qui ces compositions plutôt directes mais très soignées correspondent parfaitement. L'album culmine véritablement avec un « This Hungry Triumphant Darkness » aussi tubesque que possédé qui promet d'ébranler jusqu'aux fondations du Tartare à grands coups de ruades démoniaquement punk et de crachats enrichis aux vapeurs de soufre, tout en se permettant un passage embrumé en spoken word avant la dernière offensive des légions infernales.
Ascending into Perdition est sans conteste un album dont chaque note, chaque mesure, a été pensée et pesée encore et encore par deux perfectionnistes qui composent tant avec leur âme qu'avec leurs tripes. Il lui manque peut-être un brin de la folie qui pointait dans les EP précédents, mais cette froide précision chargée de rage, cet usage très modéré mais toujours à-propos des pistes ambiantes et du trémolo (« The Second Woe ») en font un candidat sérieux lorsqu'il faudra faire l'inventaire des plus pures perles noires de l'année. A l'heure où l'on pérore sans cesse sur l'authenticité supposée que doit revêtir le Black Metal, et que de nombreux groupes s'enferment dans des gimmicks dans l'espoir de s'y conformer, Darvaza nous offre quelque chose qui est véritablement et sincèrement authentique, et que je me fais déjà une joie de découvrir au milieu des flammes de futures performances en live.
Setlist:
Mother of Harlots
The Spear and the Tumult
Mouth of the Dragon
This Hungry Triumphant Darkness
The Second Woe
Silence in Heaven