Molchat Doma @ Bruxelles
Le Botanique - Bruxelles
L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
Vous rappelez-vous de la mode synthwave ? Quand toutes vos suggestions YouTube étaient rose et bleu, avec des palmiers et des noms à base de « retro », « VHS », « FM » ou « Sunset » ? Quand Perturbator et Carpenter Brut crevaient l'écran ? On peut presque le dire : cette mode a vécu, et même Perturbator s'est un peu tourné, sur ses dernières sorties, vers quelque chose de plus sombre, de plus post-punk, plus proche des The Cure et Joy Division que des plages de Miami. Vos suggestions YouTube, depuis un ou deux ans, sont plutôt vert sombre et gris, ornées de monuments brutalistes et, parfois, d'écritures en cyrillique.
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C'est peut-être comme ça qu'Etaji, le second album de Molchat Doma, vous est tombé dans l'oreille. Et depuis, ce qui n'était alors qu'un confidentiel groupe de new wave biélorusse a complètement explosé, bien aidé paraît-il par... l'utilisation massive du morceau « Sudno (Boris Ryji) » sur un meme de l'application TikTok. O tempora... ! Monument, sorti l'année passée, enfonçait le clou : la new wave parfois dansante (« Diskoteka »), souvent déprimée (« Otveta Net ») de Molchat Doma affinait sa recette, dernier et plus couronné de succès des descendants de Viktor Tsoï. Le Botanique de Bruxelles, comme toute la tournée, est sold-out pour accueillir le trio (qui officie sans batteur, avec boîte à rythme). Les notes de « Kletka », l'un des titres du groupe invoquant le plus le souvenir de Kino, nous plongent d'emblée dans l'ambiance. Egor Shkutko lance son premier « spasiba », seul mot qu'il prononcera tout au long du concert : impassible, possédé par des morceaux parfois romantiques (« Zvëzdy »), parfois désespérés comme l'incroyable « Otveta Net » et son final en forme de rupture - « vtchera byly my, a cegodnia ia » : hier, c'était nous, aujourd'hui moi.
L'ambiance se fait parfois moins légère devant un public qui ne comprend probablement pas grand chose, en majorité, à ce que signifie faire de la musique et vivre en Biélorussie ; à cet égard, Molchat Doma ne sont pas proches que musicalement de Kino et la scène soviétique des années 80, ils en vivent (ou en ont vécu, j'ignore s'ils sont toujours localisés à Minsk) une partie du quotidien. « Ia ne kommunist », je ne suis pas communiste, est un message clair.
Sur « Leningradskyi blues », Egor chante cet état d'esprit particulier que peut parfois inspirer la grisaille pétersbourgeoise (ou une élimination en demi-finale des oeuvres des Bleus dans la ville des tsars, mais je m'égare), ce « blues de Leningrad » bien connu des Russes et qui inspirait déjà Dostoïevski. Paradoxalement, c'est l'un des moments les plus puissants du concert : la ligne de basse balancée par Pavel Kozlov est imparable et le groupe se lâche un peu en étendant le final.
À partir de là, le concert comptera plusieurs de ces moments dansants, même si l'ombre des maisons silencieuses (« Doma Molchat ») plane toujours. « Volny » et sa ligne mélancolique de guitare sera l'un des moments les plus forts du set, qui est bien plus qu'un best-of : Molchat Doma nous joue presque ses trois opus en intégralité. Le final n'est que tube sur tube, en pleine soirée synthpop dans un bunker du bloc de l'Est : « Utonut », l'imparable « Tantsevat' » (« ïa nie oumeïou tantsevat' », je ne sais pas danser, répète inlassablement Egor) introduit par quelques notes du « A Forest » de The Cure,« Diskoteka » et « Na Dne » prolongés jusqu'à l'épilepsie sous les lumières stroboscopiques. Le rappel est naturellement réservé à « Sudno », qui fait exulter les TikTokeurs de la salle. Pour la friandise, j'aurais personnellement plutôt exulté s'ils nous avaient fait leur reprise de « Heaven & Hell », mais n'en demandons pas trop. Un ultime « spasiba », agrémenté de quelques « thank you », et la fête est finie. Elle était belle, elle était goth, elle était synth, elle était (biélo)russe. Elle aurait fait danser nos parents il y a 35 ans déjà. La nostalgie a encore de beaux jours devant elle...