Punkach' renégat hellénophile.
S'il y a un événement qui réunit tous les éléments pour inspirer le Metal, c'est bien la Grande Guerre, et d'ailleurs de nombreux groupes plus ou moins reconnus n'y ont pas manqué. Mais depuis quelques années, commémorations aidant, plusieurs formations s'y sont consacrées entièrement, en particulier dans les sous-genres extrêmes. On peut citer FT-17 en France, Minenwerfer, ou encore les Ukrainiens de 1914, dont j'attends de pied ferme le troisième album. Et puis au début de l'année est apparu sur les réseaux cet album, sans prévenir et inconnu au bataillon. Mais avec un tel nom et un tel visuel probablement issu d'une affiche antimilitariste d'époque, Kanonenfieber a tout pour attirer le coup d’œil, et donc l'écoute.
On ne l'a su qu'après la bataille, mais cette manœuvre surprise a été menée par un homme seul : un Teuton du nom de Noise qui semble avoir sorti en parallèle Sysiphus, premier album d'un autre projet de Black Metal intitulé Leiþa. Le reste n'est que conjoncture.
Place aux opérations : Menschenmühle s'échauffe sur quelques discours patriotiques crachotant depuis les limbes avant de peser de toute la puissance de ses guitares dans un registre Black/Death qui fait, certes, penser immanquablement à 1914. Mais le chant du dernier homme debout dévoile un tel sentiment de fatalité horrifique et innommable, un rendement dans le meurtre à grande échelle expliqué si froidement avec des intonations germaniques, que le portrait ici dépeint de la guerre totale doit se contempler jusqu'au bout.
Si le ton reste fortement Black, Menschenmühle prend parfois des accents carrément proches du Death fondamental sur "Dicke Bertha", et même un je-ne-sais-quoi qui me rappelle un peu Heaven Shall Burn dans le chant et la rythmique d'un terrible "Die Schlacht bei Tannenberg" qui a tout de la charge à la baïonnette face à un mur de mitraille. J'en conviens, les touches plus mélodiques sont perdues sous le fracas des obus, mais il n'empêche qu'elles sont bien là. Sur "Grabenlieder" par exemple, course effrénée vers la folie depuis le fond d'un boyau qui menace à tout instant de se réduire en tombe à ciel ouvert.
C'est vrai, l'album est sorti il y a un moment déjà, mais écoute après écoute, je trouve qu'il mérite une place honorable parmi les sorties de l'année. D'autant plus que les confinements à rallonge et l'attente d'on ne sait trop quelle bonne nouvelle venue d'en haut donne une saveur particulière à l'ambiance poisseuse et volontiers oppressive de Menschenmühle. Kanonenfieber ne s'enferme pas dans un genre unique dans ce premier opus et, malgré un fil conducteur commun, chaque morceau apporte un stigmate différent dans sa rythmique comme dans son ressenti. On trouvera des liens de parenté avec d'autres formations, certes, mais il n'empêche que le one-man band allemand laisse là un très bel album, témoignage sans doute teinté de la sensibilité d'Outre-Rhin de cet événement monstrueux qu'on a appelé le grand suicide européen.
Setlist :
Die Feuertaufe
Dicke Bertha
Die Schlacht bei Tannenberg
Der letzte Flug
Grabenlieder
Grabenkampf
Ins Niemandsland
Unterstandsangst
Verscharrt und ungerühmt