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Album

11 février 2021 - ZSK

Abigor

Totschläger

LabelW.T.C. Productions
styleBlack Metal
formatAlbum
paysAutriche
sortiedécembre 2020
La note de
ZSK
8/10


ZSK

"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."

Attention, là on va taper dans du culte. Et je ne dis pas ça parce qu’on aborde le side-project d’un des groupes emblématiques du webzine, Summoning, voyons. Non, un peu avant Summoning (bien qu’ils se soit formés la même année), il y avait Abigor. Groupe culte du Black-Metal européen et porte-étendard de la scène autrichienne. Qui a connu une carrière légèrement mouvementée après le départ de Silenius (de Summoning, donc) en 1999. Entre une évolution s’éloignant de l’apparat légèrement médiéval de Nachthymnen (1995) et le chef-d’œuvre Supreme Immortal Art (1998), des albums généralement mal aimés (Satanized, 2001), Abigor avait fini par perdre de sa superbe et s’arrêta en 2003. Pour mieux revenir 3 ans plus tard, autour des deux instrumentistes P.K. et T.T., mais avec un apparat quelque peu différent, visuellement comme musicalement. S’approchant quelque peu d’une forme de Black-Indus, Abigor avait signé les déroutants Fractal Possession (2007) et surtout Time Is The Sulphur In The Veins Of The Saint (2010), qui n’avaient pas réussi à rassembler tout le monde. Il lui fallait donc (re)trouver un équilibre, et le temps le leur a bien rendu. Le très bon Leytmotif Luzifer (2014) montrait donc une nouvelle voie à prendre, bien qu’il fut encadré par deux curiosités : un réenregistrement de l’album Channeling The Quintessence Of Satan sous le nom Quintessence (2012), puis un album volontairement plus cru, Höllenzwang (2018). Il faut s’y retrouver dans la discographie des autrichiens devenue un peu bordélique entre vrai-faux albums, splits, EPs et compils… mais 6 ans après Leytmotif Luzifer, Abigor prend ici une forme plus classique pour livrer ce qui sera son 11ème véritable album, Totschläger, sous-titré A Saintslayer’s Songbook. Mais le plus intéressant, déjà, c’est le retour qui semble maintenant définitif de Silenius derrière le micro, bien qu’il apparaissait déjà sur la plupart des enregistrements du groupe depuis Leytmotif Luzifer, tout en continuant sa route avec Summoning mais aussi Amestigon. Alors, après moult atermoiements, Totschläger va-t-il signer le retour d’Abigor vers quelque chose de nettement plus traditionnaliste ?

Si le groupe place son Totschläger dans la lignée de Leytmotif Luzifer, il pense que les fans lui trouveront des touches de Orkblut (1995) ou Opus IV (1996). De toute façon, on trouvera la réponse bien vite, dès que "Gomorrha Rising - Nightside Rebellion" ouvre les 51 minutes de l’album. Une intro avec des pianos lugubres, et c’est déjà parti pour une déferlante Black-Metal. Qui trouve bien vite le pont entre le côté old-school - avec des guitares sonnant très 90’s - et la relative modernité dont la formation a fait preuve depuis Fractal Possession. Malgré quelques samples, dès la fin de ce morceau d’ouverture d’ailleurs, quelques ambiances au clavier et des passages acoustiques, Totschläger n’est pas vraiment un album « médiéval » et se contente davantage de garder la substance Metal un brin agressive des premiers albums d’Abigor. Et il ajoute donc le côté un peu étrange et torturé des albums des années 2000, ceci d’ailleurs dès "Silent Towers, Screaming Tombs" avec quelques compos un peu tordues et dissonantes. Mais ce qui rapproche Totschläger d’albums comme Fractal Possession ou Leytmotif Luzifer est finalement un point assez inattendu : le chant de Silenius. Qui ne prend pas les tons saturés qu’il emploie dans Summoning voire dans Amestigon, ni les vocalises qu’il pratiquait jusqu’à son premier départ en 1999. Non, il continue d’utiliser un chant vénère et dégueulé, dans la lignée de celui de ses prédécesseurs et qu’il éructait de toute façon lui-même sur les derniers albums d’Abigor où il était « invité ». Avec quelques variations, comme des lignes légèrement plus claires toujours dès "Silent Towers, Screaming Tombs" mais aussi quelques autres surprises comme cet accès aigu pour lancer "Orkblut (Sieg Oder Tod)", Silenius impressionne pas mal et ce chant inénarrable et possédé comme jamais va bien avec l’esprit de cet album plutôt créatif et même quelque peu chaotique. Totschläger sera donc un album relativement imprévisible, ce qui se matérialise déjà avec le plus épique, et volontairement pompeux, "Orkblut (Sieg Oder Tod)". Baignant autant dans sa tradition que dans une volonté d’innovation, Totschläger va donc se poser comme un des albums les plus complets de la carrière d’Abigor, mais aussi et forcément l’un des plus passionnants.

Le duo d’instrumentistes est particulièrement inspiré et le montre encore avec "The Saint of Murder", à la fois rampant et tranchant, les compos sont excellentes et Silenius suit bien la cadence. Comme on a affaire à du Abigor, le paysage sonore est aussi quelque peu mélodique, à l’image d’un "Scarlet Suite for the Devil" lui aussi très en verve au niveau des compos. Mais les Autrichiens n’en oublient pas leur passion pour le chaos avec quelques passages plus déglingués, tandis que les ambiances se font plus sombres, atteignant d’ailleurs leur paroxysme sur "La Plus Longue Nuit du Diable - Guiding the Nameless", débutant sur une longue intro mystique. Abigor se lâche vraiment et ne laisse rien en chemin, quitte à peut-être faire du fouillis par moments et connaître de légères baisses de régime (le dispensable "Flood of Wrath" notamment). Mais il arrive à pondre son album le plus mémorable depuis un moment. Et si Totschläger est assez homogène, il finit par révéler ses pépites sur la fin, avec pour commencer le génial "Tartaros Tides", plus épique comme l’était "Orkblut (Sieg Oder Tod)", bardé de compos cossues et d’écarts de voix de Silenius ; et surtout le grand final qu’est "Terrorkommando Eligos", où Abigor dépasse sa vitesse habituelle et fait preuve d’une brutalité sans égal chez lui - c’est qu’on croirait presque entendre du Marduk ! Cela conclut un album très touffu et inspiré qui réussit à faire mieux que Leytmotif Luzifer et se placer comme le meilleur album du groupe depuis… Supreme Immortal Art ? Osons. Et Abigor a osé sur Totschläger, maintenant le curseur du chaos assez élevé tout en regardant un peu vers son passé. Ça ne sera pas un album old-school, et encore moins un retour aux sources, qui essaie de mettre tout le monde d’accord, y arrivera-t-il ça c’est une autre question qui doit répondre aux attentes de chacun. Il n’y a rien de surprenant quand on connaît sur le bout des doigts la discographie d’Abigor mais Totschläger est une belle performance, avec des compos mordantes et des morceaux de premier choix parfois étonnants. Cela fait également toujours plaisir d’entendre Silenius même s’il n’officie pas dans le registre de Summoning ici. Bref, Abigor vit encore, il est en forme et livre ici un sacré album !

 

Tracklist de Totschläger (A Saintslayer's Songbook) :

1. Gomorrha Rising - Nightside Rebellion (6:40)
2. Silent Towers, Screaming Tombs (5:56)
3. Orkblut (Sieg Oder Tod) (5:27)
4. The Saint of Murder (5:20)
5. Scarlet Suite for the Devil (5:43)
6. La Plus Longue Nuit du Diable - Guiding the Nameless (6:29)
7. Tartaros Tides (4:14)
8. Flood of Wrath (4:56)
9. Terrorkommando Eligos (6:18)

 

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