Raton et la bagarre #7
lundi 7 décembre 2020Amateur de post-musique, de breakdowns et de gelée de groseilles.
Cette année désastreuse touche à sa fin et amène avec elle la saison froide. Il est donc grand temps de mettre une bûche de hardcore dans la cheminée et de se requinquer avec des gros mosh parts de sagouin. Bienvenue à toutes et tous dans le septième épisode de Raton et la bagarre.
Le menu de cette édition s'annonce appétissant. Je vous propose un joli éventail de styles avec une prédominance de metalcore bien agressif, mais aussi la panoplie idéale pour les plus extrêmes avec grindcore, deathcore, mathcore et powerviolence. On oublie pas les émotif.ve.s du fond avec deux-trois disques de screamo, du beatdown pour pas oublier de souffler son cerveau par le nez, sans oublier le clou du spectacle avec un excellent EP de hardcore à la sauce hip-hop expérimental. Je vous souhaite une excellente lecture et vous remercie encore pour votre fidélité.
Venom Prison – Primeval
Deathcore / Death metal – Royaume-Uni (Prosthetic Records)
En 2019 si vous étiez un tant soit peu alerte, vous n'avez pas pu louper la tarte au ciment de Venom Prison, "Samsara". Redoutable pavé de plus de 40 minutes, l'album remettait les pendules du deathcore old-school à l'heure avec une recette implacable et une interprétation démentielle.
Quand je vous dis deathcore, n'allez pas imaginer du Thy Art Is Murder ou du Fit for an Autopsy, Venom Prison joue davantage dans la cour de Fuming Mouth avec un deathcore à l'ancienne qui brouille la frontière avec le death metal ronflant.
Le groupe est mené par l'inspirante Larissa Stupar qui en plus d'être une vocaliste de haute volée est une personnalité férocement engagée dans la lutte féministe au sein des musiques extrêmes (je ne peux que vous conseiller ces deux excellents articles : [1] et [2]).
Alors attention, "Primeval" n'est pas un nouvel album à proprement parler. C'est un réenregistrement des deux premières démos du groupe complété par deux nouveaux morceaux. Les deux EPs avaient une production qui pouvait laisser à désirer et le groupe souhaitait leur donner une seconde vie avec une prod bien massive et l'aisance instrumentale acquise après 5 ans.
La patte deathcore se fait davantage sentir que sur "Samsara", avec des gros riffs groovy, des breakdowns cochons et un phrasé vocal plus syncopé que le death metal habituel. Le chant de Larissa Stupar est d'ailleurs clairement mis en avant dans le mix, ce qui est loin d'être un mal.
Alors pourtant qu'on soit face à un album que beaucoup jugeront dispensable, il s'agit probablement de la sortie de Venom Prison qui m'a le plus convaincu jusqu'ici. Allez-y sans crainte !
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Bloodbather – Silence
Metalcore dissonant – USA (Rise Records)
Bloodbather fait partie de ces groupes qui vous donnent envie de tout écrire en majuscule après quelques secondes.
Vous n'imaginez même pas la concentration qu'il me faut pour pas sagouiner cette chronique avec le caps lock, c'est dire la force de frappe qu'a déployé Bloodbather avec ce nouvel EP.
"Silence" est une tornade de bouts de verre et de clous rouillés, un hurlement grinçant en stéréo. Ce frappadingue pamphlet (non je n'ai pas honte d'avoir accolé ces deux mots incompatibles) se libère de l'engoncement des étiquettes pour naviguer entre les trois styles métalliques du -core. Clairement plus orienté metalcore, de nombreuses lignes vocales tirent vers le deathcore discret, tandis que l'omniprésence de la dissonance et des plans hystériques renvoient au mathcore.
On nage donc en plein MySpace-core (cf. mon billet sur Binarydans la dernière bagarre), non loin des univers de Vein, Meth ou Binary. Dans la mesure où c'est une de mes scènes préférées, je suis aux anges avec cet EP à l'instantanéité et la nervosité confondantes.
Sans la moindre pause, avec des performances vocales impitoyables et des riffs mid-tempo propices aux descentes d'organes, "Silence" est à manquer sous aucun prétexte si vous voulez soigner votre dépression nerveuse par une autre dépression nerveuse.
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Chamber – Cost of Sacrifice
Metalcore / Mathcore – USA (Pure Noise)
En ce moment, dès que Pure Noise publie du metalcore, on n'a jamais à craindre la faute de goût. Year of the Knife, Counterparts, Sharptooth, Rotting Out : chaque sortie a fait mouche et a bénéficié de sa chronique dans les précédents R&LB.
Alors quand Chamber a annoncé la sortie de son tout premier LP après un EP qui était passé sous mes radars, je n'ai même pas pris la peine de réfléchir et j'ai décidé de faire confiance au label.
Et j'ai très bien fait car "Cost of Sacrifice" apporte tous les nutriments mathcore old-school dont j'ai besoin. Quelque part entre les vieux Norma Jean ("Bless the Martyr and Kiss the Child" n'est jamais loin) et The Dillinger Escape Plan, les quatre loustics du Tennessee concilient avec nervosité la rage animale, la dissonance et les changements de rythme inopinés. Néanmoins, des parties plus modernes rappelant Frontierer ou Car Bomb sont utilisées avec fracas et permettront au groupe de capter un auditoire plus vaste. Sans oublier une nécessaire incursion industrielle vers la fin du disque avec le lancinant "Disassemble Reassemble".
En somme, représentez-vous l'image country-folk acoustique de Nashville dont est originaire Chamber. Maintenant, imaginez le strict contraire et vous ne devriez pas tomber trop loin de leur musique.
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Zulu – My People... Hold On
Metalcore / Powerviolence – USA (auto-prod)
Radical et puissant, le deuxième EP de Zulu est exactement ce qu'il vous faut comme shot d'adrénaline.
Oeuvre d'Anaiah Lei, un Californien d'origine saint-lucienne et taïwanaise, cet EP convoque de multiples influences pour un propos politique sans compromission.
La culture du sample (et donc du hip-hop) est clairement convoquée dès le premier titre avec un spoken word d'Aleisia Miller sur la condition de la femme noire aujourd'hui. Après cette introduction solennelle, Anaiah Lei déchaîne la saturation dans un mélange hurlant de metalcore sauvage et de powerviolence west coast. On discerne dès le deuxième titre les aboiements impitoyables d'Aaron Heard de Jesus Piece, qui semble être un proche du groupe comme en témoigne également la présence de Corey Charpentier sur la 5e piste, surtout connu pour s'être fait dégommer d'une scène en 2019.
Diatribe antiraciste et anti violences policières, "My People... Hold On" conjugue la ferveur militante à la rugosité téméraire du son. C'est un véritable cocktail molotov emprunt de l'énergie sonore californienne, et je ne peux que vous inviter à soutenir l'initiative aussi nécessaire qu'excellente.
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Touché Amoré – Lament
Post-hardcore / Screamo – USA (Epitaph)
C'est l'heure pour moi de botter en touche et de vous renvoyer vers ma chronique, publiée il y a déjà presque deux mois.
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Gridiron – Loyalty at All Costs
Beatdown metalcore – USA (auto-prod / Streets of H8)
Accrochez-vous bien, on repart dans les strates les plus infâmes de la stupidité hardcore.
Je ne vous ai pas épargné.e.s avec le beatdown durant l'année, avec les billets sur Sunami et Nasty et avec les recommandations que je me permets de vous faire avec les excellents EP de Chaver (Allemagne), Sector (Chicago) et Buriedbutstillbreathing (Californie). Continuons donc notre régressive lancée et causons Gridiron.
Formé par des membres de Year of the Knife (le chanteur de ces derniers passe à la batterie) et Never Ending Game (les deux guitaristes), le projet a pour vocation de recréer la sonorité de la scène hardcore pennsylvanienne (PAHC) old-school. Le groupe cite surtout Krutch (dans le phrasé et le chug-chug des guitares) et No Retreat (pour la lourdeur beatdown et les gros riffs empruntés au thrash), mais impossible de ne pas ressentir l'influence de xRepresentx. Dans le riffing ou les breakdowns d'une part mais surtout dans le nom de l'EP, faisant référence à l'album culte de xRx "True at All Costs".
Réflexion historique mise à part, Gridiron réunit tout ce dont vous avez besoin pour un petit déjeuner réussi : riffs grassouillons volés à Slayer, gros mosh parts pour lobotomisés et un chant rappé du meilleur effet. Gridiron n'a pas fait les choses à moitié, l'efficacité guitaristique est identique à celle de Never Ending Game dont je ne peux que vous conseiller le surprenant et pas si bête "Just Another Day" et il devient vite impossible de ne pas repasser en boucle ces 4 titres aux chug-chugs si douillets.
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Soul Glo – Songs to Yeet at the Sun
Hardcore / Hip-hop – USA (Secret Voice)
Curieux petit EP que ce "Songs to Yeet at the Sun". Outre une référence explicite à un des tous meilleurs albums de hardcore (le cultissime "Songs to Scream at the Sun" de Have Heart), il a la particularité de faire se superposer hip-hop et hardcore véhément.
Ce n'est évidemment pas la première fois que les deux genres se croisent. On pense rapidement à Ho99o9 qui a marqué la scène récente en offrant un hip-hop pêchu et industriel et dont les influences hardcore sont affichées.
Soul Glo propose le parti inverse. Le groupe part du hardcore pour lui insuffler une énergie hip-hop avec des samples et un phrasé rappé. L'héritage des deux genres est présent, les scènes hardcore et hip-hop s'étant toujours mutuellement nourries, notamment dans l'approche du chant syncopé et rythmique. Soul Glo se caractérise aussi par son message politique sans compromission. Mené par plusieurs personnes afro-descendantes, le groupe évoque les conditions de la marginalité dans la scène punk et se revendique d'une posture intersectionnelle ferme. Les paroles des militants antiracistes et pro-queer sont aussi délirantes que sarcastiques, comme dans "29" qui évoque la prise d'antidépresseurs : "Happiness, focus, and balance to all who can pay their sacrificial offering to the AMA [American Medical Association]. Thank God for Escitalopram [antidépresseur]". Ou encore dans "2K" ou le groupe s'associe avec l'artiste trans Archangel : "Doin estrogen in the back of a Chick-Fil-A / Ain't know the weather but I know I want some dick today".
Sur le dernier album du groupe, "The Nigga in Me Is Me", le mélange des deux styles était souvent assez hétérogène, un peu comme de l'huile sur de l'eau. L'album était percutant et politique, mais peu de morceaux sortaient du lot et le projet pouvait sembler confus par moments.
Mais le nouvel EP vient insuffler une nouvelle énergie extraordinaire qui confère aux compositions une résonance unique. Dès le premier morceau, le chanteur Pierce Jordan fait preuve d'un delivery phénoménal. Entre une instru empruntant à la powerviolence et des hurlements que le screamo n'aurait pas renié, "(Quietly) Do The Right Thing" est clairement le morceau qui porte l'EP. La fusion des différentes influences du groupe, entre différentes chapelles du hardcore et du hip-hop, se fait bien plus spontanément et l'arrivée de "2K", morceau le plus rap (grosse influence horrorcore), n'est ni surprenante ni inappropriée.
"Songs to Yeet at the Sun" est un EP d'une puissance évocatrice rare et d'une efficacité indiscutable. Il est la voix d'une scène passionnante, celle du punk radical et DIY de Philadelphie. D'une voix qui refuse les catégorisations raciales, l’hétéro-normativité et de la somme des discriminations subies par les personnes racisées.
Pour aller plus loin : cette excellente thèse sur la scène de Philadelphie.
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Vanguard – Rage of Deliverance
Metalcore – USA (New Age Records)
Je vous le disais déjà dans l'introduction de notre bilan hardcore, la décennie 2011-2020 semble avoir été celle des revivals et des réappropriations. Après une décennie d'innovations hallucinantes, le hardcore a regardé en arrière pour prolonger ses nouvelles scènes et puiser à nouveau l'énergie des anciennes.
Dans cette tradition, Vanguard est revenu à ses premiers amours et à l'essence nostalgique d'une scène qui a déchiré les années 90 : le vegan straight edge. Dans la première moitié des années 90, le véganisme s'est largement imposé dans le mouvement straight edge avec la mouvance xVx. Deux figures de proue émergent : Earth Crisis qui devient le mètre étalon absolu du metallic hardcore xVx et Vegan Reich qui forme la mouvance hardline, plus réactionnaire, conservatrice et exclusive.
Ne vous y méprenez pas, malgré leur logo rappelant celui de Statement, leur goût pour poser avec des grosses pétoires en appelant à l'insurrection et leur nom identique à celui du magazine officiel du mouvement hardline, les gars de Vanguard sont radicalement opposés à l'idéologie aussi cloisonnée qu'intolérante de la ligne dure.
Au contraire, le groupe embrasse "l'activisme intersectionnel au nom des animaux, mais également de l'égalité politique, éducative, économique et sociale pour tous les êtres humains marginalisés" (échange avec le groupe en novembre dernier).
Dans le son, on retrouve évidemment du Earth Crisis, mais également des touches d'Unbroken ou pour une référence plus récente, des morceaux d'Inclination. "Rage of Deliverance" est une savoureuse pièce de 18 minutes, inspirée et habitée qui propulse Vanguard sur le podium des sorties straight edge underground de l'année.
Rien que le premier morceau saura convaincre le ou la plus dubitatif.ve d'entre vous : alors que l'introduction est un solennel discours de Philip Wollen sur la souffrance animale, le premier riff, tonitruant, est un appel à l'action directe. La guitare est dense et hargneuse, jamais loin des influences du edge metal, tandis que la batterie sèche et nette complètent les appels sourds d'une basse saturée. Aucun titre n'est à jeter, de la furie sourde de "Detach" à l'utilisation pertinente de chant clair à la fin de "Under No Pretext".
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Sous les radars de la bagarre
Frustré de ne pas avoir pu vous parler de plusieurs disques sortis plus tôt durant l'année, je me fends d'une nouvelle courte rubrique pour vous évoquer deux albums méritants de l'année 2020 sorti avant octobre.
- I Am John Baudelaire - Précisons les faits (Screamo - France)
Sorti en début d'année, le deuxième EP du groupe parisien I Am John Baudelaire n'a clairement pas bénéficié de la promo qu'il aurait mérité. S'inscrivant dans le meilleur héritage de la scène screamo française, le quatuor parisien me rappelle avec force les grandes heures de Nesseria, Sed Non Satiata ou Daïtro. Mais encore une fois, ce serait dommage de circonscrire l'univers du groupe à une scène. D'autant plus qu'il semble clair que les membres du groupe ont également beaucoup écouté de skramz première vague, Saetia en tête (notamment dans les riffs saccadés de "Afin que tout disparaisse").
Le phrasé français caractéristique est maîtrisé, mais ce sont surtout les crescendos de guitare qui développent la puissance évocatrice du groupe. Sur un morceau comme "Chaque jour tu regardais passer le train, jusqu’à ce jour", l'influence toulousaine se fait particulièrement ressentir avec une longue plage instrumentale aux tricotages post-rock très convaincants. L'alternance entre les chants scandés et saturés ajoutent de la profondeur au composition et j'avoue être charmé par la puissance du grain sur la voix saturée.
Les nouvelles initiatives skramz en France sont encore trop rares donc je ne peux que vous inviter à aller écouter cette pertinente proposition. - Sorti à la fin juin, le premier LP de Concede, groupe de grind australien, aurait clairement mérité figurer dans la bagarre n°5. Furieux pavé de nihilisme à la tessiture menaçante, ce premier album lorgne souvent du côté de la powerviolence avec des riffs sauvages en mid-tempo et des tempos fluctuants menant souvent à des douches de larsens. Le dernier morceau, "One With the Earth", fait honneur à la tradition PxV en étant 5 fois plus long que le reste des morceaux, beaucoup plus lent et bruitiste (impossible de ne pas penser aux vieux classiques du style, de Man Is the Bastard à Infest).
Et afin de perpétuer la tradition du gavage de fin d'article, laissez-moi vous proposer quelques écoutes complémentaires et pas moins dénuées d'intérêt :
- Le nouvel album de Palm Reader prend une direction bien plus post-, après le rageur mais inégal "Braille" qui oeuvrait dans un style plus metalcore / hardcore mélodique.
- Pour les ancien.ne.s, HORSE the Band vient de faire son retour après 11 ans d'absence. Ouste le nintendocore désuet, le groupe propose un EP de post-hardcore loin d'être ridicule.
- Pour les fans d'Underoath, les Floridiens de Limbs viennent de sortir un EP porté par l'efficace single "Empty Vessel".
- Il ne faut jamais oublier les fans de skramz. Ce mois-ci, il faut encore regarder du côté du catalogue Zegema Beach avec la sortie du premier album de Crowning, avec le guitariste-chanteur de Frail Body à la basse. Aussi puissant et évocateur qu'on était en droit de l'attendre.