Morbid Funeral est la première démo de Lure, projet mené par Pierre Perichaud (Business For Satan en tant qu’illustrateur/tatoueur – aussi membre de Paramnesia et Silver Knife), sortie en octobre dernier via Amor Fati Productions. Fort d’un bagage artistique conséquent, l’homme propose ici trois compositions dépassant la dizaine de minutes, synthétisant à elles seules un grand nombre d’influences. Si Paramnesia semble s’inscrire dans le sillage de groupes comme Ash Borer et Fell Voice (et toute la galaxie de groupes américains tournant autour), et Silver Knife, ayant sorti son premier très bon disque cette année aussi, dans un tournant plus « Post-Black Metal », Lure revient ici aux fondamentaux. Ou plutôt, aux fondamentaux de son leader, qui semblent lorgner tant du côté des projets de Jef Whitehead (Lurker of Chalice et Leviathan) que de la deuxième vague de Black Metal.
Trois quarts d’heure durant, la batterie déferle sans cesse, dans une urgence suffocante au possible. Si la musique est parfois plus aérienne, les cris, eux, semblent toujours plus désespérés, allant crescendo dans la noirceur au fil des minutes. Les voix ne sont jamais claires, mais l’on devine quelques mots parmi ces hurlements souvent haut-perchés, et parfois comme ceux de quelqu’un à l’agonie dans une vieille cave ignorée des vivants (« La Danse du Pendu »). C’est là toute la folie et le génie des grandes œuvres d’un Black Metal que l’on qualifierait de « dépressif » : réussir à remuer en nous des sentiments contradictoires, soit l’appréciation des qualités musicales d’une œuvre d’une part, et l’identification à la douleur qu’à du être l’enregistrement de l’autre.
L’ensemble est indissociable de son auteur, ne semble à aucun moment factice, incarnant un désespoir réel, ayant probablement existé et s’illustrant ici en musique. Certains passages, certaines montées en intensité, sont magnifiques et presque triomphantes, comme pour mieux nous clouer au sol ensuite dans une déflagration de mélancolie, à la façon de groupes récents comme Céphéide ou Ultha. À cela s’ajoute une production assez « rocailleuse », « distante », mais somme toute plutôt claire, tant le mix de Déhà est ici impeccable, faisant justice aux compositions et aux différentes couches d’instruments. D’un bout à l’autre, l’écoute est un véritable plaisir captivant, et il suffit de fermer les yeux quelques instants, frissonner face à la dérive du flot troublé de nos pensées, pour s’en persuader.
Véritablement, le charme d’une telle œuvre réside donc avant tout dans les atmosphères qu’elle réussit à tisser. Assez simple en apparence, elle révèle toute sa complexité à l’auditeur au fil des écoutes. Le brio de Lure est d’avoir ici réussi à synthétiser le meilleur du genre tout en proposant une œuvre qui vivra pour elle-même. Les ambiances sont ultra-évocatrices et pourtant rafraîchissantes au possible, l’opus pue le désespoir et la haine mais dévoile un sens de la mélodie et de la composition certains. Les ambiances existent assez simplement, soit d’abord par quelques arpèges de guitare qui traversent les morceaux comme pour nous raconter une histoire, puis par ces couches de saturation qui ne sont pas qu’un brouillard uniforme mais la superposition mélodieuse de riffs intelligemment écrits.
Finalement, en termes de Black Metal, je me rends compte que ce sont souvent les œuvres les plus dépouillées qui me parlent le plus. Dénuée de trop d’artifices, de son artwork (relativement éloigné des illustrations inspirées de gravures de Business for Satan) à son nom (deux mots et derrière eux l’évocation de tant d’œuvres Metal), la démo mériterait tout autant le titre « d’album », tant elle est pour moi l’une des meilleures sorties Black Metal de cette année. Elle fait partie à mon sens de ces réalisations qui ne regardent pas de haut le Black Metal, ni ne jouent la carte de l’originalité à tout prix, en se contentant d’exister de la plus belle des façons : reprenant les codes du genre en les maîtrisant parfaitement. Réussir à s’inspirer du meilleur pour produire des œuvres inventives, et intéressantes en elles-mêmes, est une belle prouesse (certains musiciens opérant justement chez Amor Fati, comme Swartadauþuz ou le Prava Kollektiv, peuvent également s’en vanter). Morbid Funeral est un projet muri en silence, car tenu secret jusqu’à sa sortie, mais dont l’éclat mérite de rayonner malgré la noirceur de ce qu'il incarne.
Tracklist :
1. Est-ce que la vie est belle...
2. L'espérance, ou le clinquant de sa ferraille dans mes ténèbres
3. La danse du pendu