Alors que la crise liée à la Covid 19 a plongé le monde dans une léthargie mélancolique, est-ce que 2020 pouvait nous offrir quelque chose de plus approprié qu’un nouvel album des Deftones ? Dans les derniers rayons de soleil de septembre, avant un hiver qui s’annonce plus sombre que les autres, le crépusculaire Ohms apporte une dernière sérénité spleenétique avant une période qui s’annonce plus incertaine que jamais.
Deftones n’est peut-être pas le groupe le plus représentatif de toute la mouvance Neo Metal, mais c’est de loin celui qui a le mieux vieilli. En intégrant de plus en plus d’éléments dans leur spectre musical et en enrichissant leurs propos par touches et surtout en lorgnant très tôt vers le post-rock, la formation a réussi à tisser un lien entre ses albums les plus connotés années 90 et notre époque. Là où les premiers KoRn et autres Limp Bizkit sont de (superbes pour certains) vestiges d’une époque totalement révolue, Deftones résonne aujourd’hui d’une manière unique et, à mon sens, pertinente. C’est d’autant plus vrai que très rares sont les groupes du genre à avoir réussi à sortir certains de leurs meilleurs efforts durant les années 2010 là où les cathartiques Diamond Eyes et Koi No Yokan qui ont fait suite au coma du bassiste Chi Cheng font partie des opus les plus bouleversants de Deftones. Quatre ans après un Gore un peu poussif duquel rien n’est ressorti ni n’a été retenu, il était difficile de prévoir ce qu’allait être Ohms. Une suite apathique de titres réchauffés n’étant que de simples prétextes pour partir en tournée mondiale pendant deux ans ? Ou le prolongement du bel élan créatif qui habite Deftones depuis 2010 ?
Vous avez vu la note plus haut, vous avez donc la réponse. Ohms est extrêmement réussi. Pas nécessairement pour les raisons attendues cependant. Lors de la promo, grand bruit à été fait du retour de Terry Date et de Frak Maddok, respectivement à la production et à la réalisation de l’artwork, les deux ayant travaillé sur White Pony. Néanmoins, bien loin du retour aux sources (qui n’est que rarement une bonne idée), Ohms fait figure de panorama apaisé. Comme expliqué plus haut, le spectre musical de Deftones s’est élargi avec le temps. Les riffs sous-accordés ont été rejoints par les nappes de claviers et les arpèges majeurs joyeux. La rage d’Adrenaline a été remplacée par cette espèce de torpeur lumineuse derrière laquelle pointe menaces et mélancolie. Titres directs et plages plus atmosphériques, Deftones a toujours su trouver une forme de liant, une patte, un son, une façon de faire qui a permis de former une entité cohérente en partant de ces éléments épars. Et Ohms recombine tout cela. L’album est beaucoup moins direct que Koi No Yokan mais contient 2/3 titres qui feront partie des plus grands tubes de Deftones (Genesis en premier lieu). En parallèle, Pompeji et The Spell of Mathematics font partie de ce que le groupe a produit de plus atmosphérique : riffs, chants et structures rythmiques disparaissent au profit de nappes de claviers et autres samples de mouettes.
En interview, Deftones revendique cette spontanéité créatrice. Le fait d’être encore, après toutes ces années, un groupe d’amis qui sortent du studio boire des bières avant de mieux y retourner. On sent, à l’écoute d’Ohms, un groupe qui se connaît et se trouve bien, qui a une aisance à faire les choses ensemble et surtout qui y prend du plaisir. Plus la situation est sombre, plus Deftones répond par cette sorte de lumière pure qui ne cherche à cacher la fragilité et la mélancolie propre au monde. Délicat témoignage de l’impermanence des choses, Ohms voit Deftones à son meilleur niveau. L’attente de la retranscription en live n’en est que plus dure.
Tracklist :
1 Genesis
2 Ceremony
3 Urantia
4 Error
5 The Spell of Mathematics
6 Pompeji
7 This Link is Dead
8 Radiant City
9 Headless
10 Ohms