"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Il arrive souvent que l’on découvre, par hasard, par recherche approfondie ou par association d’éléments notables (line-up, labels…), un groupe un peu méconnu que l’on trouve énorme, sous- ou mésestimé, qui gagnerait donc à être plus connu et qu’on encense à coups de « révélation » ou autre « next big thing » pour bien faire comprendre qu’on est tombé sur une pépite et qu’on encourage tout le monde à découvrir. Il arrive parfois, derrière, que malgré ces efforts à un bien maigre niveau, le groupe ne perce pas, restant dans l’anonymat ou (re)tombant aussi vite dans l’oubli. Bon, d’une, tout chroniqueur n’a pas la prétention et/ou l’aura de faire circuler un nom à grande échelle. De deux, les groupes font ce qu’ils peuvent et faire du Metal n’étant pas spécialement payant, parfois le split arrive parce que leurs membres n’ont tout simplement pas le choix, à cause des aléas de la vie ou par simple perte de motivation. J’avais donc découvert le groupe anglais Rannoch en 2013, avec comme première approche le fait qu’il était signé sur le label Eulogy Media qui venait de sortir l’excellent premier album de Talanas (… groupe qui lui aussi s’est fait oublier depuis et n’a rien ressorti). Grosse claque et donc révélation, hors des circuits promo habituels. Une chronique de leur premier album Between Two Worlds, quelques commentaires enthousiastes, une découverte un minimum répandue, c’est plutôt pas mal. Mais qui dit « next big thing » pense à la suite. Et Rannoch aura donc été bien discret. Un EP, Age Of The Locust, sortira en 2015 et ensuite, les news se feront bien rares. Bien évidemment, et comme dit, tous les groupes de Metal du monde ne sont pas capables d’enchaîner les sorties aussi facilement. Mais tout de même, on se demandait bien si on aurait vraiment le droit un jour à une suite, où si Rannoch rejoindrait la longue liste de groupes plus confidentiels qui n’ont pas réussi à poursuivre voire même réellement entamer leur carrière. Dans leur cas, la délivrance finira par arriver. Presque par surprise et, malheureusement, dans la discrétion, Rannoch annoncera son retour en bacs à la mi-2020, 7 ans après son premier opus. Pour, donc, un Reflections Upon Darkness très attendu, par peu de monde certes (et hélas), mais la musique se figeant dans le temps, il ne sera jamais trop tard pour découvrir la musique raffinée de ce combo anglais.
Avec Between Two Worlds, on découvrait donc cette formation qui œuvre dans une sorte de Death Metal progressif. On pensera de suite, en lisant cette étiquette, à Opeth, et la comparaison n’est pas volée. Rannoch pratiquant un Metal à la fois chiadé et extrême, entre compos dures et moments feutrés, riffs saignants et instrumentations acoustiques. Cela est déjà suffisant pour ceux qui regrettent que Opeth ne fasse plus de MÉTALE et c’est un bon argument pour vous faire pencher sur le cas de Rannoch. Mais le groupe anglais n’est pas qu’un clone d’Opeth et possède d’autres influences, l’autre notable étant celle de Meshuggah qui oriente leur son vers quelque chose de plus moderne. Attention, on est pas du tout dans un registre Djent. Rannoch n’hésite tout simplement pas à adjoindre à son Metal Opethien quelques compos plus lourdes, plus syncopées, avec plus de cordes aux guitares. Le très volubile Ian Gillings n’hésite pas non plus à pencher vers divers registres de vocaux extrêmes, plus hurlés avec une légère influence Jens Kidman également. Tout ceci n’est pas forcément ultra original, mais dès Between Two Worlds, Rannoch semblait avoir trouvé sa voie, sorte de Metal Opethien (période Blackwater Park/Deliverance/Ghost Reveries) autrement plus moderne. Et, tout aussi confidentiel qu’il soit, avait une production sonore, une inspiration et une exécution digne des plus grands. Avec en sus des morceaux sensationnels comme "Will to Power", "Faith" ou autre "The Navidson Record" bourré de moments de grâce, et de l’ambition dans la forme comme avec cette suite de 3 morceaux éponymes, Between Two Worlds méritait bien le statut de révélation. Que Rannoch ne va avoir l’occasion de confirmer que sept ans après, pour un groupe qu’il va donc falloir redécouvrir. Par ses propres moyens vu que le groupe a choisi de rester dans l’autoproduction. Tout aussi ambitieux qu’il peut paraître, Rannoch reste donc modeste, ce qui force aussi le respect. Nous voilà donc avec entre les mains Reflections Upon Darkness, deuxième album de Rannoch, pour une deuxième chance donnée au groupe de se montrer. Le temps ne lui a pas spécialement permis de se réinventer vu que Reflections Upon Darkness va se situer dans la stricte lignée de Between Two Worlds. Mais Rannoch va se recentrer car son second opus sera presque plus Opethien que jamais. Ce qui, pour ceux qui n’ont jamais pu encadrer le virage d’Opeth dès Heritage, n’est pas une si mauvaise chose…
Rannoch reprend donc tout ou une partie des codes de Between Two Worlds : des morceaux généralement longs, un aspect progressif de tous les instants, du Metal extrême moderne (plutôt que vraiment du « Death-Metal » à vrai dire, le chant n'est jamais totalement growlé d'ailleurs) marié à des moments feutrés à grand renfort d’acoustique et de chant clair, et une production parfaite pour le genre. Après une intro assez épique, "Advenæ", on retrouve donc illico les caractéristiques de Rannoch pour un "De Heptarchia Mystica" déjà très salvateur. Envolées de guitares, rythmiques comme leads, batterie bien puissante, vocaux extrêmes endiablés, Rannoch n’a rien perdu de son inspiration. Son Metal relativement complexe (avec ici force compos Meshuggiennes) fait toujours mouche, et même dans ce léger chaos, il se dégage déjà une certaine classe, ce qui est un peu caractéristique des groupes anglais finalement (comme Akercocke par exemple). "Despair" poursuit l’effort de ce début d’album tambour battant, mais les moments de calme commencent à se faire voir, contrastant déjà avec des riffs très cossus particulièrement entraînants, c’est même vite une véritable déferlante de rythmiques mi-syncopées mi-techniques, avant que Rannoch ne se finisse sur un break acoustique suivi de belles mélodies. Le tableau est bien posé et Rannoch semble déterminé à enchaîner. Et surtout à montrer toute sa panoplie vu que "The Hanged Man", et sa longue introduction acoustique, va désormais poser toute l’essence Opethienne du groupe anglais. Le spectre devient plus mélodique, le chant clair se fait vraiment remarquer. Les riffs syncopés ici et là maintiennent la singularité de Rannoch mais il montre ici tout son raffinement, parfois pas si éloigné de certains travaux de Devin Townsend d’ailleurs. Même chose ensuite pour le plus ambiant "Fail", sorte d’interlude de luxe (avec un chant à fleur de peau) qui nous amène au vrai gros morceau de Reflections Upon Darkness. En effet, à l’instar de Between Two Worlds et de sa suite éponyme de 3 morceaux, ce nouvel album renouvelle l’effort en proposant une nouvelle suite intitulée « Darkness » qui couvre le reste de l’album, de "Prelude" jusqu’à "Postlude" soit 39 minutes et 7 pistes. Une suite basée sur un poème de Lord Byron, qui montre toute la culture et l’ambition de Rannoch une fois encore. Et qui rajoute un peu plus à son côté classieux so british.
"The Dream", qui fut le premier single de l’album, nous montre encore une fois toute la splendide dualité de Rannoch, entre passages épiques et compos bien punchy, avec des vocaux impressionnants de Ian Gillings. Même chose pour "Hope" qui lui joue sur la dualité entre lourdeur et lumière, avec des riffs croustillants et des mélodies formidables. Tout ceci nous amène pourtant à un "The Devoured" très feutré, exclusivement mélodique et souvent acoustique, toujours dans l’esprit d’un Opeth (certains passages de chant clair sont mêmes troublants de similitude avec les vocaux de Mikael Åkerfeldt) qui emprunte aussi un peu à l’atmosphère cotonneuse d’un Devin Townsend, influence qui elle aussi apparaît de plus en plus en évidence. Le final sera malgré tout plus pesant, transitant vers un "Dying Embers" encore une fois très épuré et majoritairement acoustique, mais englobé dans une ambiance plus sombre, Rannoch maîtrisant définitivement l’art du jonglage entre contrastes. "Void" conclura l’album tout en Metal, en véritable « Death Metal progressif » d’ailleurs, tout en compos travaillées oscillant entre lourdeur et raffinement, avec un dernier jet foisonnant de leads et solos maîtrisés. "Postlude" conclut en notes de piano tristes cet album qui est une fois de plus un tour de force pour un groupe si confidentiel mais de grande qualité et de grand talent. Il a fallu attendre 7 ans pour avoir la suite à cette révélation qu’était Between Two Worlds. On peut dire que l’essai est transformé, même si Rannoch n’a pas vraiment évolué, ayant juste fait progresser ses équilibrages en plus de quelques améliorations sur la forme. Mais l’inspiration est bien au rendez-vous. Seules quelques longueurs ternissent le tableau, qui demeure plus que satisfaisant. Between Two Worlds n’est à mon sens pas dépassé pour autant, peut-être parce qu’il n’y a plus l’effet de surprise aussi. Mais Rannoch, attendu au tournant, ne déçoit pas et commence déjà par prouver qu’il est toujours vivant et en a encore sous la semelle. Il n’y a plus qu’à espérer qu’il récolte enfin la renommée qu’il mérite, même si après une si longue absence discographique, il doit presque tout reprendre de zéro. Reflections Upon Darkness est donc un album à vivement recommander, pour un groupe qui satisfera déjà les amateurs de la période la plus Metal d’Opeth, mais aussi de Metal extrême moderne qui possède un spectre large, entre raffinement mélodico-acoustique et lourdeur syncopée. Un beau groupe, vraiment, qui je l’espère pourra percer un jour et s’asseoir à la table des plus grands.
Tracklist de Reflections Upon Darkness :
1. Advenæ (1:59)
2. De Heptarchia Mystica (8:14)
3. Despair (8:42)
4. The Hanged Man (8:12)
5. Fail (3:11)
6. Prelude (1:19)
7. The Dream (5:25)
8. Hope (5:21)
9. The Devoured (8:25)
10. Dying Embers (6:15)
11. Void (9:12)
12. Postlude (2:55)