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Album

30 avril 2020 - Circé

Oranssi Pazuzu

Mestarin Kynsi

LabelNuclear Blast
styleBlack metal électro sous acide
formatAlbum
paysFinlande
sortieavril 2020
La note de
Circé
9/10


Circé

hell god baby damn no!

Treize ans que des tréfonds enneigés de la Finlande a ermergé cette entité singulière qu'est Oranssi Pazuzu. Ce démon sous acide devenait avec les années un peu plus déroutant et fascinant. Après trois albums ayant déjà marqué les esprits par un black metal hautement psychédélique, l'oiseau a fini de déployer ses ailes en 2017 avec un Värähtelijä bousculant toujours plus les codes et l'auditeur. Longues plages progressives, boucles hypnotiques, les Finlandais s'éloignaient déjà des riffs directs d'un Valonielu et déserraient un peu plus l'étreinte de l'étiquette « Black Metal » autour de leur créativité. Et après avoir pris son envol, l'oiseau infernal s'apprête aujourd'hui à quitter notre atmosphère.

Cette nouvelle étape pour le groupe est tout d'abord marquée bien entendu par le changement de label, de leurs compatriotes de Svart Records à Nuclear Blast. Oranssi Pazuzu n'étant clairement pas qualifiable de groupe « accessible », la signature chez un aussi gros label pouvait surprendre. Elle est aussi marquée par une évolution musicale – qui n'est pas sans rappeler la coopération du groupe avec Dark Buddha Rising sous le nom de Waste of space orchestra l'an dernier. Sludge, électro, black, mais avant tout psychédélique au possible, Syntheosis était la bande son idéale d'une trance cauchemardesque. Et on pourrait en dire de même pour Mestarin Kynsi, bien qu'au delà de cette vision créative proche les deux albums gardent leur son bien distinct.

On retrouve d'entrée de jeu la base de la musique psychédélique : une longue boucle répétitive évoluant lentement avec l'ajout de nouveaux éléments, ici pour ouvrir l'album ainsi que certains des morceaux. Et ce sont d'ailleurs les rares moments de calme offerts : lorsque les morceaux démarrent vraiment, ils explosent et font se chevaucher guitares, basse, batterie et multiples couches de synthés ou autres arrangements. Pourtant, au milieu ce chaos expérimental et dissonnant ressortent des mélodies, voire juste des bribes, ou encore des beats hypnotiques qui en deviennent catchy, dansants. Ils captent l'attention pour permettre à l'auditeur de se frayer un chemin, mettant alors en évidence une composition en vérité très organique. Tout coule de source : les instruments se répondent, les différentes phases évoluent naturellement et basculent vers d'autres sans qu'on ait l'impression d'un raccolage. La production fait tenir le tout ensemble avec un son lui aussi très organique au delà de toutes les sonorités électro.

Et, oui, la principale erreur serait sûrement d'écouter Mestarin Kynsi comme un album de metal, tant Oranssi Pazuzu s'en affranchissent et mettent leurs influences sur un pied d'égalité. L'album est d'ailleurs très pauvre en riffs ; c'est ce qui m'avait déconcerté et laissé sur ma fin lors de ma première écoute. Sauf qu'en se le repassant une deuxième, troisième fois, etc, la musique s'impose et on se rend compte qu'on a perdu son temps à les chercher, ces riffs – peu être un certain formatage à force d'écouter le même type de musique ?
Les rythmiques varient entre des beats électro réglés et une batterie jazzy désynchronisée. Le contraste est particulièrement prenant lorsque l'intro d'« Oikeamielisten sali », boucle électro répétitive, débouche sur la première partie du morceau. La basse se fait largement entendre, avec des tons groovy donnant notemment ce petit break accrocheur sur « Tyhjyyden sakramentti » qui lance la dernière partie du morceau en s'appuyant sur ce même pattern.
Les synthés sont bien évidemment partout, trame des compos ; ce sont aussi eux qui permettent l'installation d'ambiances tout au long de l'album, de faire évoluer l'atmosphère au sein d'un même morceau. Si oui, ils peuvent être foutrement accrocheurs voire dansants, ils peuvent vite instaurer in climat beaucoup plus inquiétant : le côté industriel de « Kuulen ääniä maan alta » qui prend ensuite une tournure très spatiale, urgence et panique sur la première moitié d' « Uusi Teknokratia »... Choisir ce titre comme single n'est pas si étonnant ; il s'agit certes du plus long de l'album mais aussi du plus prenant, narratif et en quelque sorte direct dès les premières notes jusqu'aux longues plaintes de guitares dissonnantes qui l'amènent vers sa fin.


Sous des couches de reverb' s'empilent les guitares et les vocaux pour renforcer le côté psychédélique, cerise sur le gâteau de ce voyage horrifique. Il y a pourtant ces étranges moments de clareté, des tournures épiques sur « Oikeamielisten Sali » à la dernière partie entraînante de « Tyhyyden sakramentti ». Et ce marathon chaotique se termine avec « Taivaan portti », titre un peu à part (et peut être au final le plus qualifiable de « metal » ?). Huit minutes de blasts matraquent pour laisser l'auditeur en chute libre, flottant dans le néant, tentant de reprendre ses esprits.

Mestarin Kynsi a plus que jamais une dimmension cinématographique qui amène le son d'Oranssi Pazuzu vers de nouveaux territoires et plonge l'auditeur dans un univers dystopique, ou encore une genre de rave party black metal qui aurait mal tourné. Au milieu, reste du Black Metal ses cris déments, sa violence et jusqu'au-boutisme. Les Finnois réussissent ce cocktail explosif avec brio. L'expérimentation semble déjà diviser, mais restera sans doute dans les mémoires. Nous avons quoi qu'il en soit ici un bon concurrent pour les traditionnels bilans de fin d'année, et Mestarin Kynsi se situe sans hésitation assez haut parmi mes coups de cœur de 2020. Ils ont été assez rares jusqu'à présent pour le souligner.
 

Tracklist :
1. Ilmestys
2. Tyhjyyden sakramentti
3. Uusi teknokratia
4. Oikeamielisten sali
5. Kuulen ääniä maan alta
6. Taivaan portti

 

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