"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Pour désigner une certaine frange des groupes de Metal technique, il est apparu et ce dès les années 90 un préfixe vite devenu bien spécifique qu’est « Techno » - et qui, pour ceux qui en douteraient encore, n’a rien à voir avec le genre de musique Techno. Ce préfixe s’est appliqué à deux genres, d’un côté le Death avec en pionniers Atheist, Cynic et bien sûr une bonne partie de la discographie de Death ; de l’autre le Thrash avec notamment Coroner, Watchtower et Mekong Delta. Beaucoup de groupes de plus en plus techniques sont apparus au fil des années, le terme Techno-Death ou Techno-Thrash s’applique davantage au contexte de l’époque et aux particularités du style (compos très complexes, tendances jazzy, basse bien présente, etc.), mais le terme est resté pour étiqueter le pan le plus technique du Metal extrême. On parle donc depuis des décennies de Techno-Death et Techno-Thrash, mais qu’en est-il du troisième grand larron du Metal extrême… le Black ? Le Techno-Black existe-t-il, peut-il seulement exister ? C’est une question de j’ai vu posée sur de célèbres forums francophones il y a bien des années maintenant, et la réponse semble toujours être aussi difficile à donner. Déjà, de par son côté volontairement cru et primitif, le Black-Metal est bien évidemment souvent antinomique au strict terme de technique. Il y a bien sûr, et tout de même, des groupes estampillés Black-Metal qui ont plus nettement travaillé leur art, mais les groupes réellement « techniques », d’autant plus à les comparer avec ce qui se fait dans le Death et le Thrash, sont très rares, ou restent dans un domaine que l’on peut plus simplement et justement qualifier de « progressif ». Et si l’on s’en tient aux particularités réelles du Techno-Death/Techno-Thrash « historiques » suscitées, le champ des possibles se restreint encore. Quoique, un seul et unique groupe me semble réunir ces critères pour être qualifié de « Techno-Black », il s’agit du groupe français Asmodée, auteur de 3 albums entre 2002 et 2009 (dont les excellents Simulacres et Chlorosis), qui avait effectivement su mêler des éléments Techno-Death à des oripeaux Black, plus que de faire un style de Techno-Black totalement inédit d’ailleurs. Mais bon, et d’autant que Asmodée a hélas cessé d’exister en 2013, refermons cette parenthèse et parlons du 3ème album de Vredehammer.
Vous me dites que vous ne voyez pas le rapport ? Je vous dis que vous n’avez plus de genoux. Bref, je ne m’étais pas spécialement intéressé à Vredehammer depuis sa création en 2009, son premier album lui remontant à 2014 (Vinteroffer). Je classais la formation, un peu machinalement, comme du banal BM norvégien signé chez Indie Recordings. Pourtant, quelques temps après la sortie de leur second opus Violator (2016), j’ai été piqué d’une certaine curiosité lorsque, au détour d’un post facebook signé d’un célèbre musicien de la scène française, en avait posté un extrait en disant peu ou prou « mince, c’est du Decapitated version Black ». Et après écoute, je trouvais que… c’était totalement ça ! Il semblait alors clair que j’étais passé à côté de quelque chose d’énorme. Quasi one-man band de Per Vall d’Allfader à ses débuts, Vredehammer a donc réellement débarqué en 2014 avec son premier album, qui montrait effectivement un groupe estampillé « Black-Metal » techniquement bien plus étoffé que la moyenne. Des riffs rangés, sautillants et complexes foisonnent dans la musique assez étrange de la formation, et rien n’est annonciateur de ça sur les visuels du groupe. Violator avait déjà enfoncé le clou, entre des compos syncopées et groovy assez effectivement comparables à du Decapitated, et du Black-Metal plus expéditif mais très moderne, dans le fond comme dans la forme. Cette mixture assez singulière nous offre au bout du compte une musique d’une efficacité assez colossale, aux antipodes d’un TNBM de base auquel on pouvait rattacher Vredehammer si on avait pas fait attention… Unique en son genre, le Black-Metal de Vredehammer peut donc aisément franchir le rubicond vers une certaine forme de « Black technique ». Alors certes, on ne peut toujours pas parler de « Techno-Black » car certains éléments manquent, d’influences jazzy en passant par une basse bondissante ou un chant caractéristique (ici plus rauque et rocailleux). Mais Vredehammer s’en rapproche, et fait de toute façon partie des très rares groupes classifiables dans le Black-Metal mais dont la technique furibonde des compos est ce qui ressort immédiatement. Quatre ans après, le combo est de retour sous forme d’un trio, pour un troisième album commençant encore par un V, Viperous, qui va prouver que Vredehammer est décidemment un groupe pas comme les autres.
Et va d’ailleurs d’emblée apporter des petites nouveautés vu que "Winds of Dysphoria" ouvre Viperous avec des synthés rétro et lugubres, qu’on avait jamais croisé sur les précédents albums. Avant que ça ne soit déjà la déferlante : riffs rangés et tranchants, batterie très offensive (et qui ne sonne plus comme une BAR), et très vite compos complexes et sautillantes, à la limite du sweeping ! Le mélange improbable mais furieux entre un Black-Metal blastant et du Metal extrême technique et moderne auquel il emprunte pas mal de caractéristiques, est toujours aussi bluffant. Mieux, il est désormais totalement maîtrisé et réussi, et surtout particulièrement entraînant, on tape bien vite du pied devant cette sorte de BM du futur ultra-jouissif. "Winds of Dysphoria" se permet même de placer quelques atmosphères avec des passages plus mélodiques, et Vredehammer n’a jamais été aussi inspiré. Et va bien vite envoyer la sauce dans ce qui est d’ores et déjà un des albums les plus furibonds de l’année. "Aggressor" est une énorme tuerie, avec des riffs tournoyants archi-efficaces, appelant à un headbang continu et primaire, et ce malgré la technique bien étoffée et intelligente des compos (on a même le droit à un passage assez épique avec force leads et synthés), Vredehammer ayant tout compris à l’application de la technique au service de l’efficacité. Viperous est du coup blindé de hits et de morceaux étonnants. Le morceau-titre nous écrase sous un ensemble de riffs légèrement syncopés, coup-de-poing et massifs, à nouveau Decapitatediens, le tout dans une ambiance sombre délicieusement hypnotique. "In Shadow" est le morceau le plus technique de Viperous, il y a tellement de sweepings qu’on se croirait chez Spawn Of Possession ! Et l’efficacité est toujours au rendez-vous, ainsi que le mélange avec du Black-Metal qui est encore totalement réussi et incroyable, avec en point d’orgue des riffs vraiment mortels. "Any Place But Home" enfonce le clou avec des compos vraiment monstrueuses, en plus de cette ambiance très sombre, même désenchantée par moments, appuyée par ces synthés mystiques, qui fait aussi partie de l’originalité de cet album et de Vredehammer tout entier. Les autres morceaux sont plus classiques ("Suffocate All Light", "Skinwalker", "Wounds"), plus purement Black-Metal, mais ne sont pas en reste surtout que le groupe y va toujours pied au plancher, alors qu’il avait tendance à pondre des morceaux plus « lents » pas vraiment convaincants sur ses précédents albums. Ici, ça fait feu de tout bois du début à la fin, en plus de toujours avoir ce petit plus qui fait la différence (les synthés sur "Suffocate All Light", la seconde partie bien véloce et remuante de "Skinwalker", les riffs à la Melechesh de "Wounds" - un autre groupe de BM souvent technique par ailleurs…).
Viperous se clôt toutefois par une dernière œuvre plus lourde, le plutôt rampant et mystique "From A Spark to A Withering Flame", aux synthés plus originaux posant une ambiance vraiment étrange et crépusculaire, un dernier témoin de la créativité folle de ce groupe qui ne ressemble à aucun autre. Une belle façon de terminer un album qui se pose, très rapidement, comme un des disques les plus addictifs de l’année. Il y a peu de reproches à lui faire, au pire on peut lui remonter une prod un peu brouillonne par moments (malgré le mixage et le mastering de Jacob Hansen mais est-ce vraiment adapté à une musique très Black-Metal norvégien à la base après tout ?), mais on pardonne tout écart tant les compos tuent. Violator n’était pas encore parfait, Viperous lui emboîte le pas en dévastant tout sur son passage et en évacuant les derniers doutes que l’on pouvait avoir à propos de la musique singulière de Vredehammer. Oui, faire du Black-Metal relativement traditionnel en lui apposant une grosse dose de modernité et un sacré afflux de compositions techniques peut fonctionner à merveille, et ce Viperous hyper inspiré et génialement efficace de bout en bout en est la preuve. On en est pas encore au stade d’un vrai « Techno-Black » jazzy, extrêmement complexe et pas loin de la « musique pour musiciens », mais au stade d’un mix bien achalandé entre Black-Metal et instrumentations issues d’une frange plus technique du Metal, Vredehammer a frappé très fort. Ils sont très rares, les groupes estampillés « Black-Metal » qui peuvent soit se revendiquer d’une franche modernité (on pourrait aussi citer Second To Sun voire Cohol), soit d’une technique bien supérieure à la moyenne, le tout sans renier quelques racines, Vredehammer combine le tout et est cet OVNI. Bien équilibré, sans trop en faire par ailleurs, en demeurant efficace à chaque instant, blindé de morceaux irrésistibles, de riffs qui tuent et d’ambiances déroutantes, Viperous couronne Vredehammer comme un des groupes de Metal extrême les plus excitants du moment. Si vous aimez le Black-Metal, plus ou moins traditionnel, qui sort des sentiers battus et n’hésite pas à s’acoquiner avec des genres plus techniques et étoffés, Vredehammer et ses riffs furibonds est fait pour vous. Un album génialissime de Black-Metal « technique » pour vous défouler subtilement. Un véritable poison !
Tracklist de Viperous :
1. Winds of Dysphoria (5:05)
2. Aggressor (4:49)
3. Suffocate All Light (3:59)
4. Viperous (4:31)
5. Skinwalker (4:33)
6. In Shadow (5:25)
7. Wounds (4:37)
8. Any Place but Home (4:56)
9. From a Spark to a Withering Flame (4:42)