Tous les memes, toutes les blagues redondantes, tous les poissons d’avril éculés sont devenus caduques le 30 août 2019. Après une stratégie de com’ hyper conventionnelle (nouveau titre live > date de sortie > titre > pochette > extrait > album sur toutes les plateformes) dont la seule surprise a été le prix du format physique (justifié par un packaging innovant dont vous savez tous probablement tout), Il est enfin là, 13 ans après son grand frère. Les fans de Tool ont toujours été bavards mais ces derniers jours, les fantasmes entourant Fear Inoculum ont été remplacés par une exégèse d’une rare densité dont une interrogation émerge plus souvent que toutes les autres : Est-ce que cela valait toute cette attente ?
A l’inverse de tout autre groupe, la préoccupation centrale des fans n’était pas de savoir si l’album était réussi ou non, mais s’il allait compenser l’amont de frustration accumulé ces dernières années. L’étirement du temps et ses conséquences apparaît ainsi comme un élément central de Fear Inoculum. Etirement du temps de la part des fans qui, à juste titre, voient la sortie d’un Tool comme un instant T au sein d’une vie nécessairement tangible. Ce sentiment extrêmement fort se lit dans les réactions des premières écoutes où les sections commentaires se sont changées en de vastes mémoriaux en l’hommage des pères, des mères, des frères sœurs et amis, fans de la Machine mais n’ayant pas franchi ce gap de 13 ans. En miroir, le groupe ou du moins Danny Carey, a voulu également étirer le temps jusqu’à sa limite : Fear Inoculum ne devant être à l’origine qu’un vaste single de plus d’une heure. Le groupe l’a transformé en 6 titres de plus de 10 minutes chacun entrecoupés d’interludes (4) de 2-3 minutes chacun pour le résultat le plus dense de la discographie de Tool.
La compacité du résultat final est en effet immédiatement ressortie dès les premières écoutes. Fear Inoculum n’offre que peu d’aspérités pour une première prise en main facile là où chaque album précédent avaient des titres plus easy listening que d’autres. D’autant plus que là où 10 000 Days et Lateralus (principalement) fonctionnaient souvent en crescendo, le quatuor a accouché, avec ce dernier opus, de ses breaks les plus somptueux.
Est-ce que pour autant Fear Inoculum déroute ? Il semble difficile de répondre à cette question tant, encore une fois, ce laps de temps rendait toute prédiction peu pertinente. Néanmoins, cet album apparaît comme un prolongement logique d’une discographie qui se complexifie de manière générale, au fil du temps.
Partant de ces éléments, il serait difficile de ne pas évoquer le deuxième pilier, connexe, de Fear Inoculum qui serait le voyage ou le passage. La quête des guerriers d’Invincible en est peut-être l’exemple le plus touchant et dialogue avec l’artwork et cette spirale dont la destination inconnue, importe moins que le chemin qui nous y mène. Ce passage ne se fait pas sans heurts et les luttes contre les puissances de mort, internes (Culling Voices) et externes (Descending) agrémentent le trajet Fear Inoculum. Jamais trop éloigné d’une réalité qui tangue version Philip K. Dick, on peut observer au cours de l’album un long effet de chute où les célébrations du souffle vital de Pneuma se retrouvent impuissantes face à une tempête qui ne se préoccupe ni d’excuses, ni de justification pour tout emporter.
La direction musicale a été sur-disséquée. Chacun, en fonction de son rapport au groupe trouvera que ce riff évoque cette période, que cette ligne de chant se rapproche de ce side project. Mais, de manière générale, chaque fan retrouvera ce qui a forgé la légende de Tool : cette science de la précision, cette façon magistrale d’amener et de dissoudre certains plans et ce dialogue égal et génial entre chaque instrument. Dany Carey est impérial à son habitude et combine très justement avec Chancellor, Jones et son perfectionnisme maladif procèdent par touches et tantôt illuminent, tantôt assombrissent ces longues pièces sur lesquelles Maynard pose une voix beaucoup plus limpide que sur les albums précédents.
Ces considérations posées, où se situe Fear Inoculum dans le parcours de Tool et quel regard porter, 13 ans après 10 000 Days ? Etage supplémentaire à une tour de Babel discographique de moins en moins figurative, Fear Inoculum ne peut exister que du fait des sorties précédentes et le temps nous dira s’il constitue un chant du cygne pour Tool ou une étape avant quelque chose d’autre. Riches en moments mémorables, le résultat est, d’un point de vue qualitatif assez homogène et même si les pics de perfections n’atteignent pas les sommets de Lateralus et de 10 000 Days, l’absence totale de temps faible en fait, forcément un très bon album. Néanmoins, depuis Lateralus, le groupe semble avoir trouvé un niveau stratosphérique mais constant et ce cinquième album fera peut-être moins date dans la discographie des Californiens. La faute a un processus de diffusion où l’immédiateté prime sur la digestion ou au fait que le groupe avait assis sa réputation avant sa cuvée 2019. Rappelons que 13 ans, c’est le temps qu’il a fallu à Tool pour sortir ses 4 premiers albums (1993 – 2006), par conséquent, le rapport au groupe a forcément évolué pour tous les fans. Regain de nostalgie ? Délivrance après une attente trop longue ? Pour moi, Fear Inoculum est un marque page, un save point dont l’appréciation ne peut être que liée à notre parcours entre 2006 et 2019.
Tracklist :
01. Fear Inoculum
02. Pneuma
03. Litanie Contre La Peur
04. Invincible
05. Legion Inoculant
06. Descending
07. Culling Voices
08. Chocolate Chip Trip
09. 7empest
10. Mockingbeat