"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Growls méchants, batterie offensive, riffs tranchants : c’est ainsi qu’on se fait accueillir dès les premières secondes de "Monarch Alpha", morceau d’ouverture de Sociopathic Constructs le troisième album d’Abnormality, dont les fans auront bien sûr tiqué sur le nom qui fait écho au cultissime "Monarch Omega" qui ouvrait le premier album du groupe Contaminating The Hive Mind il y a 7 ans. C’est que Abnormality, à chaque fois qu’il pointe le bout de son nez, n’est pas là pour plaisanter. Même s’il n’est pas le plus vieux des groupes de Brutal Death américain, ni le seul au monde à avoir la particularité d’avoir une chanteuse dans ses rangs, Abnormality est rapidement devenu une des sensations du style et se fait attendre à chaque nouvel album de sa part, d’autant qu’il n’est pas énormément prolifique (3 albums en 14 ans d’existence). Certes, le fait qu’il possède une growleuse hors pair, l’excellente Mallika Sundaramurthy, joue beaucoup dans sa popularité. Mais les 4 musiciens derrière font le taf, et ont rapidement fait d’Abnormality un groupe complet, entre Death-Metal américain traditionnel, Brutal Death, Death technique voire même Slam Death. Contaminating The Hive Mind (2012) s’était donc directement posé comme une énorme révélation, un album monstrueux de Brutal Death qui d’ailleurs pour ma part est encore aujourd’hui un de mes cultes du genre (si ce n’est même le premier sur le podium). Brutal et lourd mais dense et étoffé, le Death-Metal mortel d’Abnormality ratiboisait avec des pistes énormissimes comme "Monarch Omega", "Fabrication of the Enemy" ou autre "Schismatic". Le groupe du Massachusetts était parti très fort et très haut et il devait donc relever le défi de poursuivre sa carrière sur le même niveau d’intensité. Arrivé (logiquement) chez Metal Blade pour Mechanisms Of Omniscience (2016), il avait réussi à maintenir sa forme et sa puissance. Même si pour ma part, certains choix de son pour ce deuxième album étaient discutables, avec des guitares peut-être moins écrasantes et aussi ce son de batterie un peu trop claquant pour mes oreilles, penchant trop vers le Slam Death. Mechanisms Of Omniscience était peut-être aussi un tantinet hétérogène, des "Mechanisms of Omniscience", "Irreversible" ou "Cymatic Hallucinations" étant bien au-dessus d’autres morceaux un peu plus anecdotiques. Cela n’était pas une erreur de parcours, loin de là, mais Contaminating The Hive Mind restait intouchable. Après une nouvelle période de gestation de 3 ans, Sociopathic Constructs va nous remontrer un Abnormality toujours socialement engagé et prêt à en découdre.
Un troisième full-length qui s’ouvre donc par un coup de poing en pleine face du nom de "Monarch Alpha", d’ores et déjà le morceau le plus excitant de l’album et ce d’entrée de jeu. Donc non, Abnormality ne va pas baisser la tension et faire du Deathcore moderne à claviers et à chants clairs, c’est même tout le contraire d’ailleurs, la tension remontant déjà d’un cran par rapport à Mechanisms Of Omniscience. Abnormality ne va pas pour autant répéter les morceaux les plus expéditifs de son répertoire à l’envi comme "Fabrication of the Enemy", il va plutôt subtilement refaire ses équilibrages. Déjà au niveau sonore, on l’on retrouve la lourdeur de Contaminating The Hive Mind mais en gardant un peu la modernité de Mechanisms Of Omniscience, trouvant un entre-deux pertinent mais qui sied toujours bien à ce Brutal Death souvent très bouillonnant. Sur le fond ensuite, Abnormality continue à explorer avec brio tout son spectre Death-Metal. Et à certains égards, Sociopathic Consctructs va même sonner assez « old-school » et revenir vers de glorieuses influences américaines, Morbid Angel en tête. Ce troisième opus du groupe parvient donc à faire brillamment le pont entre influences traditionnelles et sons Brutal plus modernes mais-pas-trop, à l’instar de ce que le groupe suisse Near Death Condition avait pu faire sur Evolving Towards Extinction d’ailleurs. La première partie de l’album résume d’ailleurs toute la palette d’Abnormality en 2019. On passe d’un "Monarch Alpha" 100% Abnormality qui décape sec, à un "Penance" nettement plus technique et volontairement chaotique qui s’offre déjà un beau break légèrement Morbid Angelien de bon aloi, puis un "Kakistocracy" à la fois lourd et brutal avant d’arriver sur un "Transmogrification of the Echoborgs" qui mélange du pur Abnormality brutal en diable à du Death-Metal américain bien pesant qui évoque les travaux les plus ésotériques de Morbid Angel. C’est qu’on verrait bien les symboles étranges du clip de "Where the Slime Lives" défiler devant nous devant les ralentissements de ce morceau délicieux et surprenant. Il est donc toujours question de Brutal Death plus ou moins technique mais avec Sociopathic Constructs, Abnormality en profite pour rendre hommage à la scène américaine et aux influences primaires, et semble maintenant se poser comme un des groupes les plus intéressants et passionnants de sa scène.
Bien sûr, les musiciens sont totalement inspirés, le chant de la ravissante Mallika Sundaramurthy est toujours aussi succulent, plus vénère que jamais par moments (cf. certains passages énormes de "A Seething Perversion"), la production hyper chaude et puissante fonctionne à la perfection, compressant nos tympans avec délectation sans en faire des tonnes (et avec une batterie moins exaspérante que sur Mechanisms Of Omniscience, de même que des guitares bien terreuses comme il faut et des leads qui ressortent bien quand c’est nécessaire). Et Sociopathic Constructs est une nouvelle fois un album terriblement efficace, avec une cadence d’exécution élevée toujours aussi jouissive ("A Catastrophic and Catalyzing Event" qui envoie méchamment, le final archi-brutal qu’est "Curb Stomp") qui se laisse souvent aérer par une lourdeur bienvenue même si on ne passe pas forcément par du pur mid-tempo ("Dying Breed" à nouveau très typé Morbid Angel, le bien équilibré "A Seething Perversion"). On ajoute l’interlude "Aeturnum" et l’on est bon pour 33 petites minutes de pur Abnormality, ça peut paraître court mais c’est une durée relativement normale pour du Brutal Death, même pour du Abnormality même s’il s’agit malgré tout de son album le plus court. Une nouvelle fois, le groupe américain remplit donc son office quand il s’agit de balancer du Brutal Death US sans grands compromis. Sociopathic Constructs se permet donc de dépasser allégrement le légèrement mitigé Mechanisms Of Omniscience et remet bien Abnormality sur le front de la scène, tout en faisant pertinemment un retour bienvenu à quelques sonorités plus old-school histoire de contenter tout le monde et de compléter encore mieux son art. Maintenant, à part des injonctions de lourdeur Morbid Angeliennes ici et là, Abnormality ne surprend pas vraiment, la plupart de ce qui est proposé sur cet album restant assez classique même si de nouveaux tubes sont au rendez-vous ("Monarch Alpha", "A Catastrophic and Catalyzing Event", "Curb Stomp"). Ce n’est donc pas cette fois-ci qu’un nouvel opus d’Abnormality rivalisera complètement avec Contaminating The Hive Mind, qui bénéficie encore de la claque reçue à l’époque (même si pour ma part je l’avais découvert un peu sur le tard, peu avant la sortie de Mechanisms Of Omniscience…). Mais si on voulait du Brutal Death bien méchant mais aussi complet en son genre, et que l’on voulait retrouver le petit plus que sont les vocaux toujours impressionnants de Mallika Sundaramurthy, Sociopathic Constructs remplit le contrat : c’est une bonne petite branlée.
Tracklist de Sociopathic Constructs :
1. Monarch Alpha (3:42)
2. Penance (3:48)
3. Kakistocracy (4:06)
4. Transmogrification of the Echoborgs (3:47)
5. A Catastrophic and Catalyzing Event (5:00)
6. Aeturnum (0:50)
7. Dying Breed (3:54)
8. A Seething Perversion (4:06)
9. Curb Stomp (3:30)