Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
La sortie d'un album nouvel album signé Earth a toujours une saveur particulière : après tant d'années passées à parcourir le désert, Dylan Carlson en atteint-il finalement les limites ? Ce voyage à travers le sable et la chaleur et la solitude admet-il simplement le concept de fin ? Alors qu'il s'est embarqué, avec réussite, dans un projet solo l'an dernier, Carlson retrouve la batteuse Adrienne Davies (clairement le second pilier du groupe, en place depuis 2001) pour un album tout ce qu'il y a de plus minimaliste et envoûtant.
Datura's Crimson Veils ouvre l'album et pose d'emblée les bases qui constitueront les neufs titres suivants : le tracé que nous propose Carlson pour cette nouvelle escapade dans les contrées sauvages se trouve quelque part entre le chemin de Conquistador (l'album solo de Carlson) et celui de The Bees Made Honey in the Lion's Skull. C'est donc une guitare plutôt accueillante qui nous ouvre la voie sur Datura's Crimson Veil, mais qui garde néanmoins une aura lointaine un peu menaçante, sans trop qu'on puisse savoir de quelle menace il peut bien s'agir. Carlson démontre une fois de plus la facilité avec laquelle il sait construire de véritables paysages sonores avec très peu d'artifices : les morceaux de Full Upon Her Burning Lips se construisent autour de quelques riffs répétés et enrichis mais jamais une once de lassitude ne guette l'auditeur. Lorsqu'on regarde un feu de cheminée, chaque seconde semble différente et pourtant le feu reste lui-même ; il en va de même pour chaque titre : rien ne change vraiment et pourtant rien n'est exactement pareil. Cats on the Briar n'est composé que d'un seul riff étiré sur près de cinq minutes (un deuxième apparaît sur la toute dernière partie) mais il suffit de fermer les yeux pour perdre toute notion de temps et ne plus savoir si on écoute le titre depuis deux, cinq ou dix minutes.
Cette notion d'évolution par minuscules touches, d'infimes variations dans la progression des morceaux n'est pas uniquement valable pour la guitare. Derrière ses fûts, Adrienne Davies propose un jeu tout en finesse et en retenue, et reste capable de marquer un peu plus sa frappe les passages un peu plus rugueux (The Colour of Poison, The Mandrake's Hymn). La caisse claire (et les peaux en général, d'ailleurs) sonne très sèche tandis que les cymblales scintillent nettement plus. Et ce décalage entre des coups marqués sur les temps et les évasions plus célestes sur les habillages donne un cachet unique aux parties de batterie. Du fait de la lenteur du tempo, de ce travail sur le son et de l'utilisation toujours intelligente des cymbales, on traverse l'album avec la sensation de s'échapper, de flotter entre les temps, ce qui rend encore plus prégnante cette capacité d'envoûtement qui fait la charpente de Full Upon Her Burning Lips.
Minimaliste et envoûtante, la musique d'Earth l'est depuis ses débuts. Les émotions procurées, elles, ont varié, se sont diversifiées, mais l'aspect hypnotique et répétitif demeure intact. Et c'est fidèle à cette ligne de conduite possiblement immuable que le groupe sillonne regs et déserts faisant fi de l'agitation du monde qui existe sans doute aux confins de ces étendues arides, espérant que le voyage n'ait jamais de fin. Peu de groupes parviennent à rester intéressants en ne proposant qu'un itinéraire différent dans un panorama déjà connu. Et pourtant, après trente ans d'une carrière avec une ligne directrice étroite et respectée à la lettre, Earth se paie le luxe d'être toujours aussi fascinant.
Tracklist de Full Upon Her Burning Lips :
01.Datura's Crimson Veil
02.Exaltation of Larks
03.Cats on the Briar
04.The Colour of Poison
05.Descending Belladonna
06.She Rides an Air of Malevolence
07.Maiden's Catafalque
08.An Unnatural Carousel
09.The Mandrake's Hymn
10.A Wretched Country of Dusk
