"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Voilà un nouveau « super-groupe », encore un dira-t-on, et à chaque fois, le résultat se situe d’un côté ou d’un autre : soit c’est un pétard mouillé, soit c’est plutôt pas mal mais loin du truc ultime qu’on pourrait attendre d’une réunion de musiciens chevronnés. C’est une des sempiternelles petites histoires du Metal. Voilà donc au programme de Tronos un nouveau regroupement de musiciens reconnus, cette fois-ci sous forme de Power-Trio aux deux tiers anglais. Tronos rassemble ainsi Shane Embury (Napalm Death, Lock-Up…), le batteur belge Dirk Verbeuren (Scarve, Megadeth…), ainsi que Russ Russell que l’on retrouve avec Shane dans Absolute Power depuis 2006, mais qui est surtout connu pour ses activités de producteur (At The Gates, Dimmu Borgir, Evile, Lock-Up, Napalm Death, Vallenfyre entre beaucoup d’autres). Russell et Embury se connaissent bien et collaborent de longue date donc ce projet commun est finalement tout sauf une surprise, et l’intégration de Verbeuren est également un bon point. On a vu plus impressionnant comme line-up de « super-groupe » certes, mais Tronos va bien se placer dans la catégorie des nouveaux groupes formés par des musiciens reconnus en leur scène qui vont un peu toucher à autre chose. Et en réalité Tronos ne se limite pas forcément à ce trio… Embury et Russell se partageant ici les guitares et les vocaux, il fallait un bassiste pour compléter le travail sur Celestial Mechanics. Et plutôt que de prendre un simple bassiste de session, Tronos a choisi de convoquer du lourd : on retrouvera donc, pour enregistrer les parties de basse de cet album, trois beaux noms : Billy Gould (Faith No More, Brujeria), Troy Sanders (Mastodon, Killer Be Killed) et Dan Lilker (Nuclear Assault, Anthrax, Brutal Truth, S.O.D., etc.). Un peu des potes sachant que Embury et/ou Russell les ont généralement croisés dans divers groupes (notamment Venomous Concept), mais ça en jette. Ajoutez à ça un guest de Denis « Snake » Bélanger de Voïvod, et Tronos commence effectivement à ressembler à un vrai « super-groupe » sur le papier. Qui plus est, se retrouve chez Century Media dès son premier album. Alors, nouveau pétard mouillé, nouveau truc juste sympatoche, ou cette fois-ci, projet vraiment révolutionnaire et garanti 100% talent ? Une réponse que l’on n’attendait peut-être pas…
Déjà, malgré son pedigree apparent, je trouve que Tronos n’a pas beaucoup fait parler de lui au moment de la sortie imminente de Celestial Mechanics. Je n’ai moi-même découvert le projet que par le biais du clip de "Judas Cradle" tombé au beau milieu de mon fil d’abonnements YouTube. Publié par Century Media, le temps de regarder le line-up en description… une écoute juste curieuse et c’était donc parti. Je dois avouer m’étonner que certains « influenceurs » du Metal (ce qui n’est pas péjoratif) n’en aient pas parlé plus que de raison, tant le line-up et le style pratiqué sont pourtant très prisés chez certains amateurs d’une certaine scène « old-school ». Du style parlons-en vu que Tronos pratique un genre que l’on n’attendait pas forcément de la part d’Embury et Russell qui ont souvent œuvré dans le Death/Grind, tout du moins le Metal extrême. On sentira certes un peu de Napalm Death dans le fond et la forme de Celestial Mechanics, mais c’est vraiment tout vu que Tronos évolue dans une sorte de Sludge progressif un brin psychédélique (forcément). Grosso-modo entre Mastodon, Voïvod et Killing Joke, logique vu le line-up présenté guests compris, pour le Sludge je manque de références mais le côté poisseux du style est bien là. Une production baveuse, très années 90 mais aussi extrême (on sent la patte de Russell et aussi les relents de Napalm Death), surplombe un Metal écrasant et glauque mais aussi groovy, avec des vocaux plutôt glaireux et possédés (et un peu trafiqués). Tronos oscille également entre compos plutôt couillues, passages lancinants et moments plus feutrés qui laissent entrevoir pas mal de progressions. Et on y retrouvera aussi de purs moments psychédéliques assez perchés, le style a aussi le vent en poupe (avec notamment Wolvennest ou Waste Of Space Orchestra) et Tronos ne déroge pas à la règle, à sa manière. Rien d’exceptionnel en apparence, mais Tronos a bien digéré toute cette mixture et la régurgite avec talent et application. Car un Metal Sludge/Psyché pondu par des maîtres du Deathgrind avec des guests de renom, ça donne finalement quelque chose d’assez énorme. Tronos n’est pas un « super-groupe » comme les autres et Celestial Mechanics va le montrer.
Après une micro-intro enfumée, "Walk Among the Dead Things" lance le bousin et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on se retrouve directement englué dans une grosse mélasse. Riffs lancinants et boueux, production râpeuse, chant éraillé, refrain aux atmosphères déjà assez monumentales, Tronos assume dès le départ ses aspirations Sludge et le fait façon parpaing. On a certes vu plus lourd ailleurs, mais Tronos sait se montrer pesant d’emblée, posant déjà ses particularités avec notamment des interventions en chant féminin de Erica Nockalls. Sans énormément de chichis, le groupe arrive déjà à arborer des couleurs psychédéliques et progressives très convaincantes, malgré des compos ayant un air de déjà-entendu (si vous êtes friand des projets de Shane Embury et des productions de Russ Russell, vous serez en terrain connu même s’il vous faudra chausser de bonnes bottes en gomme). Après un final varié et passionnant, arrive ensuite ce qui est déjà la grosse sensation de Celestial Mechanics, le single "Judas Cradle". Avec des progressions saisissantes agrémentées de compos mortelles et de lignes de chant envoûtantes, Tronos fait exploser avec ce morceau tout son terrible potentiel. Très sale mais très groovy, très sombre mais très aérien, Tronos a trouvé une sorte de formule magique qui transforme un banal Sludge un peu plus travaillé que la moyenne en monstre de Metal psyché-progressif. La performance sera donc au rendez-vous et Celestial Mechanics sera une grande réussite. Qui va d’ailleurs se permettre d’aligner quelques bonnes tueries au format coup-de-poing accrocheur. Avec déjà l’hyper efficace "The Ancient Deceit", gros hit punchy de Sludge groovy des familles, dissonant et agressif ; et "Birth Womb" dans la même lignée avec des riffs mordants et toujours ce simili-Killing Joke fait par des Napalm Death ; ou encore dans un autre registre le colossal "A Treaty With Reality" qui écrase sec et cogne dur. Le trio (avec ses copains) est très inspiré et ça se sent, avec à la clé des compos souvent dévastatrices, peu importe le rythme, pas forcément toujours lent d’ailleurs, ce qui est d’ailleurs un plus. A mettre au crédit d’un Celestial Mechanics vraiment excellent et complet, qui va encore réserver d’autres surprises…
On a donc au programme de Celestial Mechanics du Sludge bien percutant mais aussi un ensemble triturant les termes « progressif » et « psychédélique », et souvent les deux à la fois. "The Past Will Wither and Die" sera donc bien perché et enfumé, avec un chant masculin plus clair mais encore plus possédé, qui laissera place à des riffs appuyés à nouveau monumentaux et autant dire que c’est un sacré trip, aboutissant à un final en chant masculin/féminin absolument formidable. L’œuvre la plus marquante de Tronos, qui va continuer à s’amuser avec notre cortex avec le transitif bien aéré mais toujours possédé "Voyeurs of Nature’s Tragedies" (avec même du violon, assuré par Erica Neckalls itou), le plus classique mais bien troussé "Premonitions" entre mélopées et lourdeur, mais surtout le final tout bonnement fantastique qu’est "Beyond the Stream of Consciousness", véritable ascension vers la lumière irrésistible avec un chant féminin plus prenant que jamais. Quoique Celestial Mechanics n’est pas tout à fait fini vu qu’on retrouve en bout de course une reprise de "Johnny Blade" de Black Sabbath, avec Snake au chant, une reprise sympathique mais très proche de l’originale donc peut-être un peu… hors-sujet ? Bref, ce n’est pas bien grave, car pour le reste, Celestial Mechanics est pour moi une réussite totale. Russell, Embury, Verbeuren et leurs invités de marque ont trouvé une formule qui marche à merveille, un Sludge progressif à la fois terriblement efficace et génialement psychédélique, avec des compos détonantes et des aspérités qui font mouche, amenant à des moments de grâce. On peut regretter quelques influences trop voyantes ou encore une sonorisation discutable (le mastering n’est pas très fort), mais ce Metal psyché finalement assez old-school dans l’esprit convainc très facilement dans le fond et la forme. Je ne suis peut-être pas forcément « bon client », n’étant pas forcément aficionado de Sludge de manière générale, mais Tronos m’a totalement conquis de par son côté psyché débridé et groovy qui fait en deux temps trois mouvements mieux que certaines formations du « style ». Tronos n’a pas énormément fait parler de lui, à vous de voir si le jeu en vaut la chandelle et s’il faut répandre sa parole. Suffisamment traditionnel et innovant à la fois, Celestial Mechanics est une bonne bombe de Metal boueux mais travaillé, percutant et envoûtant, et montre enfin un « super-groupe » hors des sentiers battus qui a réussi quelque chose d’assez énorme. Une fois n’est pas coutume… et dans tous les sens du terme, c’est du lourd.
Tracklist de Celestial Mechanics :
1. Walk Among the Dead Things (7:48)
2. Judas Cradle (6:41)
3. The Ancient Deceit (2:57)
4. The Past Will Wither and Die (7:19)
5. A Treaty with Reality (3:08)
6. Voyeurs of Nature's Tragedies (2:56)
7. Birth Womb (3:40)
8. Premonition (5:01)
9. Beyond the Stream of Conciousness (3:34)
10. Johnny Blade (Black Sabbath cover) (6:22)