"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Un nom de groupe. Une pochette. La longueur des morceaux… Souvent, grâce à 3 fois rien, on se fait vite une idée sur la musique que peut cacher un album d’une nouvelle formation. Une reprise qui se glisse dans la tracklist, le label, une particularité du line-up… nous permettent de creuser avant d’aller chercher à écouter ce que ça donne au final. Mais certains cas sont toujours plus complexes que prévu. Heaume Mortal, voilà déjà un nom intriguant qui mélange français et anglais, mais le groupe est bien français. La pochette quelque peu impressionniste, évoquant des paysages froids, nous ramène à ce qui peut se faire dans le Black atmosphérique ou même Pagan. Les morceaux sont plutôt longs… On a donc bien affaire à du Black atmo ? Une reprise de Burzum figure au menu, et le label n’est d’autre que Les Acteurs de l’Ombre qui nous a habitué à de bonnes trouvailles dans le genre. On touche donc au but, mais le line-up nous ramène à quelque chose de plutôt éloigné de Burzum ou de n’importe quel groupe de BM des bois enneigés. Heaume Mortal regroupe en effet deux membres du groupe de Sludge/Black Cowards, le chanteur Julien et notamment le bassiste Guillaume ici multi-instrumentiste (laissant la batterie à Jordan Bonnet), Guillaume qui s’est aussi distingué, en outre d’un passage chez Glorior Belli en tant que bassiste Live, au sein d’Eibon une des pointures du Sludge/Doom parisien. C’est là que tout va se complexifier car Heaume Mortal, avec les influences de ses musiciens qui se situent de prime abord dans le Sludge (malgré des accointances avec le Metal extrême), va effectivement donner dans un Black plutôt atmosphérique… mais à sa manière. Ne gardons pas le suspense plus longtemps, mais Heaume Mortal semble justement se situer précisément entre le Black Metal décharné de Burzum, une influence totalement revendiquée (et la reprise présente dans l’album ne trompe pas), et le Sludge/Doom bien poisseux d’un Eibon. Surprenant, et déjà bien éloigné de ce qu’on pouvait attendre à la première approche, sur la stricte forme, de ce groupe.
Solstices se lance maousse costaud avec un pavé d’entrée, "Yesteryears", plus long morceau de l’album du haut de ses treize minutes trente. Et il n’y a pas d’intro même petite pour nous mettre dans l’ambiance, enfin, on se met dans l’ambiance malgré tout… directement au son des riffs bien poisseux. Heaume Mortal pratique un Black-Metal très rêche et râpeux, accompagné d’un chant archi saturé. C’est du sale, et ça sent le Sludge bien crade et désenchanté si cher à la scène parisienne à des kilomètres au-delà du périph’. Un esprit Sludge dans la forme appliqué à du Black/Doom très pesant et noir, où les atmosphères parviennent malgré tout à s’exprimer. "Yesteryears" est d’ailleurs d’emblée un beau patchwork de ce que Heaume Mortal est capable de produire. Les riffs écrasants laissent bien vite place à des dissonances boueuses, montrant le panel d’influences que peut avoir le groupe, lorgnant ici vers la noirceur du Blut Aus Nord le plus glauque. Le mélange est déroutant et brasse assez large, entre du Sludge/Doom et du BM bien cradingue et décharné, et montre vite ses dispositions au sein d’un premier morceau-fleuve assez passionnant, qui se laisse aller à quelques moments d’ambiance plus noisy notamment pour son break central. Un break suivi d’une seconde partie assez dépressive, où Julien s’égosille méchamment sous la tonne de réverb et où on commence à se rapprocher de l’autre influence notable de Heaume Mortal qu’est Burzum. Dans une version un peu plus moderne et mâtinée de la saleté du Sludge/Doom parisien. La mixture Heaume Mortal réussit déjà à prendre, alignant les compos hyper lourdes s’enfonçant dans un tempo pachydermique, et proposant ainsi un Black/Doom ultra rugueux et particulièrement pesant. Et dès le court mais efficace "South of No North", qui sert surtout d’introductif à "Oldborn", Heaume Mortal va partir dans la plus absolue l-o-u-r-d-e-u-r en alignant de très agressifs riffs format parpaing. Eibon commence à ressortir, et "Oldborn" tape là où ça fait mal, distribuant pendant douze minutes trente de bons gros coups de poing à qui veut, une lente et lancinante torture physique qui s’aère juste ici et là par de subtils trémolos mélodiques et d’autres surprises (comme de courtes incursions acoustiques, encore des breaks noisy, des samples, un chant clair lointain ou encore un final très épique avec des solos !). Même si vous avez mis votre heaume, la force de frappe est mortelle…
On a déjà passé la partie la plus cossue de ce Solstices de près d’une heure, et Heaume Mortal nous a réservé quelques surprises pour la seconde partie de l’album. Et l’on en revient à une des premières approches que l’on pouvait avoir sur cet album, qui sera finalement très parlante… la reprise. Vu qu’ici, Heaume Mortal a choisi de reprendre "Erblicket die Töchter des Firmaments" de Burzum (issu de Filosofem), dans une version 100% Heaume Mortal c’est-à-dire avec une grosse couche de Sludge/Doom et des vocaux saturés à l’avenant, encore plus que pour la version originale (!). Et l’œuvre de Varg de 1996 s’en retrouve transformée et même sublimée, son passage à la louche graisseuse fonctionnant à merveille. Et dans cette lignée, "Tongueless (Part III)" montre un Heaume Mortal qui choisit maintenant de prendre la direction d’un Black-Metal plus strictement atmosphérique, avec des mélodies et structures à l’avenant, même si le côté Sludge/Doom baveux conserve ses droits pour quelques riffs bien crus et toujours pour le chant. On oscille donc en permanence entre Burzum et Eibon, et les deux vont encore magistralement se rejoindre à l’occasion du final totalement ambiant de Solstices, "Mestreguiral", qui évoque bien évidemment certains travaux ambiants de Varg mais aussi… le final ambiant de "Elements of Doom" qui clôturait II de Eibon. La boucle est bouclée est tout est dit. Solstices est donc un premier album qui réussit nettement à faire ce qu’il assume faire, poursuivre les travaux d’Eibon mais aussi élargir les influences BM qu’il y avait derrière, laissant donc l’occasion à Guillaume de poser ce qu’il voulait faire dans ces domaines. Cohérent, Solstices n’en est pas moins déroutant, il faut comprendre à quoi on a affaire pour vraiment se plonger dedans (sachant que pour ma part ma connaissance de la scène Sludge/Doom sous-jacente était assez limitée). Cet album n’est pas non plus dénué de longueurs, et c’est avant tout le « mélange » qui est original plutôt que les compos. Il faut donc aimer ce style de Black/Doom particulièrement poisseux avec son chant over saturé, mais une fois la mixture assimilée, on apprécie ce contraste intéressant et prenant entre riffs hyper lourds sentant la crasse de la capitale et ambiances descendant du froid Norvégien. C’est sûr, au tout premier abord, on ne s’attendait pas vraiment à ça…
Tracklist de Solstices :
1. Yesteryears (13:38)
2. South of No North (2:10)
3. Oldborn (12:30)
4. Erblicket die Töchter des Firmaments (Burzum cover) (7:23)
5. Tongueless (Part III) (12:38)
6. Mestreguiral (9:45)