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« Le monde est une pourriture sans nom où les gens sont hypocrites jusqu’aux os »
A.B
Hypocrisie. Guerre. Destruction. Chaos. Néant. Humanité.
Aussi futile puisse être l’existence quand la vie ne semble pas vouloir sourire, l’humain et ses traits de caractères infiniment paradoxaux seront et resteront toujours d’éternels débats conceptuels pour quiconque veulent exposer une thèse sur ce qu’il pense être l’homme. Les artistes en sont l’une des branches, et la musique une autre division encore. Les musiciens, à travers un dédale de sentiments et de notes, sont un conducteur idéal pour étaler une critique ou un constat d’une humanité courant directement à sa perte. Souvent affiliée au black métal, la misanthropie n’en est pas esclave, et des courants musicaux moins directement radicaux empruntent aujourd’hui ce chemin si chaotique qui est celui de notre propre fin.
Nightmare avait déjà proposé un contenu textuel vindicatif avec son septième album "Genetic Disorder". Il arbore actuellement un visage plus mélancolique, plus sombre et désespéré, que la violence ne désigne plus, mais souligne, comme si la bataille était déjà perdue.
Nightmare…souvenons-nous, dans notre mémoire défaillante…dans les lointaines années 80…puis ce retour, et ces albums appelés à devenir références, "The Dominion Gate" et "Genetic Disorder". Souvenons-nous, ce métissage des genres, cette puissance de plus en plus thrash s’entremêlant si harmonieusement avec les mélodies héritées d’un heavy métal originel et pur, parfois caressé par la grâce d’ambiances symphoniques ou modernes, dont la richesse n’avait d’égale que la beauté qu’elles dégageaient des compositions.
A l’heure de l’"Insurrection", notre cauchemar national prend une nouvelle teinte. Le visuel tout d’abord, foncièrement moins directe mais si sombre, dévoilant un paysage déjà dévasté, en proie à cette sainte annihilation que l’on nomme la guerre. La puissance est toujours présente, écrasante, jouissive, dantesque mais le fond s’est noirci, en perdant de sa violence pour acquérir de la noirceur.
"Eternal Winter" ouvre le bal sur un mid tempo au riff omniprésent et massif. La production est une nouvelle fois limpide de puissance, claire et un premier lead mélodique fait rapidement taire les doutes quand à offrir un successeur à "Genetic Disorder". Le chant de Jo Amore retentit, grandiose, enlevé, magique. Mais c’est ce texte qui surprend, vide et froid, cet hiver éternel que nous offre Nightmare, cette froideur et cette mélancolie parachevées par un refrain lent et emplie de spleen, magnifique de beauté et de grandeur, tandis qu’une ligne de basse monstrueuse lacère le cerveau de l’auditeur, aidé par ce riff simple mais tellement tranchant. Une entrée troublante, curieusement onirique mais pourtant si noire et malheureusement si réaliste d’un monde qui se meurt, qui se termine sur un arpège splendide et une envolée magistrale d’un Jo qui démontre une nouvelle fois qu’il est bel et bien l’un des meilleurs vocalistes du genre (quel genre… ?).
Mais là où "Eternal Winter" laisse la place à la mélancolie, les éléments thrash reprennent rapidement le dessus sur la suite, pour transformer le constat premier en un champ de bataille aussi jouissif que destructeur. "The Gospel of Judas", laissant de nouveau l’apparition au chant black d’Yves Campion (aidé par l’épileptique Fabrice Emmanuelson d’Ellipsis), nous entraine dans une spirale de tourmente, notamment sur un refrain étonnant fusionnant les deux chants à un lead mélodique rapide et incisif d’un Frack Milleliri ayant pris une nouvelle ampleur depuis le départ d’Alex. Un break extrêmement lourd et taillé dans un roc d’agressivité hypnotise alors que Jo s’envole de nouveau, sa voix prenant une nouvelle dimension dans ce nouvel album produit Achim Köhler.
Une voix…unique et si identifiable. "Mirrors of Damnation" s’ouvrant sur un riff qui serait capable de faire oublier "Leather Rebel", laisse Jo placer des vocaux hurlés d’un niveau technique relativement hallucinant, qu’un certain Rob Halford était jadis l’un des seuls à maitriser.
Une puissance quasi divine se dégage de cet album, une force de frappe qui surprend de plus en plus à chaque écoute, des riffs qui se font plus intéressants et originaux à chaque nouvelle plongée. Là où "Genetic Disorder" avait mis en avant une grande technique, Insurrection, sans jamais délaisser une dextérité musicale de tous les instants, lui préfère une simplicité d’expression permettant à certains refrains de s’exprimer pleinement. Le cas de "Angel of Glass" ou du déjà culte "Legions of the Rising Sun" en est le parfait archétype. Un riff simple, pesant et mélodique déboulant rapidement sur un refrain à la double pédale entêtante, laissant une nouvelle fois Jo placé des vocaux gorgés de feeling, sur lesquelles se pose une unique et précieuse phrase en français, comme un symbole de racine qu’ils n’ont jamais renié.
Comme une offrande, au milieu d’une orgie de riff et d’agressivité si sublime (qui, mis à part Nevermore, parvient à donner vie à une telle symbiose actuellement ?), "Three Miles Island" se veut l’expression d’un groupe refusant l’immobilisme musical pour déployer des trésors d’inventivité le long de neuf minutes prenant la forme d’une longue montée vers des cieux déjà déchus. Atmosphérique (composé en partie par Franck), latente, une mélodie hypnotique se répète, inlassablement. Des samples oppressants, militaires, humains, arrivent progressivement…puis ce riff, le riff…tellement jouissif, puissant, tranchant, pour exploser sur une base rythmique n’ayant plus rien de heavy mais lorgnant dangereusement vers les contrées d’un Arch Enemy ou d'un Megadeth qui auraient de nouveau visité l’Olympe. Une nouvelle critique d’une humanité en proie à une technologie autodestructrice résonne en même temps qu’une performance sombre et grave de Jo, et de ces riffs tous plus inspirés et monstrueux les uns que les autres.
Nightmare réalise une nouvelle fois l’album presque parfait, aidé par un chanteur définitivement exceptionnel (sa performance sur "Target for Revenge" démontre qu’il est capable de tout chanter) et une envie de continuellement se renouveler. Si l’incroyable surprise de "Genetic Disorder" est en partie atténuée, la qualité intrinsèque n’y change rien et fait de cet "Insurrection" un joyau en devenir. Un joyau dans lequel rien ne serait à jeter, dans lequel on pourrait lire et relire des textes sombres et pessimistes, mais si cruellement d’actualité, dans lequel, l’espace d’une heure, nous oublierions le monde dans lequel nous vivons pour ne devenir que modeste auditeur, afin de se perdre dans une dimension dangereuse mais si fatalement attirante. Douce tentation…le réveil n’en sera que plus dur…
« Les yeux mouillés, je regarde le ciel profondément. Que vois-je ? Une infinité sans couleur, immaculée. Un parfait néant. Vide, sans existence, dans un délicieux silence ... »
A.B
1. Eternal Winter
2. The Gospel of Judas
3. Insurrection
4. Legions of the Rising Sun
5. Three Miles Island
6. Mirrors of Damnation
7. Decameron
8. Target for Revenge
9. Cosa Nostra (Part I)
10. Angels of Glass