"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
L’Islande vous manque déjà ? Eh bien on va illico y retourner. Car à peine a-t-on eu le temps de se remettre du très mystique et complexe premier album de Kaleikr, que voilà Sinmara qui va repointer le bout de son nez avec son deuxième full-length. L’autre ou plutôt le groupe principal de Garðar S. Jónsson qui nous avait retourné l’esprit avec le très astral Almyrkvi, un des formations les plus originales de la très rugueuse scène Black-Metal islandaise. Sinmara, qui regroupe d’autres contributeurs à Almyrkvi (la totalité du line-up de Sinmara s’y retrouve sur scène d’ailleurs) et Slidhr ainsi que Þórir Garðarsson guitariste de Svartidauði, est lui plus terre-à-terre, à l’image du BM islandais et de l’Islande tout simplement : bouillonnant et glacial, terreux et raffiné. Le groupe a débuté en 2008 sous le nom Chao, mais c’est depuis 2014 sous le nom Sinmara que la formation a décollé, avec un premier album, Aphotic Womb. Un peu moins « true » que ne peuvent l’être Svartidauði, Naðra ou bien évidemment Misþyrming, Sinmara n’en est pas moins un groupe de Black-Metal très organique et incisif. Aphotic Womb avait même une petite touche « chaotique », avec notamment des morceaux assez violents comme "Verminous". S’il n’a pas causé autant d’effervescence que le Söngvar Elds Og Óreiðu de Misþyrming pourtant sorti un an plus tard, nous tenions ici, et d’ores et déjà, un des meilleurs albums de la scène Black-Metal islandaise, inspiré et efficace, et bien évidemment très noir, typique de ce que produit la terre de feu et de glace dans son underground le plus actif. Et alors que Almyrkvi a pu se dévoiler de son côté au grand jour depuis 2016 et l’EP Pupil Of The Searing Maelstrom, il est temps que Sinmara refasse surface. Outre un split avec… Misþyrming, il ne fallait tout de même pas passer à côté de l’excellent EP Within The Waves Of Infinity sorti en 2017, où Sinmara dévoilait une autre partie de son spectre avec notamment une influence Mgła assez prégnante et surprenante. Mais c’est bien avec un nouvel album que Sinmara va succéder à Kaleikr au sein du petit catalogue d’albums de BM islandais auquel nous avons droit en ce début d’année 2019. Une signature chez Ván Records, le label où crèche déjà Alymrkvi, et nous sommes partis pour un nouveau trip en Islande avec les 6 compositions de Hvísl Stjarnanna.
Après un Aphotic Womb assez brut, Sinmara va donc quelque peu évoluer, puisant dans ce qu’il avait proposé sur Within The Waves Of Infinity mais se servant aussi des travaux d’Almyrkvi. Oh, on ne va tout de même pas encore une fois regarder vers les étoiles à travers les aurores boréales mais filmées en noir et blanc. Hvísl Stjarnanna sera un album à nouveau relativement terre-à-terre et finalement assez classique, mais tout de même plus lumineux et moins bastos et funéraire que Aphotic Womb. On retrouve, de toute manière, la plupart des caractéristiques du Black-Metal islandais, que ça soit dans ce grain de guitare semi-mélodique, une section rythmique très rêche et organique, un chant rocailleux et arraché, et une certaine complexité des compositions. A nouveau, c’est du Metal forgé dans les roches et la cendre. Sinmara est tout de même un peu plus « propre » que bon nombre de ses compatriotes extrêmes, Svartidauði en tête. Hvísl Stjarnanna sera donc un album qui va partir à la quête d’un équilibre certain et inédit, suffisamment terreux et cru mais tout de même assez atmosphérique et enlevé. Les assauts souvent tranchants et torturés de Aphotic Womb ne sont presque plus, Hvísl Stjarnanna prend même une direction souvent épique, sans se réinventer totalement. Une belle évolution pour Sinmara, qui est en passe de livrer un album sacrément complet. Et cela démarre par l’intro très sidérante de "Apparitions", qui laisse bien vite place à des riffs inquiétants et monumentaux et une batterie assez tribale, témoignant de l’héritage du style Almyrkvi. Une belle montée en puissance pour démarrer, qui pose avec brio le style du Sinmara v.2019, avec des compos complexes oscillant entre riffs rugueux et trémolos épico-occultes. L’inspiration est à nouveau au rendez-vous, avec déjà de petits moments de grâce, et Sinmara semble mieux que quiconque mener le BM islandais à la perfection, nous emmenant facilement dans un tourbillon de mélodies décharnées, un siphon infernal, qu’il soit formé de lave bouillante ou d’eau glaciale. Encore une fois, une formation qui met bien en musique extrême tous les contrastes et paradoxes de l’Islande…
Le premier single "Mephitic Haze" poursuit l’effort et déjà, Sinmara se montre sous un jour particulièrement gracieux malgré tout le background BM bien terreux et même encore quelque peu chaotique, et les trémolos tournoyants et mélodies enlevées sont envoûtants à souhait, avec quelques leads franchement somptueux amenant à un final totalement atmosphérique très enivrant. Si "The Arteries of Withered Earth", plus direct et incisif et lorgnant à nouveau vers un Mgła aux structures complexes à la Kaleikr, nous ramènera un court moment dans les cavernes (malgré encore une certaine emphase sur les leads), la suite de Hvísl Stjarnanna va ensuite progresser vers un registre de plus en plus épique. Avec déjà le très enlevé "Crimson Stars", bardé de mélodies tour à tour désespérées et lumineuses, pour un ensemble devenant vite sidérant et fantastique, avec d’autres moments de pure grâce. Du bel œuvre prolongé par "Úr Kaleik Martraða" où Sinmara donne vraiment tout ce qu’il a en termes de mélodies libératrices, pour un morceau encore très prenant avec un souffle épique assez impressionnant. Et sans transition Hvísl Stjarnanna se clôture déjà sur son morceau-titre qui poursuit cet étalage assez savoureux de mélodies à la fois très sombres et très atmosphériques, avec une dernière fois une dimension épique insoupçonnée de la part du groupe qui avait enfanté Aphotic Womb il y a cinq ans. Si vous attendiez un groupe volcanique, on se retrouve à nouveau avec un groupe côtier. Bien que Sinmara sonne résolument islandais à chaque moment de Hvísl Stjarnanna, il en est assurément devenu la formation la plus épique, se servant bien d’une certaine science des leads et trémolos pour proposer un album très enivrant bien que toujours rugueux. On pouvait peut-être attendre autre chose après Aphotic Womb et Within The Waves Of Infinity mais Sinmara a parfaitement négocié son petit virage. S’il n’est pas exempt de légères longueurs et redondances, bien qu’on en fasse paradoxalement vite le tour, Hvísl Stjarnanna n’en est pas moins réussi et pas loin du tour de force. Un album assez majestueux qui doit malgré tout être confirmé, d’autant que les influences sont encore palpables là-dedans, mais un album vraiment prenant et convaincant de bout en bout de la part d’un Sinmara très inspiré, en passe de devenir une des formations les plus en vue de son microcosme si ce n’est déjà le cas. Il s’agit à nouveau de se laisser emporter par le charme islandais de l’ensemble, mais si l’on est prêt à faire ce voyage voguant entre différentes températures et niveaux de lumière, c’est un véritable bonheur empli de grâce et de grande classe.
Tracklist de Hvísl Stjarnanna :
1. Apparitions (7:24)
2. Mephitic Haze (7:30)
3. The Arteries of Withered Earth (5:50)
4. Crimson Stars (6:58)
5. Úr Kaleik Martraða (7:22)
6. Hvísl Stjarnanna (7:14)