Why not ?
Bruce Soord, tête pensante du groupe The Pineapple Thief, a senti qu'il était temps de rassembler les forces de son groupe pour proposer un nouvel album en 2018. Pour rappel, leur dernière sortie datait de 2016 et s'appelait Your Wilderness. L'album sentait le voyage, le road trip et les grands espaces. Ici, on change radicalement de perspective. Dissolution plonge dans les tristes méandres des relations humaines et de couple plus particulièrement. Et pas besoin de sortir les grandes explications pour vous dire que cela ne va pas bien finir.
Dès la pochette, ses couleurs grises, noires et blanches et son graphisme de télévision qui se brouille, on sent une atmosphère lourde et pessimiste. Les titres des chansons font subtilement référence à ces moments difficiles de la vie, et ces petits conflits parfois mesquins : Not Naming Any Names, Threatening War. La première étant une introduction, elle nous met directement dans l'ambiance : peu de musique, et un léger crescendo.
On se demande à quel point la musique va s'enfoncer dans cet axe ou bien prendre une voie différente et surtout comment elle va rendre compte de cette ambiance sans pour autant nous casser le moral au bout de deux minutes. C'est bien évidemment à ce moment que le génie et la sensibilité de The Pineapple Thief prend son envol. Rares sont les explosions dans le son, dans l'écriture, on pourrait le leur reprocher, ce genre d'émotions plates en permanence, mais tout est dans la finesse. Écoutez le pont et le refrain de Try As I Might, on a l'impression d'entendre le narrateur se dégonfler avec un son qui s'étire, peu de guitares, se questionner puis se regonfler avec une batterie plus forte et une guitare plus distordue. Le tout sans fioritures mais non sans technique.
On pourrait aussi lire dans Threatening War ce rendu des émotions humaines. Les phrases courtes et bien équilibrées des paroles de Bruce Soord sonnent comme un poème et ne lassent pas l'auditeur. On a parfois l'obligation de laisser ce dernier respirer et combler les blancs au besoin. Ici, on sent la guerre sourde, le narrateur s'en rend compte et joue les bravache : on monte d'une intro très soft à un refrain tout en distorsion et surtout la partie centrale est tordue à souhait, la batterie et les guitares s'entortillent. C'est la guerre après tout.
Le tempo ne s'emballe que rarement mais sur All That You've Got, il prend son envol. On remarquera que le chant, lui, reste égal à lui-même, tout en retenue. On est dans du rock prog après tout, il y a peu de fioritures ou de baroque. Ce sont surtout les instruments qui sont à l'honneur. Et là encore, de prime abord, on ne rentre presque jamais dans la démonstration. Il n'y a pas de shredding pour les fous de la six-cordes. On trouve plutôt des parties avec des tempi et des rythmes en syncope, remplis d'un groove bien particulier comme All That You've Got ou White Mist ou des moments tout en ambiances comme sur la partie centrale de Far Below avant une explosion de guitares qui joue au yo-yo avec les rythmes (alternant rapide et lent).
Comme dans tout bon disque à consonance progressive, il faut une chanson longue. Ici White Mist fait le job. Onze minutes. Un bon résumé de ce que Dissolution a à donner. On se perd parfois dans la mélodie qu'on a l'impression d'entendre à l'infini comme un écho. Les passages calmes nous portent loin même si le refrain nous fait redescendre. L'écriture collaborative de cet album se ressent, chacun ayant fait attention à ne pas se laisser distancer par les autres : on entend bien la basse, la batterie sait aussi jouer des percussions. Et pourtant personne ne tire la couverture à soi, après tout quand on est batteur de King Crimson, on pourrait se déclarer la caution célébrité de la bande. Ici, pas du tout.
The Pineapple Thief a rajouté un article devant son nom pour que l'on ne confonde pas ses initiales (PT à l'origine) avec celles de Porcupine Tree. Mais ils sont loin d'avoir besoin de point de comparaison. Dissolution prouve qu'ils sont capables de produire un disque riche en contenu et orienté. On se sent toujours près du sujet dans les émotions. Et c'est sûrement la marque d'un excellent groupe, quel que soit le genre. Être capable de faire passer des émotions. Même si dans ce cas, elles ne sont pas que positives. C'est drôle d'entendre « when did you lose control ? » dans White Mist et de penser que ce groupe ne le perd jamais. Voilà un album que tout fan de rock prog se doit d'écouter.
Tracklisting :
01. Not Naming Any Names (02:05)
02. Try As I Might (04:26)
03. Threatening War (06:37)
04. Uncovering Your Tracks (04:29)
05. All That You’ve Got (03:27)
06. Far Below (04:36)
07. Pillar of Salt (01:25)
08. White Mist (11:05)
09. Shed A Light (05:20)