Demilich + Spectral Voice @ Paris
Backstage - Paris
Définition urbaine du revival : quand les jeunes reprennent l’héritage laissé par les vieux, avec si possible l’envie d’aller plus loin que le simple hommage. Cependant, pour qu’il y ait revival, il faut que le genre soit mort dans un premier temps, puis qu’il renaisse dans un second temps. Ce n’est pas ce qui arrive au Death Metal, alors doucement mesdames messieurs les commentateurs. Mais il est vrai que les jeunes formations flanquées de la pancarte "Old quelque-chose" augmentent. Ces groupes investissent les divisions secondaires, laissées vacantes par les grosses machineries passées en Premier League depuis plus de 15 ans.
Si les jeunes font comme les vieux, c’est la conséquence d’une scène qui se développe, prend de l’âge, accumule les acteurs, et se diversifie. Certains vont sur les côtés, d’autres en avant, d’autres en arrière. Opportunisme, vraie volonté underground, peu importe ; le point à retenir est qu’en marge de ce phénomène Old, certains groupes morts depuis belle lurette refont surface et s’ajoutent à un underground bien plus attractif et viable pour eux que par le passé. C’est un revival au sens propre. Le groupe est exhumé.
Assurément, le statut de vieux groupe expérimenté, prenant de la bouteille avec l’âge, a ses avantages. Une place en tête d’affiche, avec de nouveaux spectateurs, qui vont en concert comme ils vont au musée. Une attention au vieux qui donne immédiatement une projection fantasmée et un caractère faussement véridique. La volonté de contempler le passé, alors que le contexte n’a plus grand chose à voir avec l’époque décrite. Reste à appuyer sur la rareté de l’événement pour finir d’emballer le paquet. Reformation de vieux groupe prêt pour envoi.
Pourquoi aller voir Demilich en 2018 dans ce cas ? Rien de neuf sur la table depuis 93 avec Nespithe, depuis vingt ans une chiée de groupes se sont appropriés le Tech Death et l’ont fait progresser : non, tous les voyants sont au rouge, sauf que ! Ce que Demilich a su conserver malgré les nombreux pillages, c’est son ambiance, son atmosphère, uniques. Difficile à définir précisément, le plus simple est encore d’écouter (tout est gratos sur le site du groupe). Sur scène, la vieille tambouille de 93 est-elle assez goûtue, une fois réchauffée au micro-ondes, en 2018 ? Au dernier Hellfest, ce n’était pas très bon, mais une nouvelle dégustation est prévue au Backstage. Avant le buffet, voici Spectral Voice, qui prépare les amuse-bouches.
Le Backstage est littéralement collé à gauche du Moulin Rouge. Deux spectacles très proches, mais diamétralement opposés. Après être entré, puis avoir passé le bar principal, les portes de la salle de concert se dessinent, tout au fond. Une fois franchies, on trouve le merch à gauche et la régie à droite, puis une descente vers la fosse, s’arrêtant devant une scène pas bien haute et pas bien large. Au jugé, hum, cinq par trois : les musiciens vont se partager une quinzaine de mètres carrés, maximum. Les éclairages sont exclusivement positionnés au fond et au dessus des musiciens. L’éternel et maudit poteau, propre aux petites salles est là, planté sur la gauche, vulgaire.
Les membres de Spectral Voice sont sur scène, ils préparent leur set. Installation de pédales, rideaux noirs ; rien de bien particulier, jusqu’à l’arrivée de deux cierges. Ils sont fichés de part et d’autre de la batterie, garnis de bougies. Les spectateurs déjà présents froncent les sourcils. Cinq minutes plus tard, le groupe fait feu. La régie éteint les racks et les dernières loupiotes qui traînent. La fumée est répandue avec profusion sur toute la scène. Seule l'aura des bougies éclaire le Backstage.
A ce moment, c’est le point de non-retour. Soit cette mise en scène est un énorme pétard mouillé et c’est la purge, avec des musiciens qui font pitié dans un concert interminable et bourré de malaise, soit c’est une magnifique rampe de lancement pour placer l’auditeur dans une introspection dont il ne reviendra qu’à la dernière note de l’ultime morceau. Pour sûr ce type de configuration est atypique pour un concert de Death. Le silence se fait, le public respecte. Voici Rotting Auras.
Quelle lourdeur mes aïeux. Chaque pick est un coup de hallebarde. Les deux gratteux sont assez statiques mais alimentent leur sciatique, d'après ce qu’il est possible de voir. Le batteur met des coups de caisse-claire tellement massifs qu’il est préférable de suivre les guitares. Les longs cris, voix et autres vocalises proviennent également de derrière les fûts. Dans l’obscurité, on dirait un … spectre avec des baguettes. Pour répondre à l’interrogation précédente : oui, tout le dispositif mis en place est un superbe tremplin pour se laisser intégralement happé par ce Death Metal lent et oppressant.
Le son est très approximatif en début de set, mais change à mesure que le concert s’égrène, pour devenir beauté. Rarement le son n’était passé de médiocre à excellent en si peu de temps. Le Backstage sait donc s’adapter. Les cent-cinquante / deux cents âmes présentes dans la fosse peuvent donc raser les murs dans de bonnes conditions. Car cette musique est malsaine. Cette ambiance est malsaine. En premier lieu, le groupe ne communique pas du tout avec le public, rien, nada. Ensuite, il n’y a pas grand chose à regarder sur scène, mise à part des bougies et des figures humanoïdes qui s’élancent, convulsent, possédées comme des pythies Grecques. Pas moyen d’esquiver la musique. Impossible de s’échapper de ces couloirs sombres et inhospitaliers. Clairement un Death Metal qui ne se partage pas avec son voisin.
Après Diffluence of Ruined Graves, une partie du public décroche et s’en va patienter avant Demilich. Ca passe ou ça casse. Pour les spectateurs toujours dans la marmite, ça continue de mijoter avec Terminal Exhalation of Being, piste du nouveau et tout premier skeud des Américains, qui marque un tournant tant ce morceau est au dessus des autres. Diversité, cohérence, lenteurs et boucles bien ficelées, il a tout. Parfois les guitares se muent et donnent l’illusion d’être d’autres instruments, comme des cloches ou des carillons. Plongés dans la crypte, six pieds sous terre, perdus, mais vivants. Le nom du groupe, Spectral Voice, n’est pas un hasard. Se laisser porter par la musique est agréable, mais parfois, le fantôme qui rôde se fait remarquer. Un chuchotement, une parole, qui hérisse les poils, puis plus rien, le tempo rapide éloigne la menace, avant de sentir à nouveau le danger à nos trousses, par un enchevêtrement malins de dissonances et de riffs rampants. Brrrr, il fait froid d’un seul coup.
Surprise en fin de morceau : l’entité devient humaine pour la première fois. "It’s our last song". Le groupe se permet de tuer le peu de luminosité qui reste en éteignant les cierges. Le Backstage est à présent totalement noir. Pour ce dernier morceau exclusif, il ne reste plus rien à commenter. Rarement un groupe de Death aura aussi bien joué la carte de l’introspection et de l’anxiété. L’enjeu majeur de ce concert était de savoir si les Américains étaient capables de retranscrire en concert, dans la vie réelle, l’imaginaire proposé sur CD. La réponse va plus loin : le groupe est encore plus massif et convaincant en live que sur album. Supplément merguez pour le reste de la tournée, obligé. S’il vous plait chers musiciens derrière Spectral Voice et Blood Incantation (oui), continuez de faire du Death Metal, personne ne vous dérange.
Rotting Auras
Thresholds Beyond
Diffluence of Ruined Graves
Terminal Exhalation of Being
** Nouveau morceau **
Comme s’ils montaient sur scène pour la première fois, les Finlandais branchent les jacks et font leur propres réglages. Il va encore une fois être question de Demilich sur Horns Up. Sauf qu’ici, changement de contexte car c’est une première. L’occasion de confirmer ou d’infirmer les qualificatifs que le groupe traîne derrière lui. Le premier est "contraste". Le cerveau du groupe, Antti Boman, est réputé pour être bon vivant. Souvent il tourne le Death Metal en dérision. Cette réputation se confirme dès les balances avec un test vocal 123456789 bien débile, entre-coupé de quelques vannes. Le Backstage est bien fourni à présent, sans déborder de spectateurs non plus, mais permettant à ceux ayant besoin d’un terrain de jeu étendu de s’amuser en fond de fosse.
La préparation est terminée, le groupe quitte la scène avant de revenir, pour de vrai cette fois. Acclamation depuis la fosse, Demilich embraye avec Inherited Bowel Levitation. Premier constat : le son est mauvais. Les rots et autres vocalises du père Boman sont inaudibles, les guitares sont cadenassées (le spectateur de droite n’entend que la guitare de droite, exclusivement). Fort heureusement, comme avec Spectral Voice, ça s’améliore drastiquement par la suite. Sans pour autant atteindre la qualité du précédent concert, la fin de set est bien plus appréciable que cette piètre entrée en matière.
S’il fallait résumer à une seule image la musique délivrée par les Finlandais : voyez un serpent blessé, qui rampe sur un sol putride, dans une pièce aux multiples aspérités, avec des murs gangrénés, qui suintent et fument une matière inconnue et visqueuse. Tout le budget "métaphore" de Horns Up vient d’y passer. Riffs tordus, rythme cadencé, convulsions, aller-retours incessants, le spectateur se fait balancer et secouer comme sur album. En live, la musique de Demilich est encore plus protéiforme, avec certains passages limite dansants, puis vient une suite de plans massifs et écrasants, tête la première dans le putride. Occasionnellement, un pit se forme, mais une poignée de mesures plus tard, les contrastes ne peuvent être tenus, et l’arène périclite. L’audience ne peut délivrer autant quelle en absorbe.
Sans grande surprise, c’est Nespithe qui sera passé à la moulinette dans son intégralité ce soir, à l’exception d’Erecshyrinol, remplacée par Two Independent Organisms, tirée des démos. Avec un unique album au compteur, difficile d’être versatile. Demilich rend hommage à l’intégralité de sa discographie, qui compte un seul album : non, ça ne marche pas, définitivement. Entre les morceaux, Antti Boman tourne la situation en dérision, conscient de la singularité de Demilich. En seulement trois ans d’activité (90 - 93), le groupe se forge sa légende. Une série de démos, un album, et puis plus rien. Ce soir le frontman nous l’assure, les Finlandais ont de la chair fraîche dans les cartons.
Retour au concert : Nespithe est certes joué en entier, mais pas dans l’ordre. La setlist est bien équilibrée, avec des titres un peu plus lents et moins alambiqués, placés judicieusement après chaque lavage de cerveau. The Planet, piste solide, mais simple bonne piste, montre un profil bien plus séduisant en étant placée juste après The Cry, contrairement à l’album où c’est l’inverse. L’autre tube de Nespithe, The Chamber, est un moment fort du concert, avec un Backstage en joie dès le riff d’intro.
Sur les planches, Demilich est entre deux eaux. D’un côté les musiciens bougent et vivent la musique, mais de l’autre ils font bien gaffe de jouer correctement. Si la musique des Finlandais est moins démonstrative que celle de Rings of Saturn, elle n’en reste pas moins techniquement exigeante. Les phalanges sont rapides et cherchent loin, les baguettes fusent. Les musiciens se lâchent, mais doivent rester concentrés pour jouer la partition correctement. Occasionnellement, un sourire de satisfaction est envoyé à l’audience. Le professionnalisme à l’état pur, car même si on est loin d’un concert de Municipal Waste, derrière l’exécution est archi carrée. Un groupe au service de son public. C’est d’avantage entre les morceaux que le partage se fait, avec Boman qui fait son one-man show. "It’s Death Metal, you should be angry, not smiling".
Le vrai défaut du Backstage, c’est son éclairage. Tout les spots sont situés derrière ou au dessus-des musiciens, à défaut de mieux. Pour Spectral Voice, pas de soucis car ils étaient éteints. En revanche pour Demilich, c’est un problème. Certes voir des musiciens en contre-jour apporte du cachet, mais à condition de ne pas en abuser ; comme l’usage du stroboscope en somme. Rien d’handicapant, mais assurément une composante qui aurait pu faire passer le concert dans une autre dimension.
Le set arrive à son terme. Le son est maintenant très bon. Raped Embalmed Beauty Sleep passe crème, et voici déjà la dernière pièce pour ce soir : The Echo. De nombreux spectateurs sentent la situation leur échapper. Un concert qui se conclut trop vite, assurément. "It’s monday, time to go to bed, be responsible". Sans plus de fioritures, la piste est jetée en pâture à une fosse abasourdie. En qualité de tête d’affiche, Demilich aurait pu sortir de vieux machins du grenier, en plus de Nespithe. Mais c’est cracher dans la soupe. Rideau. Le groupe remet les guitares de l’autre côté du miroir, serre quelques mains, et merci messieurs dames. Le vieux matos est convaincant. Demilich est maintenant attendu sur de nouvelles moissons.
Une soirée, deux sets complètement différents. Mais deux musiques aux ambiances fortes, avec un fort risque d’effondrement en live. Au bilan : deux succès. Spectral Voice impressionne, avec un show au-delà des espérances. La prestation live des Américains apporte de la consistance à leur matériel studio, c’est rare. Demilich confirme que sa musique est toujours pertinente en 2018. Un comeback solide, réussi, limite légitime, mais cent-pour-cent cautionné. Deux groupes à garder dans le viseur pour l’année prochaine. Merci au Backstage pour l’hébergement, et à Garmonbozia pour l’organisation de cette date.
Inherited Bowel Levitation - Reduced Without Any Effort
The Sixteenth Six-Tooth Son of Fourteen Four-Regional Dimensions (Still Unnamed)
The Cry
The Planet that Once Used to Absorb Flesh in Order to Achieve Divinity and Immortality (Suffocated to the Flesh that it Desired...)
Within) The Chamber of Whispering Eyes
Two Independent Organisms → One Suppurating Deformity
And You'll Remain... (In Pieces in Nothingness)
The Putrefying Road in the Nineteenth Extremity (...Somewhere Inside the Bowels of Endlessness...)
When the Sun Drank the Weight of Water
Raped Embalmed Beauty Sleep
The Echo (Replacement)