Le brouillard s’épaissit. Prends garde aventurier, quand tu plonges dans l’océan des nouvelles sorties ! Il faut défricher. Entre les vétérans qui sortent des daubes et les jeunes feignants qui copient, les référentiels changent, et la boussole perd en précision. Il faut parfois se tourner vers les festivals, qui pour certains corrigent le tir et incarnent, bon gré mal gré, un certain gage de qualité. Citons l’affiche du KillTown Deathfest, avec, barbotant au milieu du poster, notre sujet du jour : Necrot.
L’enfant prodige naît en 2011, puis sort plusieurs démos, qu’il rassemble enfin en 2016 dans une compil : The Labyrinth. Un CD avec une prod très saturée, pleine de grain. L’écoute demande un minimum d’attention pour atteindre le riffing, certes à fort potentiel, mais englué dans ses influences. Avec ce Blood Offerings, sorti l’année dernière, Necrot vient de s’émanciper.
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Dans un bon album de Death Metal, on retient moins l’ambiance que les paroles ou que la prod, non, ce sont avant tout le tempo et les motifs qui restent en mémoire.
L’amour du riff
C’est là dessus que tout va se jouer : les Riffs avec un grand R. Ils proviennent tous de la même racine : le Death Metal Old School. Blood Offerings se place dans le camp du son saturé et bien lourd, plutôt que dans celui du gras rampant. Les rythmes et sonorités sont connus, voir convenus. L’exercice artistique consiste donc à apporter sa griffe pour accoucher d’une musique différente. Necrot le fait très bien, car la plupart de ses motifs sont originaux.
Les riffs se rapprochent fortement de ce que l’on connaît déjà, mais sur une petite fraction du fragment, le groupe s’exprime. Le motif se contorsionne, prend des directions insolites, ou s’allonge à des moments imprévus. Il y a de l’inattendu, mais toujours dans le même domaine, dans la même discipline. On flirte entre l’hommage et l’expérimentation. Jamais le groupe ne joue la facilité, vrille complet et se noie dans l’alambiqué ou le dissonant dans le seul but de créer de la variation. La capacité à faire du neuf avec du vieux, là est la force de ce Blood Offerings. L’enchaînement des riffs est un enchaînement de saveurs, pas un changement brouillon de plats. Les motifs sont tous issus de la même soupière, bien que portant chacun son propre goût.
Au service du bien commun
Necrot ne propose rien de nouveau concernant la composition. Il ne prend pas de risque dans ce domaine, et s’appuie sur une recette simple, permettant à l’auditeur de se concentrer sur le riffing. Chaque chanson se repose sur une poignée de motifs limés à fond, plusieurs fois, parfois même sous différentes variantes. Les mesures sont assez homogènes : l’indéboulonnable quatre quatre est roi. Les breaks sont courts, simples et remplissent le job : ils introduisent un nouveau riff tout en conservant l’inertie du précédent qui vient tout juste s’éclipser. Jamais l’intensité ne décline. Les morceaux avoisinent les cinq minutes, assez long pour mettre en lumière chaque segment, assez court pour ne pas sombrer dans la surexploitation.
Bouillantes et saturées sur The Labyrinth, les guitares sont cette fois beaucoup plus épurées et tranchantes. La production est moins brumeuse, ce qui a l’avantage de mettre en valeur les riffs, mais qui dans un même temps dessert son aspect organique et chaotique. Le chant est parlé, grogné, blessé, mais jamais démonstratif, comme une virulente incantation. Il est complètement en raccord avec le propos. Les autres instruments font leur part, sans pour autant fournir un travail remarquable. Ils incarnent le rail supportant le passage d’un train de guitares, seules vraies héroïnes de ce récit.
Une intention rectiligne et uniforme
Etre porté par un album, sur toute sa durée, c’est être bercé dans le même contexte. Le message délivré doit être invariant. La cohérence se renforce, se durcit, apportant à l’oeuvre une légitimité. L’intention de cet album est la suivante : placer l’auditeur comme témoin de sacrifices obscurs. Ces rituels sont menés par des morts, récoltant avec attention le sang des sacrifiés. Le concept principal peut se résumer ainsi : tuer froidement et consciencieusement pour atteindre un but, le tout supporté par un dogme fort. Necrot réussi à incarner ce concept en musique.
Ce CD ne contient que des chansons brutes de Death Metal. Pas d’intro instrumentale d’une minute trente, pas de morceaux de transition, pas de pont ambiant pour ajouter du relief. L’idée de l’assassinat froid et brutal est donc respectée. S’en suit la prod abrasive et le timbre du chant qui valident l’aspect mortuaire. Enfin, avec sa durée de quarante minutes sans respirations, l’album répond à l’aspect méthodique de l’intention.
Terminons par la cohérence : la conservation du message délivré dans la durée. Conserver et faire fructifier une intention requière un certain degré de maîtrise. Necrot n’est pas venu pour faire le beau. Il sait où il veut aller, connait son métier et l’exécute sans artifice. On pourrait égratigner le groupe qui reste bien au chaud dans son jardin. Il a néanmoins le mérite d’une part de dominer son sujet, et d’autre part d’ajouter sa griffe, qu’il sait mettre en lumière. Le tout, sans prétendre à des compétences qu’il ne possède pas. Pour ce Blood Offerings, c’est 9. Une excellente note, alors même que Necrot n’est pas de ces génies qui tuent le game (pas encore). Cette note récompense un savoir-faire exemplaire, créatif, humble et sans errances.