"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Vulture Industries… le groupe qui est arrivé sur le tard mais a su, en deux temps trois mouvements, s’installer dans la scène avant-gardiste norvégienne et s’y ancrer bien vite. Après un The Dystopia Journals (2007) encore influencé mais déjà convaincant, c’est The Malefactor’s Bloody Register (2010) qui a fait exploser le groupe de Bergen, grâce à une bombe de Metal décadent comme la Norvège sait si bien en produire. Bjørnar E. Nilsen, leur frontman, est depuis devenu un producteur de renom du Metal norvégien en plus d’être un chanteur de grand talent. Sa bande avait encore réussi son coup avec l’excellent The Tower (2013), même si The Malefactor’s Bloody Register reste à mon sens une référence absolue. Désormais bien ancré, Vulture Industries doit poursuivre sa carrière, continuer à innover, où faire fructifier ses bonnes bases. Mais en tant que formation avant-gardiste, Vulture Industries peut difficilement stagner. Stranger Times (non, vous n’avez pas lu Stranger Things, même si votre vue doit être déformée par votre timeline facebook remplie des posts de vos amis Netflixeurs ou des publications de Konbini) va alors amorcer quelque chose de nouveau pour Vulture Industries. Ou quelque chose que l’on pouvait attendre de leur part, quand on connaît bien leur background musical, ou quand on a écouté ce qui se faisait sur une bonne partie de The Tower par rapport à The Malefactor’s Bloody Register. Vulture Industries évolue, change, au gré de ses envies et de ses humeurs, le temps d’un album ou définitivement seul l’avenir nous le dira, toujours est-il que Stranger Thin… Stranger Times (je vous jure, j’ai bien commencé à écrire Things, satanée hype) a choisi son camp et ce assez clairement.
Quel camp ? Eh bien celui qui lui fait pencher vers une de ses influences principales, qui est celle de Devil Doll. Un groupe des années 90 très avant-gardiste, mais qui a plus penché du côté du Rock que du Metal. Vulture Industries va donc plus utiliser cette influence pour, à sa manière, « édulcorer » son propos par rapport à ce qu’il a fait de plus metallique par le passé. Ce n’est donc pas sur Stranger Times que l’on retrouvera des morceaux bien tranchants à la "Race for the Gallows", "The Bolted Door", "The Tower" ou autre "Blood On the Trail". Stranger Times prend donc comme base les morceaux les plus posés de The Tower et les place dans une ambiance assez désespérée et désuète, ambiance cabaret décadent café-théâtre en déchéance et en faillite, avec les artistes résidents qui écument leurs derniers deniers et noient leur dépression dans le whisky bon marché. Musicalement, Vulture Industries est immédiatement reconnaissable, ne serait-ce que pour le chant de Nilsen et les diverses instrumentations (claviers, cuivres, etc.). Mais ici dans une version bien graisseuse et destroy. "Tales of Woe" nous le fait bien constater, avec d’entrée de jeu un riffing bien abrasif et nettement plus Rock. Les guitares ne sont donc que sporadiquement vraiment « Metal » (surtout sur les deux derniers morceaux à vrai dire, le très bon "Screaming Reflections" et le plus vain "Midnight Draws Near"), sinon le riffing est globalement bien rampant, sale, déglingué, désertique ("As the World Burns", "Something Vile", "Gentle Touch of A Killer" notamment). Bref, Stranger Times sent le bois pourri imbibé d’alcool à chaque instant. Mais le cabaret de Vulture Industries continue à vivre, à proposer malgré tout des spectacles hauts en couleur, d’ailleurs l’ouverture sur "Tales of Woe" s’avère tout de même riche et on constate toujours que le groupe a de l’inventivité à revendre quand il s’agit de s’aventurer sur des terres décadentes et avant-gardistes.
Stranger Times est donc un album globalement aéré, le Metal foufou n’a pas franchement droit de cité ici. Il est même particulièrement mélodique, avec force leads et solos quand c’est nécessaire ("As the World Burns", le plus posé "Strangers" avec même de l’électro, l’épique "The Beacon", "Something Vile", "Gentle Touch of A Killer" avec son côté très sinistre). Bien évidemment, Nilsen profite de cet album plus épuré pour s’exprimer tout particulièrement, notamment sur le très léger "My Body, My Blood" mais on s’arrêtera aussi sur ses envolées pour "As the World Burns" et "Something Vile" ou encore sur la douceur de "Strangers". Il est indéniable que la bande de Bergen a encore fait du bon boulot dans un registre plus Rock, et encore plus décadent, que celui des 3 premiers opus. A partir de là, il sera question de ressentiment personnel pour juger un album comme Stranger Times. Etant un metalleux poilu devant l’éternel, je préfère quand même quand ça riffe, même pour du Metal avant-gardiste décadent comme le pratique Vulture Industries. The Malefactor’s Bloody Register était pour moi une grosse tuerie et j’aime beaucoup The Tower même s’il était déjà moins musclé que son prédécesseur. Ici, j’ai un peu plus de mal, car je n’ai plus de trifouillages vraiment Metal pour m’accrocher, et Devil Doll et compagnie, ça n’a jamais vraiment été mon truc. J’ai bien essayé mais je n’y trouve pas mon compte, même si cet album est indéniablement plaisant, quoique tout de même assez linéaire avec quelques petites longueurs ("The Beacon", "Midnight Draws Near"). Bref, c’était mieux avant quoi, à mon plus grand regret. Stranger Times n’est donc à recommander qu’à ceux qui savent apprécier le côté le plus Rock et le plus destroy de Vulture Industries, plus qu’à ceux qui comme moi cherchaient du Metal avant-gardiste qui pulse bien comme pour The Malefactor’s Bloody Register. Tant pis pour maggle, maintenant si cela vous convient, inutile de dire que Stranger Times sera du caramel. Un album un peu différent, avec un autre équilibrage, réussi car Vulture Industries y met toutes ses qualités, mais certains auraient peut-être préféré autre chose, maintenant leur carrière n’est pas finie et les chemins pris par un groupe avant-gardiste sont toujours tortueux…
Tracklist de Stranger Times :
1. Tales of Woe (4:37)
2. As the World Burns (5:22)
3. Strangers (7:10)
4. The Beacon (5:35)
5. Something Vile (4:17)
6. My Body, My Blood (2:26)
7. Gentle Touch of A Killer (5:03)
8. Screaming Reflections (5:31)
9. Midnight Draws Near (5:19)