"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Jeans, coupes de beau gosse, t-shirts qui moulent bien les bras gonflés à la fonte et au crossfit… C’est sûr, visuellement, Dyscarnate est bien loin de l’image d’Epinal du metalleux en rangos/treillis, cheveux qui descendent bien en-dessous des épaules, veste à patches et bidon grassouillet souvent rempli de jus de houblon. Le trio anglais n’est de toute façon pas du genre à faire les choses comme tous les autres, ceci même si ses influences brassent assez large et qu’on peut reconnaître mille et une choses là-dedans. Vulgairement classé dans le « Death Metal », Dyscarnate va bien plus loin que ça. Déjà, son Death-Metal est très moderne, et puise aussi beaucoup dans le Thrash. Mais là-dessus se greffe une évidente et très forte composante Metal-Hardcore, ce qui explique leur « style » général d’ailleurs. Des mosh-parts et surtout un esprit bagarre de tous les instants émaillent leur Metal qu’on peut tout de même étiqueter comme « extrême ». En gros, et si je devais faire un name-dropping volontairement stérile voire même discutable (chacun entend ce qu’il veut après tout), on pourrait situer Dyscarnate comme un mélange de Behemoth, Slayer et Hatebreed, de Gojira, Chimaira et Heart Of A Coward, de Dying Fetus, Lamb Of God et Primal Age, de Misery Index, Sepultura et Earth Crisis… Bref, une trinité Death/Thrash/Metal-Hardcore qui puise successivement dans l’un et dans l’autre sans donner l’impression de favoriser un sous-genre plus qu’un autre. Un savant mélange qui nous donne autant de brûlots de Metal extrême moderne que de mandales bien énergiques qui appellent à une réponse par un coup de pied bien placé. Existant depuis 13 ans maintenant (sans compter sa période sous le nom Incarnate), le trio londonien s’était fait remarquer en 2012 avec l’excellent And So It Came To Pass, qui succédait à un Enduring The Massacre (2010) qui apparaît aujourd’hui bien anecdotique. Et pour cause, dès son second album Dyscarnate avait su trouver sa formule gagnante, avec son Death/Thrash façon bagarre qui affolait nos bras et nos jambes dès l’intro "The Weight of All Things".
5 longues années plus tard, de petites choses ont évolué, à commencer par le départ d’un tiers du groupe en la personne de Henry Bates, bassiste/vocaliste remplacé par Al Llewellyn (Arceye) au(x) même(s) poste(s) vu que ne l’oublions pas, Dyscarnate se distingue aussi par un duo de chants, même si c’est Tom Whitty qui mène souvent la danse. Pour And So It Came To Pass, les deux vocalistes se complétaient bien, pour With All Their Might cela va un peu changer vu que Al Llewellyn nous propose des vocaux un peu plus criards (un peu à la Trevor Strnad), qui tranchent avec les voix « Death » habituelles de Tom Whitty. Cela ne va pas spécialement impacter le style de Dyscarnate qui va conserver toutes ses particularités et sera reconnaissable dès les premières notes, dès le début de "Of Mice and Moutains" qui va de nouveau vous donner envie de vos dégourdir les jambes mais en les levant à mi-hauteur. Mais par rapport à And So It Came To Pass qui posait quelques morceaux bien crunchy ("In the Face of Armageddon", "Cain Enable", "A Drone in the Hive", "Grinding Down the Gears"), With All Their Might va se montrer un poil plus ambitieux avec des morceaux plus travaillés, moins directs même si l’énergie reste de mise avec quelques moments bien efficaces. Nous aurons d’ailleurs droit à deux morceaux de moins pour une minute de plus par rapport au précédent opus, ce qui donne une idée de la chose. Enfin, je dois préciser qu’une nouvelle fois, le groupe anglais s’est offert une production absolument colossale. Celle de And So It Came To Pass bénéficiait déjà d’une puissance rare, sur With All Their Might c’est encore mieux. Jacob Hansen a certainement fait le meilleur boulot de sa carrière pour With All Their Might, conférant toute la puissance de frappe dont a besoin Dyscarnate pour son Metal résolument moderne et surtout particulièrement percutant. Il y a du muscle là-dedans, dans tous les sens de l’expression.
"Of Mice and Mountains" nous remet donc dans le bain bien vite, avec autant de riffs coup-de-poing qui nous mettent à terre. Dyscarnate balance direct son penchant le plus Hardcore, pour nous montrer qu’il a les plus gros bras du marché. De riffs punchy en mosh-parts ravageuses, Dyscarnate met déjà ses muscles en avant, et donc sa puissance, qui s’exprime d’ores et déjà d’une manière un peu plus lourde que pour And So It Came To Pass. Aussi le groupe va directement surprendre son auditoire avec un "This Is Fire!" qui débute directement avec des riffs syncopés. Si la liste des influences décelables de Dyscarnate est déjà longue comme le bras, on a ici l’impression d’avoir affaire à un mélange entre Whitechapel et Decapitated ! Avant que le côté Metal-Hardcore ne reprenne ses droits mais pour un morceau globalement sombre et « Death », peut-être un de leurs morceaux les plus bruts d’ailleurs, bien qu’il s’aère un peu sur sa fin. Dyscarnate a donc encore de nombreuses cordes à son arc et With All Their Might prouve qu’il arrive encore à évoluer dans la continuité. Le single "Iron Strengthens Iron" le montre encore, Dyscarnate parvenant aisément à conjuguer efficacité et lourdeur grâce à toutes ses particularités, pour un morceau encore une fois résolument Death, Thrash et Metal-Hardcore sans être plus l’un que l’autre. Et surtout, les compos sont vraiment très inspirées et réservent des moments mortels, magnifiés par cette production du feu de Satan. Et Dyscarnate de continuer à nous surprendre avec l’original "Traitors in the Palace", sorte d’hymne épique où le groupe n’hésite carrément pas pour appuyer ses compos avec des claviers, et aussi de balancer des riffs « mur du son » qui décoiffent salement. Avec Toute Sa Puissance, Dyscarnate déglingue et nous met dans les cordes, nous renverse, nous fait saigner des gencives.
Si "To End All Flesh Before Me" est le seul morceau relativement dispensable de cet opus (même s’il met bien en valeur le son de basse de Al Llewellyn), Dyscarnate réserve encore une partie de son énergie pour explorer son penchant le plus Thrash en deuxième moitié d’album. Avec notamment ce monstrueux morceau qu’est "Backbreaker", digne des passages les plus expéditifs de And So It Came To Pass, avec des riffs rangés très tranchants et surtout un refrain imparable. Et que dire de "All the Devils Are Here", qui démarre aussi avec des relents de Decapitated (le récent), avant de thrasher sec, de manière plus urgente et extrême mais toujours avec une rigueur technique et une maîtrise de tous les instants. With All Their Might va toutefois se conclure d’une manière bien différente que And So It Came To Pass avec son blackisant "Kingdom of the Blind", avec le fleuve "Nothing Seems Right" qui s’offre pour bien conclure l’album une ambiance sinistre et apocalyptique avec à la clé quelques mélodies, mais aussi des passages rouleau-compresseur résolument Death. Un final un peu longuet, pour un album qui n’est pas totalement irréprochable de toute façon, mais Dyscarnate montre encore qu’il sait oser un peu et ajoute un peu de classe à son esprit bagarre. Après, il est sûr que Dyscarnate et son Metal très moderne est presque l’antithèse du Metal bien brut et organique, ce qui fait qu’il ne plaira pas à tout le monde et pourrait faire jaser avec son côté musclé presque grossier, mais pour qui aimera ce genre de grosse production, With All Their Might sera un régal. Du crossfit-Metal qui sent la transpiration, mais un bon défouloir plus intelligent que la moyenne, qui sait tricoter nombre d’influences avec ses gros doigts. Après un And So It Came To Pass plus que satisfaisant, Dyscarnate évolue bien autour de sa trinité Death/Thrash/Hardcore-Metal, et livre un album assez monumental, certes sans vrai tube et indigeste pour certains, mais d’une précision chirurgicale qui lui va à ravir. Du Death moderne bien lourd, du Thrash bien énergique, du Metal-Hardcore voyou, pour un mélange protéiné qui vous poussera à coup sûr à vous muscler pour devenir le roi du pit.
Tracklist de With All Their Might :
1. Of Mice and Mountains (4:06)
2. This Is Fire! (5:35)
3. Iron Strengthens Iron (4:38)
4. Traitors in the Palace (4:09)
5. To End All Flesh Before Me (4:05)
6. Backbreaker (4:00)
7. All the Devils Are Here (4:48)
8. Nothing Seems Right (7:44)