"Les vrais savent, les vrais font".
« Au début des années 90, vous aviez dix groupes de Death Metal immédiatement reconnaissables. Quelques années plus tard, ils sont dix fois plus nombreux et tous ont plus ou moins le même objectif. » Tim Yeung
Difficile de nier que c'est souvent à la naissance d'un mouvement qu'explose le plus la créativité des artistes qui ont contribué à le créer. Essayez d'imaginer l'arrivée d'un peloton de jeunes loups fraîchement débarqués de leur cambrousse et composé, excusez du peu, de Morbid Angel, Death, Obituary, Cannibal Corpse, Napalm Death, Carcass ou Malevolent Creation. Imaginez ensuite que cette vague est suivie par une lame de fond dont les têtes de proue ne sont autres que Pestilence, Entombed, Deicide où Suffocation... pour ne citer qu'eux, bien évidemment ! Tout un univers débarquant avec un son, une attitude, des visuels et une agressivité jamais vue jusqu'alors et qui allaient en un claquement de doigts bousculer un public bouche bée devant un tel déversement de violence barbare. Replacez-vous maintenant dans le contexte de l'époque : pas d'Internet, des médias mainstream complètement aux fraises niveau Metal extrême, des fanzines actifs et hyper investis, le tape trading comme quasi seul moyen de découvrir les perles de l'underground… cette nébuleuse trouble et opaque, difficilement accessible et qu'il fallait mériter pour pouvoir prétendre y glisser un orteil. Semblant comme surgir des entrailles d'un cadavre purulent, le Death Metal voyait le jour en affichant, tous crocs dehors, sa sauvagerie et sa singularité, inconscient que ces prémices séditieux n'auraient plus la même saveur quelques années après.
Alors pour bien comprendre comment et pourquoi ces années restent si particulières, il convient de se replonger dans les paroles et témoignages de ces principaux héros et géniteurs. Et, je le dis tout net, « Extremity Retained : Notes sur le Death Metal Underground » est l'un des tout, tout meilleurs bouquins pour embrasser cet univers si particulier... que vous en soyez un mordu de Death ou que vous n'y connaissiez rien du tout.
Méfiez vous de tous les observateurs, vidéastes, youtubers ou je ne sais quels sombres analystes qui viennent vous expliquer en quelques phrases et une poignée de groupes l'origine d'un style musical. Dans la plupart des cas, les faits sont beaucoup plus complexes que les idées reçues et s'il est fréquent qu'un ou deux groupes sont avant-gardistes dans la création d'un mouvement (comme Death ou Morbid Angel par exemple), ignorer les scènes qui se sont créés au même moment aux quatre coins du monde et l'influence primordiale qu'ont eu de petites démos de groupes « confidentiels » sur l'inspiration de grands combos est une erreur… dommageable.
Dommageable car l'histoire est passionnante de par sa complexité et de par la difficulté que l'on peut avoir à évaluer l'impact réel d'une œuvre sur les artistes… et c'est précisément là que le livre synthétise intelligemment toute cette richesse, en évoquant avec humilité un univers dont il ne pourra jamais cerner tous les contours et toutes les nuances.
De par la pluralité et l'authenticité des témoignages, « Extremity Retained » livre de façon brute les ingrédients qui ont contribué à créer le Death Metal de sa genèse jusqu'à nos jours. Sans fard, et de manière parfois surprenante les musiciens, producteurs, tourneurs, managers, labels ou ingés son racontent leurs souvenirs de la scène émergente en suivant un sommaire composé de quatre chapitres. Les origines, souvenirs de scène, studio/performance/album, hier aujourd'hui et au-delà… deviennent donc des machines à voyager dans le temps où chacun peut compter sa petite anecdote, de la plus étonnante à la plus loufoque. Il fallait bien un personnage comme Jason Netherton (ex-Dying Fetus, Misery Index, patron des archives/fanzines Send Back My Stamps ! et Docteur à l'University of Information and Media Studies d'Ontario) pour rassembler un panel de metalheads aussi large ! Fort de son statut de musicien et de véritable passionné du Metal, il a su amener les personnes concernées à parler de leurs souvenirs avec le bénéfice de l'expérience acquise et le recul des années. Cela amène plusieurs témoignages absolument passionnants, de l'évolution de la technique des musiciens aux artworks et de l'organisation des tournées au travail de production. D'ailleurs, les passages concernant la prod' et le légendaire Scott Burns amènent autant d'éclairages sur l'importance capitale de son travail à l'époque que sur les répercussions qu'il a encore aujourd'hui.
Pourquoi Sandoval et Asheim étaient-ils considérés à l'époque comme les meilleurs batteurs de Death Metal au monde ? Pourquoi Benton traînait une telle aura de souffre à ses débuts ? Pourquoi le Death faisait peur au Metalleux de base ? Si on possède la plupart des réponses à ces questions, il est toujours agréable de se remettre dans le bain du sorcier impie, les éléments ayant tendance à se brouiller avec les années et plusieurs musiciens ayant une fâcheuse tendance à avoir une mémoire sélective dès lors que cela ne valorise pas leur image de Metal Warriors.
De part l'âge de ses intervenants « Extremity Retained » a un ton éminemment nostalgique mais ce qu'il y a de très intéressant, c'est que bien qu'ils restent attachés à leur époque chérie, ils reconnaissent les avantages de l'ère 2.0 et se refusent à dresser les deux époques les unes contre les autres. Dire que le Death Metal a connu son heure de gloire à la fin des années 80 ne condamne pas pour autant l'ère actuelle car il y a toujours des groupes inventifs qui continuent de faire vivre la scène. Le difficile tour d'horizon de l'éclosion du Death Metal originel ne se fera pas avec ce bouquin (cela vous laissera tout le loisir de fouiner à votre guise) mais il offre une balade pleine de surprises et quelques souvenirs en forme de photo de famille toujours très agréable à revoir.