"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
L’info était peut-être passée inaperçue (pour moi en tout cas) mais Blood Of Kingu a splitté l’an dernier. Ce qui est une bonne et une mauvaise nouvelle. Mauvaise car ce groupe avait le potentiel pour vraiment succéder à Hate Forest en version plus mystique, et surtout l’on y retrouvait les vocaux glaireux et inhumains si typiques de Roman Saenko. Bonne car après seulement 3 albums, la formation semblait déjà en bout de course, et ce qui est donc son ultime album, Dark Star On The Right Horn Of The Crescent Moon (2014), était une relative déception. Bon, si l’on retrouve un peu de ce que Saenko est capable de faire de plus agressif et sombre pour les méconnus projets Precambrian et Rattenfänger, il subsiste toujours un vide pour la succession de Hate Forest, que Saenko avait pourtant bien comblé lui-même avec Sun In The House Of The Scorpion (2010) de Blood Of Kingu. C’est aussi l’occasion de se tourner vers d’autres groupes qui ont pris une partie de l’héritage de la Forêt de la Haine comme Ulvegr, mais qui fait mieux du Hate Forest que Saenko lui-même (sauf quand il n’est pas franchement inspiré - du teasing se cache dans cette parenthèse) ? L’omnipotent musicien ukrainien ne perd pas une occasion de montrer qu’il est toujours là, et voici qu’il lance un nouveau projet, Windswept. Pour refaire du Hate Forest alors ?
Héééééé ben non. Les connaisseurs savent qu’outre Hate Forest, l’autre groupe de Saenko, c’est Drudkh. Accompagné ici de deux autres Drudkh (le batteur V. et le bassiste K., qui sont aussi de la partie pour Precambrian, Rattenfänger, ainsi que bien évidemment Blood Of Kingu, Old Silver Key et Pragmatik par le passé), Saenko fait… du Drudkh. En moins atmo. Ou du Old Silver Key, en moins shoegaze, et un peu plus agressif. Enfin bref, du Black mélodique typique de l’école ukrainienne de Drudkh. A partir de là, l’intérêt de Windswept est déjà nettement limité. Pourquoi faire ici une musique que les musiciens font déjà par ailleurs, et très bien ? Bon, Windswept n’est pas non plus un Drudkh bis à 100%, ce qui est proposé sur The Great Cold Steppe est lavé du côté Pagan/Heathen de Drudkh, et l’ensemble est plus spontané : logique car cet album a été écrit et composé en 3 jours seulement. Il s’agit donc d’une expérimentation et une improvisation pour le trio plus qu’autre chose, plus qu’un groupe établi et réfléchi dans ses moindres détails. Forcément, les influences et le background des musiciens vont ressortir de facto. On comprend donc mieux l’intérêt et la démarche de Windswept. Le résultat est un album de 6 morceaux tenant en 35 minutes, de Black mélodique forcément Drudkhien mais qui lorgne aussi du côté d’un Mgła par exemple, de la période précédant With Hearts Toward None. Mais la « performance » en vaut-elle la chandelle ?
On part donc d’un Black-Metal assez rapide et même peu aéré, qui bénéficie de la production habituelle de Drudkh et consorts, ainsi que du chant hurlé de Saenko (oui, pas de growls profonds cette fois). En 35 minutes spontanées, Windswept ne fait donc pas de chichis et aligne les riffs mélodiques par packs. Et avec des morceaux qui durent de 4 minutes trente à près de 8 minutes, autant dire que la répétition sera le mode d’expression de Windswept. Et on va hélas vite trouver le temps long. Si l’ambiance dépouillée et forestière fonctionne toujours bien, The Great Cold Steppe n’est tout de même qu’un enchaînement de trémolos Black-Metal assez vains. "The Stars Are Cold and Indifferent, Sow Their Gleaming Ashes" tire son épingle du jeu grâce à des rythmiques plus cossues rappelant Blood Of Kingu et le Mgła cette fois-ci plus récent ainsi qu’Ulvegr, mais à part ça, ce n’est pas byzance, même si certains moments de "A Spiteful Wind Buries All the Lonely Whispers" s’en tirent aussi avec les honneurs. Dark Star On The Right Horn Of The Crescent Moon nous avait montré que Saenko était un peu en panne d’inspiration, et The Great Cold Steppe ne fait que confirmer que l’Ukrainien n’a plus beaucoup d’idées et a même perdu une partie de son mojo. La performance est à saluer, mais il est dommage de constater que Saenko n’a pas mis dans Windswept plus que ce qu’il met dans ses autres projets depuis plusieurs années. L’intérêt de l’existence de cet album de Windswept en devient donc nettement discutable, c’est du Saenko-Metal très classique, sans plus. Difficile de dire si c’est l’ « urgence » de la composition qui a donné ça, mais les faits sont là.
La prise de risque au niveau de la composition même de The Great Cold Steppe était intéressante, mais cela n’aboutit pas à quelque chose de foncièrement remarquable. On attendait probablement pas quelque chose de grandiose ou d’ambitieux, mais il n’empêche que ça sonne creux. Sorte de catalogue de riffs qui auraient pu finir sur n’importe quel album de Drudkh, cet album manque cruellement d’inspiration et d’intérêt, si ce n’est de montrer ce qu’ont été capables de faire Saenko et ses deux camarades seuls avec leurs instruments pendant 3 jours. Cela plaira certainement aux fans du touché de Saenko, mais bon… Je ne vais pas dire que c’est une perte de temps, temps qui aurait pu être utilisé pour d’autres projets ou même pour le prochain Drudkh, vu que ça ne leur aura pris que 3 jours mais voilà, Windswept sonne juste comme un bouche-trou discographique en attendant autre chose de la part des Ukrainiens. Le dernier Blood Of Kingu c’était du Hate Forest moyen, ici c’est du Drudkh moyen et plus « simple ». Ce n’est pas une catastrophe et The Great Cold Steppe se laisse écouter grâce toujours à une certaine intensité de l’ensemble (même s’il faut se farcir le son de batterie « plop plop » sur les blasts, comme au début de "Blinding and Bottomless Abyss Is Howling") et le « style » Saenko a toujours son charme, mais voilà, ce collectif ukrainien a fait bien mieux, et Windswept n’apporte rien, si ce n’est du fan-service avec des zicos qui se sont fait plaisir vite fait. Saenko semble quand même être en perte de vitesse depuis un moment (même si je dois avouer que Drudkh passé Estrangement ça me rentre par une oreille et ressort par l’autre, sans trouver les derniers albums mauvais) et l’« expérience » Windswept est témoin de ses difficultés à se renouveler et aussi à proposer quelque chose d’inspiré et de consistant. On fera donc bien vite le tour de cet album assez répétitif (tout en se demandant un peu pourquoi diable il existe en fait…), en attendant un nouveau Drudkh (ou autre chose…) où l’on espère que Saenko retrouvera enfin de sa superbe. Et puis si on cherchait du Hate Forest, ben on passera son tour…
Tracklist de The Great Cold Steppe :
1. Black Horizon Is the Gates of a Blizzard (7:51)
2. Shrouded in Pale Shining, So Sleeps Infinite Ancient Steppe (4:45)
3. The Stars Are Cold and Indifferent, Sow Their Gleaming Ashes (5:53)
4. The Great Shepherd Rides His Storms (4:33)
5. Blinding and Bottomless Abyss Is Howling (4:56)
6. A Spiteful Wind Buries All the Lonely Whispers (6:56)