"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Il était à peu près sûr qu’en choisissant un nom d’obédience géométrique, Dodecahedron allait se poser comme un groupe à la musique complexe et tortueuse. Pourtant, l’on atteint pas encore le côté pointu de Void Paradigm avec son Black-Metal dodécaphonique. C’est dommage en un sens, du coup le nom aurait été tout trouvé… De toute façon formé sous le nom Order Of The Source Below, Dodecahedron est surtout là pour délivrer un Black-Metal empli de noirceur mais résolument moderne. Depuis ses débuts et son album éponyme sorti en 2012, le groupe néerlandais a toujours été présenté comme s’inspirant de Deathspell Omega et Mayhem et ça tombe bien, c’est le cas. En l’espace d’un album, Dodecahedron avait déjà fait parler de lui, et leurs membres commencent à faire parler d’eux, entre Michiel Eikenaar (aussi chez Nihill) qui a joué les guests pour CROWN, et Joris Bonis (guitare) et Jasper Barendregt (batterie) qui s’apprêtent à faire très mal avec Ulsect. C’est dit, 2017 sera l’année du Metal extrême bien noir des Pays-Bas. Et arrivé d’un coup en étant formé par deux ex-Exivious (dont Michel Nienhuis), Dodecahedron est un fer de lance avec son Black-Metal imprévisible et donc totalement jouissif. Post-Black, Black chaotique, Black progressif, Black avant-gardiste, on peut mettre tout ce qu’on veut là-dedans, Dodecahedron est un modèle de groupe de Black-Metal moderne qui ne sacrifie jamais la noirceur sur l’autel de la technique et de la complexité musicale. L’équilibre presque parfait, qui prend encore une forme géométrique remarquable avec Kwintessens, le deuxième full-length du quintette de Tilburg.
5 ans après son premier méfait, Dodecahedron n’a pas changé grand-chose à son style mais va tâcher de le pousser encore plus dans ses retranchements, creusant encore dans une certaine folie voire une schizophrénie, le groupe étant capable d’aérer son capharnaüm quand c’est nécessaire mais sans pour autant crier gare. On reprend donc les bases de l’album éponyme, que ce soit sur le fond et sur la forme, avec juste un chant un petit peu plus hargneux peut-être. Et Dodecahedron reste toujours une formation de Black-Metal très subtile malgré son aspect frappadingue, tout est bien calculé et bien composé là-dedans. Parfois, on frôle la déstructuration pure et simple en mode « chacun joue dans son coin », mais l’art de Dodecahedron reste cohérent à chaque instant, se montrant même accrocheur par moments. Et d’ailleurs, Kwintessens débute par du lourd, du très lourd. A commencer par l’intro "Prelude", où le paysage sonore est déjà bien apocalyptique alors que la section rythmique tabasse déjà menu (Jasper Barendregt ayant un sacré touché). Et "Tetrahedron - The Culling of the Unwanted from the Earth" montre déjà la face la plus tarée de Dodecahedron, c’est bruitiste et dissonant, blindé de cassures et de changements, toute la richesse de la formation est déjà là en 4 minutes trente, avec à la clé des riffs terribles et un final très rituel assez saisissant. Qui laisse place à la transition la plus jouissive de Kwintessens, le passage de flambeau à "Hexaderon - Tilling the Human Soil", avec son départ en fanfare d’ores et déjà à considérer comme une des déglingues de l’année. Le groupe part dans tous les sens et nous aussi. Dodecahedron livre avec cette pièce géniale de 7 minutes une sorte de Black orthodoxe extrême, très noir, lourd à sa manière et parsemé de changements de rythmes incessants pour mieux surprendre à chaque instant. Et l’ensemble se permet même d’être particulièrement écrasant, de par sa densité et son intensité. Dodecahedron livre d’ores et déjà une de ses meilleures réussites et prouve qu’il a salement progressé et n’est pas loin du top de sa forme.
L’interlude bien nommé "Interlude" nous fait d’ailleurs penser à l’image de Dodecahedron, que Dodecahedron va profiter d’une seconde partie d’album pour s’assagir un peu. Il est vrai que l’ambiance devient d’un coup plus lumineuse à grand renfort de trémolos éthérés, mais que nenni : des riffs bien lourds et râpeux vont couronner cet Interlude assez monumental. Et le groupe hollandais va repartir de plus belle avec "Octahedron - Harbinger", un morceau à nouveau très dense et bénéficiant aussi d’une vitesse d’exécution très élevée, et ce dès les premières notes. Mais Dodecahedron c’est aussi de la lourdeur et de la noirceur, et outre un break bien dark cet octaèdre se montre aussi rampant et graisseux. Kwintessens est néanmoins un album parfois attiré par la lumière, aussi "Dodecahedron - An Ill-Defined Air of Otherness" sera la plage la plus éthérée de ce disque, avec un passage central très ambiant et un chant déchirant. Toutefois le riffing y sera souvent dur et à chaque fois qu’il passe près de la lumière, Dodecahedron retourne bien vite dans les ténèbres tel un vampire, passant alors par un "Finale" qui part carrément dans de l’ambiant bruitiste, avec des « the death of your body » répétés par Michiel Eikenaar qui posent une atmosphère très glauque. Dodecahedron n’est pas là pour plaisanter et le vrai Final(e) sera "Icosahedron - The Death of Your Body", une conclusion classique mais apocalyptique, plus rampante mais aussi bien méchante, les Néerlandais sachant toujours faire preuve d’une noirceur absolue quel que soit leur mode d’expression musical. Le dodécaèdre est toujours aussi maléfique, cinq années après sa première apparition.
Histoire d’être trivial (et prévisible), je pourrai que Kwintessens est la quintessence de Dodecahedron, mais s’il fait mieux que son prédécesseur éponyme cet album n’est pas encore un véritable chef-d’œuvre, quelques répétitions et redondances se font entendre, et certains moments paraissent trop classiques pour le genre. Dodecahedron n’est pas le groupe de Black-Metal « chaotique » le plus original et sa tambouille ne surprendra pas l’auditeur aguerri du Black-Metal le plus noir et chtarbé, mais même s’il n’est pas extrêmement original Dodecahedron est quand même un beau monstre en son genre. Kwintessens arrache au début, mène bien son train-train ensuite, et surtout est toujours capable de nous transporter dans un univers apocalyptique qui défie les lois de la physique musicale avec des riffs tordus et des blasts explosifs. Des bijous comme "Tetrahedron - The Culling of the Unwanted from the Earth" et "Hexaderon - Tilling the Human Soil" resteront dans les mémoires, et ensuite Dodecahedron est capable de nous offrir des moments de pure terreur au milieu d’une efficacité diabolique. En attendant un troisième album qui j’espère assoira définitivement la formation néerlandaise sur le trône du Black-Metal le plus complexe et extrême, Kwintessens est sans conteste un album à posséder dans son sous-genre, car très réussi à défaut d’être totalement hénaurme, un peu hétérogène mais au potentiel immédiat, à la science de composition sans faille, pour du Black-Metal très musical mais aussi très sale à sa manière. Il y a du talent aux Pays-Bas, espérons que quelque chose d’inoubliablement terrifiant naisse de l’intérieur du dodécaèdre maléfique et de ses disciples (à commencer par Ulsect…), et Kwintessens est un bien bon morceau de noirceur à la hollandaise.
Tracklist de Kwintessens :
1. Prelude (2:15)
2. Tetrahedron - The Culling of the Unwanted from the Earth (4:34)
3. Hexaderon - Tilling the Human Soil (7:19)
4. Interlude (3:40)
5. Octahedron - Harbinger (6:36)
6. Dodecahedron - An Ill-Defined Air of Otherness (7:16)
7. Finale (3:44)
8. Icosahedron - The Death of Your Body (6:00)