"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Originaire de Tasmanie, Ruins peut revendiquer une carrière tout à fait honnête. Avec 5 albums dans la poche, dont 4 chez des labels français (deux chez Debemur Morti - deux chez Listenable dont ce Undercurrent), le groupe mené par le duo Alex Pope - Dave Haley (Psycroptic, The Amenta, ex-Pestilence) tient son petit train-train de manière honorable, avec depuis ses débuts un Satyricon version Black/Death tout à fait intéressant. Sympathique, le groupe n’a jamais sorti de chef-d’œuvre ou même d’album véritablement excellent, mais pouvait se targuer de bien faire son Black/Death mid-tempo et sombre. Parfois redondant, Ruins avait besoin d’un petit coup de peps pour se relancer, surtout après un Place Of No Pity (2012) assez lénifiant. En quatre ans d’absence, Ruins a donc eu l’occasion de se poser pour se réinventer. Le groupe n’est d’ailleurs plus un duo vu qu’il a engagé le bassiste Kai Summers (ex-Born Headless) et le gratteux Joe Haley (Psycroptic, The Amenta en Live) qui n’est d’autre que le frère de Dave. Ceci ferait bien de nous amener un regain de forme pour Ruins qui en aurait bien besoin. Undercurrent est tout de même un peu passé inaperçu et c’est bien dommage, car voilà un groupe qui a su se sortir de sa torpeur pour donner un second souffle à sa carrière, à l’aide d’un album bien plus couillu que par le passé.
Quand "Shadow of A Former Self" lance les hostilités sans crier gare avec des compos bien inspirées et percutantes, on se dit déjà que Ruins est passé à un autre niveau. A ce stade, je vais déjà faire le parallèle entre les carrières de Ruins et des américains d’Abysmal Dawn. Tous les deux avaient choisi un mid-tempo qui n’arrivait plus à convaincre sur la durée. Après un Leveling The Plane Of Existence (2011) franchement plat, Abysmal Dawn avait sorti l’excellent et dynamique Obsolescence (2014) qui en l’espace d’un seul morceau d’ouverture, le furibond "Human Obsolescence", avait réussi à enterrer la quasi-totalité de ce qu’il faisait auparavant. Ruins n’est pas loin de réussir cet exploit mais va lui aussi, après des années de tempos soutenus, passer à quelque chose de plus cossu. Le groupe australien ne change pourtant pas son fusil d’épaule avec son Satyricon période Volcano worship, et d’ailleurs les mid-tempo sont toujours de la partie, mais ce "Shadow of A Former Self" fait montre d’une richesse insoupçonnée pour le combo, entre vraies accélérations et cavalcades Black’n’Roll qui font franchement mouche, en plus d’une production bien plus efficace que par le passé. C’est dit, Ruins s’est racheté des couilles et va donc livrer avec Undercurrent un disque bien plus enjoué que ses 3 précédentes œuvres.
Pour ceci, Ruins va donc nettement plus appuyer son côté Black’n’Roll, pour proposer un album qui certes n’est pas totalement à ranger dans le style, mais s’avère vite groovy et entraînant en diable (de Tasmanie) avec des compos chaloupées typiques hyper efficaces. Puis bien évidemment, le rythme global est plus rapide que par le passé, même si nous ne sommes pas dans le domaine d’un BM frénétique et véritablement agressif. Plutôt que du Black/Death, on penche maintenant vers du Black/Thrash, certes moderne et pas du tout bas du front. Ruins se rapproche désormais même plus d’un Goatwhore que d’un Satyricon. Et mine de rien, Undercurrent est peut-être l’album que Goatwhore rêve de sortir depuis Carving Out The Eyes Of God, rien qu’un morceau bien accrocheur comme "Rites of Spring" est là pour le prouver. En trois quarts d’heure il y a donc tout ce qu’il faut pour bien taper du pied, avec toujours la voix éraillée d’Alex Pope qui fonctionne à merveille pour le genre. Dans certaines accélérations et certains riffs, Ruins se permettrait même d’aller chasser sur les terres de Nidingr ! "Shadow of A Former Self" et "Rites of Spring" se posent donc comme de bons gros tubes et c’est sûr, Ruins est en grande forme, et multiplie les passages dynamiques portés par des riffs inspirés (les passages épiques de "Faust", les super rythmiques de "The Fires of the Battlefields to Survive", les grattes bien Black’n’Roll de "Certainty the Adversary", les très Black-Metal "Undercurrent" et "Filled With Contempt"). On entend même un bon vieux « ugh ! » des familles au début de "Faust". Si ça c’est pas la classe…
Bon chassez le naturiste, il revient au bungalow, et le mid-tempo reste le fonds de commerce de Ruins à certains égards. Mais un morceau comme "Crossroads", avec ses riffs terribles qui sont des modèles de compos chaloupées, aurait à coup sûr fait partie des meilleurs morceaux de Cauldron et Front The Final Foes. Et ensuite, pour appuyer ses passages plus gras et lourds, Ruins n’hésite pas à user de quelques relents Sludge/Southern - un peu à la Goatwhore également ("Faust", "Certainty the Adversary") ou balance classiquement des arpèges bien dark ("The Fires of the Battlefields to Survive", "Certainty the Adversary", "Undercurrent", l’assez mélodique "Filled With Contempt"). Ruins se réinvente donc un tantinet sans rien révolutionner, et Undercurrent apparaît comme une excellente surprise et une bonne claque. Apparaît seulement, car hélas il lasse un peu vite. Le groupe australien finit par un peu retomber dans ses travers avec une fin d’album plus convenue et redondante et manquant de mordant, à l’image du morceau-titre avec un passage en simili voix claires assez raté, et un "Symbols for Intent" de clôture qui n’apporte rien si ce n’est quelques derniers blasts salvateurs. A noter aussi que cet album comporte des sortes d’interludes ambiants casés à la fin de certains morceaux ("The Fires of the Battlefields to Survive", "Undercurrent", "Filled With Contempt") qui ne servent hélas qu’à casser le rythme. Bref, Undercurrent finit par s’essouffler, mais sachant que Cauldron et Front The Final Foes vieillissent mal, il s’agit à l’aise du meilleur album que Ruins ait sorti. Avec quelques tueries et un regain bienvenu d’énergie Black’n’Roll, Undercurrent vaut l’investissement et couronne un groupe un peu revenu de nulle part qui a fait les bons choix pour se relancer, et est au top de sa forme et de son inspiration. On espère qu’ils poursuivront dans cette très bonne voie et ce qui est sûr, c’est que si pour 2016 vous cherchiez un album de Black-Metal pour bien taper du pied, il y a de quoi faire avec ce 5ème album d’un Ruins revenu du diable (de Tasmanie) vauvert.
Tracklist de Undercurrent :
1. Shadow of a Former Self (5:39)
2. Crossroads (3:52)
3. Rites of Spring (3:36)
4. Faust (3:24)
5. The Fires of the Battlefields to Survive (6:16)
6. Certainty the Adversary (4:14)
7. Undercurrent (6:16)
8. Filled with Contempt (5:08)
9. Symbols from Intent (6:15)