Exhumé de l'ère U-zine. Passionné de musique, de littérature; de cinéma, de jeux vidéo. Scribouillard trop ponctuel pour Horns Up. Black Metal ist Krieg.
Pour être tout à fait honnête, avant même d'entamer ces quelques lignes, j'ai mal au crâne. La raison est finalement assez simple : de toutes les chroniques que j'ai pu écrire, celle d'A.N.T.I de Diapsiquir est celle m'ayant le plus résisté à tel point qu'à un an d'intervalle, j'ai simplement foutu à la benne la première version du papier, un rien assassin, pour finalement en pondre une autre, qui profitait de plus de recul et d'une compréhension de pas mal d'éléments concernant la démarche de l'album que je n'avais pas initialement en ma possession.
Fan devant l’Éternel du Diaps depuis Crasse et n'hésitant jamais à saluer à qui veut bien l'entendre les mérites du ravageur Virus STN ou de l'ultra négatif et intelligent ANTI, ma première réaction à la réception de 180°, nouveau glaviot du combo Damien / Pascal, a été le rejet pur et simple. Un peu comme la découverte d'ANTI quoi. Mais en pire. Et pourtant, on les voyait venir à 15 bornes les deux enfants terribles, ne serait-ce que par le discours baissant le rideau du précédent skeud, témoignant déjà de la volonté du duo de s'éloigner « au maximum d'une scène metal étouffante et stérile ».
Et à vrai dire, si l'on s'est ne serait-ce qu'un brin intéressé à l'esthétique générale du groupe, un simple coup d'oeil à la pochette du skeud suffit à comprendre que ouais, 180° n'est pas un blase choisi au hasard et qu'il illustre finalement le virage adopté par Diapsiquir, dans l'image, dans le propos et finalement dans le son. Inutile en tout les cas de préciser que cet album ne s'appréhende qu'avec l’assimilation de l'ensemble de la disco du groupe et des humeurs fluctuantes d'un Toxic / Damien, et que cette chronique sera de toute façon à l'image de l'objet qu'elle décortique : très personnelle. Parce que n'en déplaise à certains ou au groupe lui-même, Diapsiquir me parle, musicalement et textuellement, un peu comme une psychothérapie à grand coup de tartes dans la gueule. Je dois être aussi, comme énoncé dans le morceau d'ouverture du skeud « victime du syndrome de Stockholm ».
Alors certes, cette introduction est longue et est d'autant plus ironique que 180° entame son sermon sur un Tabula Rasa braillant que « Diapsiquir est mort ce soir » et que l'ennui a depuis longtemps gagné un Damien qui n'hésite jamais à foutre un taquet à quiconque se permet d'écrire à propos de la musique qu'il compose et les paroles qu'il rédige, foutant aussi un gentille tape derrière la tête à l'auditeur qui manifestement, lui casse les couilles aussi. Et pourtant, il en a des choses à dire, le Damien, et parvient à nouveau, tout au long de l'album, à se servir de sa plume toujours aussi acérée et imagée pour jouer les équilibristes entre démonstration pure et instants plus nébuleux. Si nous reviendrons plus en détail sur l'écriture générale des textes de l'album, il faut situer 180° rapidement dans son contexte. Pour faire simple : depuis Pacta / Crasse, Diapsiquir, c'était Vive Satan. Avec ANTI c'était plus trop Satan dans l'âme, voire plus du tout mais auto-destructeur as fuck tout en étant mâtiné d'un soupçon de rédemption et de Pardon … et 180° débarque avec entre deux, la seule (à ma connaissance) interview accordée par la tête pensante de Diapsiquir, déclarant avoir enfin besoin de lumière. A patauger dans la merde, ça finit par puer et Damien a voulu s'en extirper et aurait trouvé Dieu. Alors 180° prend à nouveau, par son nom seul, tout son sens. Et se ressent, donc, dans la musique du binôme, qui est affichée dans le livret de l'album comme étant « improvisée et raccommodée » entre « 6 murs de béton » sur du « matériel défectueux ».
Si vous avez ne serait-ce qu'une seule fois trouvé la zic de Diapsiquir trop bordélique pour être écoutable, inutile d'insister, 180° pousse l'expérimentation musciale nettement plus loin que l'avait fait ANTI à son époque. Et comme un majeur tendu bien haut aux quelques irréductibles qui estimaient, comme votre serviteur, qu'il y aurait pas mal de Toxic H dans le nouveau skeud de Damien, détrompez vous. Je serais bien incapable de dire si les sonorités variétoche que l'on trouve ici ou là dans l'album sont une vulgaire provoc ou un simple instantané de l'humeur du compositeur, mais attendez vous à une petite escapade musicale à peu près aussi tranquille que la plus fâchée des montagnes russes.
Parce qu'on y trouve de tout dans ce 180°, qui ose l'utilisation du vocodeur (180°), plonge de plain pied dans le hip-hop (Banlieusard), et parsème son parcours d'envolées plus grandiloquentes en usant de cordes, de litanies religieuses et de spoken words, tout en abordant des instrus nettement plus estampillés « variété », au sens très large du terme ("Libidau79", "Autodafé"). Voilà bien le genre de skeud qui ne révèle ses secrets et surtout ses charmes qu'à l'aune de multiples écoutes, dont certaines d'entre elles doivent être espacées comme pour mieux laisser le temps à l'auditeur de digérer la quantité assez folle d'informations sonores et musicales qui lui parviennent dans la gueule pendant près d'une heure.
Car si de prime abord, l'instinct cavalier permettrait de déclarer hâtivement que l'album est aussi chiant que la pluie, fait de bouts de bordel compilés ensemble, il s'avère nettement plus malin et bien construit qu'on pourrait le croire. Si nous ne reviendrons pas en détail sur la symétrie que l'on peut percevoir entre des titres comme "Avant" et "Après" ou encore la conclusion d'ANTI et l'ouverture de 180°, l'album se découvre petit à petit et recèle même de quelques intensités musicales face auxquelles les plus teigneuses des tracks de Diapsiquir n'auraient pas à rougir.
Ce n'est sans doute pas innocent de la part de Diapsiquir d'avoir communiqué autour de deux de ses compos les plus fâchées (le teaser de "Vitriol & Lithium" ainsi que "Minute de Silence", très ANTI dans l'âme) pour appâter le chaland. Sans doute une manière de laisser croire à l'audience qu'elle allait se trouver en terrain connu. Et alors Diapsiquir se pointe avec « Après » qui a même bénéficié d'un clip (pénétré par la foi en fin de parcours) et qui tranche avec ce que l'on croyait connaître du duo. Et pourtant, et pourtant...
En dépit du demi-tour opéré par Diapsiquir, une écoute attentive permet d'assister à quelques fulgurances musicales clairement marquées au fer rouge par la griffe d'un Toxic qui prend le pas sur Damien. « Après » n'est pas un morceau tendre, son intensité croissante en fin de track prend clairement aux tripes, à l'image d'une « Comédie Verticale » jouée avec sincérité, brio et qui sait se faire aussi intense que le discours de fin de "TEST1M5N2O" sur Virus STN, mais sous un angle plus nostalgique et moins dévastateur. Difficile de croire que même des lyrics estampillées Diapsiquir peuvent se faire touchantes et c'est pourtant le cas avec cette escapade dans les souvenirs d'enfance perdue chantée avec force et conviction.
La musique de 180° est en déséquilibre constant. Instrumentalement, oui, c'est clair, c'est souvent le bordel. Mais derrière ce magma se trouve une vraie intelligence de composition, qui sait adopter le bon ton pour le bon propos. Le rythme sec et rageur quand on se reprend, la mélancolie quand ça va moins, quand on lutte... Même si je reconnais fort volontiers que l'écoute intégrale de la rondelle perd sa cohérence passé les 8 premiers morceaux, je ne peux que concéder à Diapsiquir sa belle capacité à mettre en musique d'une manière authentique les humeurs de son principal instigateur. Damien, donc.
Et c'est là que cette chronique que vous avez déjà été des centaines à laisser tomber tant elle est beaucoup trop longue, aborde les textes de 180°, textes rédigés de la main putain d'habile de Damien. Car c'est là, comme pour ANTI, que se trouve la charnière indispensable de l'album, celle qui te fait comprendre la démarche bien au-delà de la zic elle-même. Le Damien, donc, cherche l'absolu, et a taillé le bout de gras avec Dieu. Mais les rapports du bonhomme avec le Saint Père ne m'ont pas donné l'impression d'être franchement amicaux tant , là encore, Toxic semble prendre le pas vers ce nouveau Damien en quête d'on ne sait trop quoi en rapport avec l'Absolu.
A mon sens, 180° est simplement l'album d'une rédemption difficile à trouver, et qui traite de l’accès torturé à la foi d'un homme qui ne l'est pas moins. Un peu comme si l'apaisement permettant de comprendre que « Dieu est Grand » ne pouvait se faire qu'à travers des épreuves douloureuses à base de « genoux qui saignent » d'avoir trop prié et de « grandes baffes paternelles ». Difficile d'ailleurs d'établir la chronologie d'écriture de l'album, mais les rapports conflictuels avec l'entité supérieure sont omniprésents et s'inscrivent parfois dans une humeur de rancoeur très tenace, comme en témoigne le final de "180" aux allures de reproches assassins à l'égard d'on ne sait trop qui. Peut-être un Dieu, pas présent au bon moment, pas au plus noir des errances.
Et c'est là aussi que se situe l'équilibre entre les paroles et de la construction de 180°, car lorsque qu'arrive "Credo", il semble que Damien nous en apprenne plus sur la lutte qui l'oppose lui, le Père, le Fils et le Saint Esprit à la Bête « forte » mais qui « a peur » et ayant levé une armée de « 600 » contre lui et ses acolytes. Une nouvelle foi qui est assez branlante pour céder aux assauts du Diable. Damien se déclare « pas de taille » à lutter. Drôle d'effet que d'entendre la voix caractéristique du mec qu'on écoute depuis des piges déclarer forfait face à sa nouvelle conscience dans un morceau pertinent et bien écrit. Et le réveil est à nouveau là, sur le dernier tiers de la chanson, qui sait à nouveau mêler mots et syllabes pour qu'ils se confondent et dont seule une écoute répétée et attentive permet de percer ce qu'on veut y entendre. « J'suis le plan B » / « J'suis plombé » / J'succombais »... Éviter de se fier aux quelques paroles - très incomplètes - figurant sur le livret de la rondelle est aussi un moyen de s'assurer d'entendre tout, et de se forcer à une écoute fort attentive de l'ensemble des propos tenus tout au long de ce parcours, qui trace plus que jamais un virage à 180°.
Et il serait possible de disserter encore des lignes et des lignes sur cet album de Diapsiquir. Disséquer le très "Diapsiquir" dans l'âme Vitriol suivi du rédempteur "Credo", évoquer l'excellente "Minute de Silence", écrite comme une chanson d'amour clamée à la seringue / femme envers laquelle le parolier ne hurle jamais vraiment un franc « tu me manques »... Il y a autant de haine, de vice, de regret que d'esprit de rédemption dans cet album. 180° semble aussi vouloir dire « coup d'oeil dans le rétro » sans jamais aborder l'envie de retourner vers le passé. Si Diapsiquir doit se finir ainsi, il ne pourrait pas choisir plus belle fin, et croyez bien que vous taper l'ensemble de la disco d'une traite sera le meilleur moyen de vous en rendre compte.
Mais si vous êtes attentifs à la note et à elle seule, vous savez déjà que 180° ne prend pas la maximale pour la simple et bonne raison que c'est un album qui ne se note pas. Placer cet album sur une échelle de 1 à 10 est strictement impossible tant il correspond à autant de notes qu'il existe d'auditeurs. Sachant que bien entendu, cet OVNI pourra facilement osciller entre 0 et 10 en fonction des personnes. En ce qui me concerne, le 8/10 est majoritairement motivé par le fait que sur ce skeud, Diapsiquir se veut plus chiant et moins inspiré car sans doute moins radical que par le passé. Autodafé, Libidau ont un grand mal à s'inscrire dans la cohésion de l'album alors que Damien nous avait habitués à nous livrer des albums qui se tenaient d'un bout à l'autre. En outre, il reste des embryons de provocation que l'on a du mal à trouver sincère, et dénotent avec le sérieux de l'album, comme si à quelques reprises, Diapsiquir sombrait dans l'auto-parodie.
Si je devais conclure, je dirais qu'il est plus que nécessaire d'avoir bouffé du Diapsiquir depuis des années pour se sentir proche de l'album, d'avoir aussi accepté et / ou vécu certains des thèmes abordés par son géniteur, d'avoir une oreille libre et d'être réceptif à la voix et à la plume de l'auteur. Je ne prétends pas avoir tout capté, ni même être identique – bien loin de là- à ce type et ce duo dont j'ignore tout. Il est même possible que cette chronique tape complètement à côté de ce que voulait véhiculer le skeud. Mais l'album me parle, et m'est avis que ce sera le cas pour d'autres aussi.
S'il nous lit, le Damien, ça doit bien le faire marrer. Mais 180° est une très belle épitaphe à l'aventure Diapsiquir et donc, à ma psychothérapie. Tant pis pour ceux qui aiment, tant mieux pour ceux qui décrochent.
Tracklist de 180°
1. Tabula Rasa (02:58)
2. Banlieusard (03:41)
3. Après (04:32)
4. 180° (07:08)
5. Credo (03:59)
6. Vitriol & Lithium (05:09)
7. Poussières Et Postillons (04:02)
8. Minute de Silence (05:59)
9. Le Septième Thème (00:20)
10. Autodafé (06:19)
11. Comédie Verticale (04:30)
12. Libidau79 (05:43)
13: Dangereuse Onction (04:21)