"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Si je vous dis « Death-Metal technique, complexe, chaotique et dissonant qui puise ses influences chez Gorguts et vient de Nouvelle-Zélande », vous allez forcément me répondre Ulcerate… mais désormais il faudra dire « mais pas que ». Comme on dit, « a challenger appears » car Ulcerate bien qu’intouchable devra désormais composer avec un compatriote qui chasse sur ses terres de manière plutôt prometteuse. Setentia nous vient donc d’Auckland également (!) et existe depuis 2009, l’année où Ulcerate a sorti Everything Is Fire. Après une démo limitée à 50 copies et vendue à leurs premiers concerts, le sextette (dont trois guitaristes et deux vocalistes !) sort son premier full-length intitulé Darkness Transcend en mars 2016, en guise de simple autoproduction digitale sur bandcamp. Seuls les auditeurs les plus méticuleux sont donc tombés sur cet album mais heureusement, Setentia ne restera pas bien longtemps confiné à l’underground digital de l’Internet. C’est le label bien en vogue Blood Music qui repèrera le combo néo-zélandais, et se charge de ressortir et de presser Darkness Transcend en novembre 2016 (… en faisant virer la première édition de bandcamp au passage). La première étape avant Willowtip, Relapse, puis la gloire ? On le souhaite à ce groupe qui, disons-le d’emblée, a largement les moyens de faire aussi bien qu’Ulcerate.
Alors bien sûr, il va falloir un peu jouer au jeu des 7 différences car Setentia n’est pas non plus un clone ni une copie-conforme (on a déjà vu « pire » dans le genre photocopiage), mais le style global et la provenance géographique nous facilitent la tâche. Rien que la pochette nous donne déjà une idée de la bestiole. D’ailleurs vu qu’on aperçoit un poulpe, à l’instar d’Ulcerate, nous avons aussi affaire ici à un batteur-poulpe en la personne de Hugo Gravelle, et même s’il n’est pas (encore) capable d’avoir la même fréquence coups de cymbale / seconde que Jaime Saint-Merat, il y a du talent dans ces baguettes. Cela va donc ajouter du crédit au Death-Metal forcément technique et complexe de Setentia. Je vous ai dit que le groupe a été formé lorsque ses « cousins » ont sorti Everything Is Fire, ça tombe bien c’est de cet album d’Ulcerate que se rapproche plus Darkness Transcend. A savoir que l’agressivité et l’efficacité Death-Metal prend souvent le pas sur les ambiances, ce qui nous donne un album assez cossu et percutant dans l’ensemble. Mais les ambiances terreuses et ténébreuses sont aussi de la partie. A la différence que plutôt que des dissonances Gorgutsiennes, Setentia choisit de mettre en avant des leads assez épiques lorsqu’il s’agit de mettre l’emphase sur les mélodies. Cela nous donne d’ailleurs de menus solos ("Throne of Thorns", "Seeds of Death (Departure)", "Seeds of Death (Remembrance)", "The Fruit of Life") que l’on ne croise pas forcément chez Ulcerate. Malgré sa pochette morbide et son côté tout de même massif, Darkness Transcend est donc un chouïa plus lumineux que n’importe quel album d’Ulcerate. Si le combo d’Auckland est indéniablement à rapprocher de… de l’autre combo d’Auckland, il a néanmoins un soupçon de personnalité qui fait toute la différence et va faire de Darkness Transcend quelque chose qui va réussir à aller un peu plus loin qu’un album « à la manière de ».
Notons encore le chant bien différent de Jasper Russell-Dennis, plus éructé et hurlé, moins grave et possédé et donc moins brutal que celui de Paul Kelland. Cela marque d’ailleurs une nette différence avec Ulcerate et avouons d’emblée que ce n’est pas le point fort de Setentia. Ces derniers savent néanmoins aussi y faire niveau ambiances et le morceau-titre le prouve d’emblée, avec une savante intro ambiante avant que les mélodies ne prennent le relai, jalonnant une piste d’entrée qui montre déjà les capacités de la section rythmique des Néo-Zélandais. "Throne of Thorns" lance ensuite réellement les hostilités, on y découvre toute la complexité du Death-Metal tentaculaire de Setentia. Tout comme Ulcerate, le chaos est relativement contrôlé, toutefois les enchaînements sont parfois un peu foutraques, le groupe n’ayant c’est sûr pas encore la maîtrise de ce maelström sonore que peuvent avoir leurs « voisins ». Mais on demandait du Metal complexe et chaotique, et on l’a, avec une production bien organique et authentique bien que pas du tout bruitiste ou même « underground », bénéficiant du coup de toute la puissance et le souffle nécessaire pour nous en mettre plein les oreilles. "Throne of Thorns" s’offre un final apocalyptique bien tendu et enchaîne sur "Beyond Myopic Blame", le tube de Darkness Transcend à l’intro bien sombre et pessimiste avant que les Néo-Zélandais nous abreuvent de leurs riffs les plus efficaces et inspirés, tendant d’ailleurs vers d’autres influences en matière de Death technique. Il y a de la qualité et du talent à l’« autre bout du monde »…
Presque sans temps mort si ce n’est les breaks atmosphériques, Setentia enchaîne pour au bout, un album de 7 titres qui se dévore d’une traite. Les deux parties de "Seeds of Death" regorgent de bons moments rythmés et techniques mais aussi de fulgurances mélodiques, ce qui débouche sur l’excellent "The Enemy Within", chaotique comme il faut mais aussi diablement épique, ponctué par un final sensationnel aux riffs mortels. Et "The Fruit of Life" a la charge de résumer tout ce bel œuvre en 10 minutes ponctuées par un final ambiant brumeux qui renvoie d’ailleurs un peu à l’intro du disque, faisant de Darkness Transcend une belle boucle de musique chaotique. De l’isolement géographique naissent encore une fois la noirceur et la musique originale. Bon, originale pour le commun des mortels car bien sûr, Setentia n’a pas inventé l’eau chaude et joue à 90% dans la cour de ses voisins de palier d’Ulcerate, même si l’on peut déceler d’autres influences, certaines qui doivent être également primaires chez Ulcerate (comme Morbid Angel outre Gorguts). Darkness Transcend a donc de grands airs de « Next Big Thing » même si tout n’est pas parfait, outre comme je le disais le chant et l’aspect pas encore totalement maîtrisé des structures, il y a parfois quelques redondances même si cet album n’est aucunement lassant. Une bonne alternative à Shrines Of Paralysis de qui-vous-savez, à défaut de pouvoir vraiment se situer au même niveau même si ça viendra avec le temps, et Setentia a le temps pour lui. Une des révélations de l’année, qui a encore de la marge de progression sur les très bonnes bases de Darkness Transcend, album qui par son côté épique dans son chaos peut se classer dans une sorte de « Post-Death Metal » très « Néo-Zélandais » dans l’esprit, du « Ulcerate Metal » forcément chaotique et complexe mais avec quelques accroches différentes, à déguster sans plus attendre surtout que comme toute sortie de Blood Music, vous pouvez le récupérer en version digitale pour le prix de votre choix.
Tracklist de Darkness Transcend :
1. Darkness Transcend (5:46)
2. Throne of Thorns (8:27)
3. Beyond Myopic Blame (4:09)
4. Seeds of Death (Departure) (8:52)
5. Seeds of Death (Remembrance) (4:36)
6. The Enemy Within (9:05)
7. The Fruit of Life (10:15)